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L'infidelle s'eft vu par-tout envelopper, 1)
Et je n'ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputoit la gloire de l'abattre. 2)
Je l'ai vu dans leurs bras quelque temps se débattre;
Tout fanglant, à leurs coups vouloir fe dérober;
Mais enfin à l'autel il est allé tomber. 3)
Du peuple épouvanté j'ai traversé la preffe,
Pour venir de ces lieux enlever ma princeffe;

1) L'infidelle s'eft vu par-tout envelopper.]

Ce n'eft point Orefte qui va lâchement affaffiner Pyrrhus qui eft fans défenfe; ce font les Grecs qui, indignés de l'outrage que Pyrrhus leur fait en époufant une Troyenne, veuve d'Hector & mere d'Aftyanax, fondent fur lui & le percent de coups. L'adresse que le poëte montre ici, rend Orefte plus excufable; il n'eft pourtant pas innocent de fon meurtre; car, comme il le dit lui-même :

" C'est moi, dont l'ardeur leur a fervi d'exemple ».

2) Chacun fe difputoit la gloire de l'abattre. ]

Racine a emprunté d'Euripide l'idée de ce morceau : il y a fupprimé des détails, qui n'auroient été d'aucun effet. 3) Mais enfin à l'autel il eft állé tomber.]

Racine a retranché ici les vers fuivants :

» Le Troyen eft sauvé. Mais partons, le tems preffe; L'Épire tôt ou tard fatisfera la Grece.

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» Cependant j'ai voulu qu'Andromaque aujourd'hui
» Honorât mon triomphe, & répondît de lui.

» Du peuple épouvanté la foule fugitive

» M'a laiffé fans obftacle enlever ma captive,

Et regagner le port, où bientôt nos amis Viendront, couverts du fang que je vous ai promis.

Qu'ont-ils fait!

HERMIONE.

OREST E.

Pardonnez à leur impatience, Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance. Vous vouliez que ma main portât les premiers coups; Qu'il fentît, en mourant, qu'il expiroit pour vous. Mais c'est moi, dont l'ardeur leur a fervi d'exemple; Je les ai, pour vous feule, entraînés dans le temple, Madame; & vous pouvez juftement vous flatter D'une mort que leurs bras n'ont fait qu'exécuter. Vous feule avez pouffé les coups......

HERMIONE.

Tais-toi, perfide,

Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.
Va faire, chez tes Grecs, admirer ta fureur;
Va, je la défavoue, & tu me fais horreur.
Barbare, qu'as-tu fait? Avec quelle furie
As-tu tranché le cours d'une fi belle vie?
Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
Sans que tout votre fang fe foulevât pour lui?

"" Et regagner ces lieux, où bientôt nos amis
» Viendront, couverts du fang que je vous ai promis ».

Mais, parle de fon fort qui t'a rendu l'arbitre è Pourquoi l'affaffiner? Qu'a-t-il fait ? A quel titre? 1) Qui te l'a dit?

OREST E.

O Dieux ! Quoi! ne m'avez-vous pas Vous-même ici tantôt ordonné fon trépas? HERMIONE.

Ah! falloit-il en croire une amante infenfée ?
Ne devois-tu pas lire au fond de ma pensée ?
Et ne voyois-tu pas, dans mes emportements,
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous moments?
Quand je l'aurois voulu, falloit-il y foufcrire ?
N'as-tu pas dû cent fois te le faire redire?
Toi-même, avant le coup, me venir confulter,
Y revenir encore, ou plutôt m'éviter ?

Que ne me laiffois-tu le foin de ma vengeance?
Qui t'amene en des lieux où l'on fuit ta préfence?
Voilà de ton amour le détestable fruit;
Tu m'apportois, cruel, le malheur qui te fuit.
C'eft toi, dont l'ambaffade, à tous les deux fatale,
L'a fait, pour fon malheur, pencher vers ma rivale.

1) Pourquoi l'affaffiner? Qu'a-t-il fait? A quel titre? &c. I Quelle vivacité ! que d'interrogations entaffées! Cette femme qui craignoit qu'on ne différât fa vengeance, qui vouloit elle-même l'exécuter, change tout à coup de penfée lorsqu'on a accompli fes, deffeins, & regarde comme un monftre celui qu'elle en a chargé.

Küj

Nous le verrions encor nous partager fes foins;
Il m'aimeroit peut-être, il le feindroit du moins. 1)
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Épire;
Je renonce à la Grece, à Sparte, à son empire;
A toute ma famille. Et c'eft affez pour moi,
Traître, qu'elle ait produit un monftre tel

que

toi. 1)

1) Il m'aimeroit peut-être, il le feindroit du moins. ] On trouve ce même vers dans le Mari fans femme, comédie de Montfleury, repréfentée en 1663.

2)

tội.]

Et c'eft affez pour moi, Traître, qu'elle ait produit un monftre tel que Racine a encore fupprimé quelques vers en cet endroit. On lifoit d'abord:

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» Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi. Hermione ajoutoit:

» Allons, Madame, allons; c'eft moi qui vous délivre. » Pyrrhus ainfi l'ordonne, & vous pouvez me fuivre ; » De nos derniers devoirs allons nous dégager; » Montrons qui de nous deux fçaura mieux le venger ». Ces vers font mieux fentir le défaut de cette scene, en ce que la fituation d'Andromaque forçoit Hermione d'avoir pour elle un procédé totalement contraire à la fierté, à la haine & à la jaloufie de la fille d'Hélene.

QUE

SCENE IV.

ORESTE feul.

UE vois-je? Est-ce Hermione? Et que viens-je
d'entendre?

Pour qui coule le fang que je viens de répandre ?
Je fuis, fi je l'en crois, un traître, un affaffin.
Eft-ce Pyrrhus qui meurt? Et fuis-je Oreste enfin?
Quoi ! j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire;
J'affaffine à regret un roi que je révere;
Je viole en un jour les droits des fouverains,
Ceux des ambaffadeurs & tous ceux des humains;
Ceux même des autels, où ma fureur l'affiege;
Je deviens parricide, affaffin, facrilége: 1)
Pour qui? Pour une ingrate à qui je le promets,
Qui même, s'il ne meurt, ne me verra jamais,
Dont j'épouse la rage. Et, quand je l'ai fervie
Elle me redemande & fon fang & fa vie!
Elle l'aime, & je fuis un monftre furieux!
Je la vois pour jamais s'éloigner de mes yeux!
Et l'ingrate, en fuyant, me laiffe, pour falaire,
Tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire.

1) Je deviens parricide, assassin, facrilége.]

L'épithete d'affaffin eft moins odieufe que celle de parricide; ainfi ce vers, qui renferme une accumulation d'images, peche contre la regle ordinaire des gradations.

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