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Pour qui font ces ferpents qui fifflent fur vos têtes? 2)
A qui deftinez-vous l'appareil qui vous fuit?
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ?
Venez, à vos fureurs Orefte s'abandonne.

Mais non,
retirez-vous, laissez faire Hermione;
L'ingrate, mieux que vous, fçaura me déchirer
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

PYLAD E.

Il perd le fentiment. Amis, le temps nous preffe; Ménageons les moments que ce transport nous laisse. Sauvons-le. Nos efforts deviendroient impuiffants, S'il reprenoit ici fa rage avec fes fens.

2) Pour qui font ces ferpents qui fifflent fur vos têtes? ] Racine a eu en vue, pour l'harmonie imitative, ce vers de Virgile:

Luctantes ventos tempeftatefque fonoras.

Le fon de l's multiplié exprime parfaitement dans le vers latin le fifflement des vents, & celui des ferpents dans le vers françois.

FIN.

158

EXAMEN

D'ANDRO MAQUE.

DEPUIS

EPUIS un fiecle, on ne ceffe de répéter, dans tous les pays lettrés, qu'Andromaque est un chefd'œuvre. Voyons en quoi cette piece mérite un titre fi glorieux.

Le Cid, comme nous l'avons déjà observé, est la premiere piece où l'amour parut entouré du véritable cortège de la tragédie; Andromaque eft la feconde. Tout ce que les fituations théâtrales ont de plus intéreffant, tout ce que les replis du cœur ont de plus caché, tout ce que le choc des paffions a de plus déchirant, ne peut être développé avec plus de force, & mis en oppofition avec plus d'art, & en même temps avec plus de naturel & de vérité.

La tragédie d'Andromaque, toute belle qu'elle eft, n'eft pas cependant fans défaut. La duplicité d'action s'y fait quelquefois appercevoir. Dans le commencement de la piece, le fpectateur n'est occupé que de fçavoir fi Andromaque, cette femme fi fidelle, épousera Pyrrhus, le meurtrier de sa famille. Mais au cinquieme acte on oublie prefque

totalement cette veuve, pour ne s'occuper que de la fituation violente d'Hermione; on ne voit plus que l'infidélité de Pyrrhus, & les fureurs de cette princeffe, qui trouve dans Orefte un amant prêt à la venger. Racine avoit fenti d'abord qu'on oublioit trop long-temps la veuve d'Hector; dans la premiere édition il la faifoit revenir, au cinquieme acte, enchaînée par Orefte. Mais en voulant éviter une faute, il tomboit dans une autre ; puifque, d'un feul trait, il rendoit Orefte plus odieux, & forçoit Hermione à un procédé généreux envers fa rivale. Quoi qu'il en foit, parmi les chef-d'oeuvres de Racine, il n'en est point dont la marche foit plus rapide, & où les paffions aient un jeu plus vif & plus tragique.

Euripide s'eft contenté de faire venir Oreste à la cour de Pyrrhus pour enlever Hermione; & le fils d'Agamemnon, qui n'a point été annoncé, arrive au quatrieme acte, dans l'instant où cette princeffe eft prête à fe donner la mort. Racine n'eft point tombé dans ce défaut, il fçavoit trop bien qu'un perfonnage qui doit concourir au dénouement d'une action, doit avoir eu part à fes développements. A l'exemple du poëte grec, il fait venir Orefte en Épire, mais l'arrivée de ce prince y est mieux motivée, & le deffein qu'il a formé d'enlever Hermione, eft couvert du prétexte apparent d'une ambaffade: par-là Racine a répandu l'intérêt le plus

important fur toute la piece, & a rendu la fituation d'Orefte beaucoup plus tragique; ce prince, ainfi que nous l'avons déjà dit, étant obligé, comme ambaffadeur, de folliciter la perte d'Aftyanax, qu'il craint d'obtenir comme amant. Racine, dans cette piece, s'eft encore écarté d'Euripide: le poëte françois peint la veuve d'Hector résistant à Pyrrhus, & celui-ci traitant fa captive avec refpect; & chez le poëte grec, le fils d'Achille a expliqué fes defirs en maître impérieux, & a forcé Andromaque à y répondre fans résistance. Ce fut, fans doute, pour fé conformer à nos moeurs, que Racine imagina ce. changement.

Une vertu douce & conftante, une fermeté inébranlable, une fidélité à toute épreuve, une tendreffe vive & touchante, forment le caractere d'Andromaque, qui eft, tout à la fois, le modele des épouses & des meres. Que le rôle de cette veuve infortunée eft intéreffant ! Que fa tendreffe, fa douceur & fa candeur contrastent bien avec les fureurs, la jaloufie & les emportements d'Hermione!

Si Andromaque intéreffe par les plaintes les plus touchantes, Hermione n'en plaît pas moins par la chaleur & la vivacité de fes difcours ; c'eft la violence de Médée. Mais le crime de la fille d'Hélene eft une fuite de fa foibleffe, car elle n'a pas plutôt ordonné d'affaffiner Pyrrhus, qu'elle s'en repent;

au

au lieu que Médée commet, de fang-froid, une action atroce, & triomphe après l'avoir commise. Des critiques ont trouvé que Pyrrhus étoit trop emporté, trop farouche; mais ces critiques ne connoiffoient pas les égarements & la puiffance des paffions violentes; ils oublioient d'ailleurs que le fils d'Achille devoit être, comme fon pere, fier, emporté & fuperbe. Si ce caractere peche par quelqu'endroit, ce n'est que par les propos doucereux qu'il tient fouvent à Andromaque.

Orefte, chez Racine, eft tel que nous l'ont peint les anciens; trifte, fombre, livré à une noire mélancolie, & commettant le crime par foibleffe ou par désespoir, plutôt que par fcélérateffe ou par lâcheté. Qu'Orefte, égaré par fa paffion, entraîné par fon deftin, tyrannifé par Hermione, confente à affaffiner Pyrrhus, cela paroît vraisemblable; mais comment Pylade, cet homme fi vertueux, fi dévoué à Orefte, peut-il fouffrir, de fang-froid, que fon ami exécute un meurtre auffi lâche que dangereux?

Le style de cette piece est bien au deffus de tout ce qui avoit paru jufqu'alors; perfonne n'avoit encore écrit la tragédie avec autant de vérité, de naturel, de grace, de fentiment, de paffion & d'harmonie; & ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que tous ces mérites fe trouvent réunis, fans fe nuire : car la grace, l'élégance & l'harmonie des vers Tome II.

L

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