Imágenes de página
PDF
ePub

Il respecte, en Pyrrhus, l'honneur du diadême;
Il respecte, en Pyrrhus, Achille & Pyrrhus même.
Il craint les Grecs, il craint l'univers en courroux; 1)
Mais il fe craint, dit-il, foi-même plus que tous. 2)
Il voudroit, en vainqueur, vous apporter fa tête.
Le feul nom d'affaffin l'épouvante & l'arrête.
Enfin il est entré, fans fçavoir, dans fon cœur,
S'il en devoit fortir coupable ou fpectateur.

HERMIONE.

Non, non, il les verra triompher fans obftacle;
Il fe gardera bien de troubler ce fpectacle.
Je fçais de quels remords fon courage eft atteint.
Le lâche craint la mort, & c'est tout ce qu'il craint.
Quoi! fans qu'elle employât une feule priere, 3)

1) Il craint les Grecs, il craint l'univers en courroux.] Il y avoit d'abord :

» Il craint la Grece, il craint l'univers en courroux ». 2) Mais il fe craint, dit-il, foi-même plus que tous.] Quoique plufieurs bons auteurs emploient fouvent indifféremment foi ou lui, nous penfons, avec M. l'abbé d'Olivet, que c'est une faute, & que l'on dit très-bien foi, quand le fens présente un fens vague & indéfini, comme dans le danger chacun ne craint que pour foi, & que lui eft mieux employé quand le fens eft déterminé.

Un cœur noble eft content de ce qu'il trouve en lui. 3) Quoi! fans qu'elle employât une feule priere.] Ce tour eft imité du difcours de Junon dans le premier livre de l'Énéide:

Ma mere en fa faveur arma la Grece entiere:
Ses yeux, pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent périr vingt rois qu'ils ne connoiffoient pas !
Et moi, je ne prétends que la mort d'un parjure,
Et je charge un amant du foin de mon injure;
Il peut me conquérir à ce prix, fans danger;
Je me livre moi-même, & ne puis me venger!
Allons; c'est à moi feule à me rendre justice.
Que de cris de douleur le temple retentiffe.
De leur hymen fatal troublons l'événement;
Et qu'ils ne foient unis, s'il fe peut, qu'un moment.
Je ne choifirai point dans ce défordre extrême;
Tout me fera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
Je mourrai. Mais au moins ma mort me vengera;
Je ne mourrai pas feule, & quelqu'un me fuivra.

[blocks in formation]

Faudra-t-il que j'abandonne mon entreprife? & le chef des Troyens abordera-t-il, malgré moi, en Italie ?... Pallas aura pu embrafer la flotte des Grecs, ou la difperfer, pour punir le feul Ajax qui l'avoit irritée. Et moi, &c.

SCENE III. 1)

ORESTE, HERMIONE, CLÉONE.

OREST E.

MADAME, c'en eft fait, & vous êtes servie.

Pyrrhus rend à l'autel fon infidelle vie.

1) Racine a fupprimé dans cette fcene les rôles de Céphife & d'Andromaque, qu'Oreste présentoit enchaînée à Hermione; il a bien fenti qu'en faifant commettre à ce prince une cruauté déplacée, la présence d'Andromaque ne pouvoit manquer auffi de diminuer l'intérêt qui résulte du récit qu'il fait, & de l'accueil étrange qu'il reçoit d'Hermione. Cette scene commençoit ainfi dans la premiere édition : » Madame, c'en eft fait. Partons en diligence; » Venez, dans mes vaiffeaux, goûter votre vengeance. » Voyez cette captive; elle peut, mieux que moi, » Vous apprendre qu'Orefte a dégagé fa foi.

HERMIONE.

» O dieux! c'eft Andromaque !

"

ANDRO MAQUE.

Oui, c'est cette princeffe,

» Deux fois veuve, & deux fois l'esclave de la Grece, » Mais qui, jufques dans Sparte, ira vous braver tous, » Puisqu'elle voit fon fils à couvert de vos coups.

» Du crime de Pyrrhus complice manifeste,

» J'attends fon châtiment : car je vois bien qu'Orefte,

HERMIONE.

Il est mort! 1)

HERMION E.

OREST E.

Il expire. Et nos Grecs irrités

Ont lavé, dans fon fang, fes infidélités.

» Engagé par votre ordre à cet affaffinat,

» Vient de ce trifte exploit vous céder tout l'éclat. » Je ne m'attendois pas que le ciel en colere » Pût, fans perdre mon fils, accroître ma mifere, » Et gardât à mes yeux quelque fpectacle encor, » Qui fit couler mes pleurs pour un autre qu'Hector. » Vous avez trouvé feule une fanglante voie, » De suspendre en mon cœur le souvenir de Troye. » Plus barbare aujourd'hui qu'Achille & que fon fils, » Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis; » Et ce que n'avoient pu priere ni menace,

[ocr errors]

» Pyrrhus de mon Hector femble avoir pris la place. »Je n'ai que trop, Madame, éprouvé fon courroux; » J'aurois plus de fujet de m'en plaindre que vous. >> Pour derniere rigueur, ton amitié cruelle, » Pyrrhus, à mon époux me rendoit infidelle; » Je t'en allois punir: mais le ciel m'eft témoin » Que je ne pouffois pas ma vengeance fi loin; » Et, fans verser ton fang, ni causer tant d'allarmés, » Il ne t'en eût coûté peut-être que des larmes, &c. » 1) Il est mort!]

Cette exclamation fombre & ténébreuse rappelle l'endroit fublime de Boffuet, qui s'écrie, dans fon oraison funebre d'Henriette d'Angleterre : Madame eft morte..... & peint de Tome II.

K

Je vous l'avois promis; &, quoique mon courage
Se fît de ce complot une funefte image,

J'ai couru vers le temple, où nos Grecs difperfés
Se font jufqu'à l'autel dans la foule gliffés.
Pyrrhus m'a reconnu : mais, fans changer de face, 1)
Il fembloit que ma vue excitât son audace;
Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur,
Duffent de fon hymen relever la fplendeur.
Enfin, avec transport, prenant fon diadême,
Sur le front d'Andromaque il l'a pofé lui-même :
Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne & ma foi,
Andromaque, régnez fur l'Épire & sur moi.

Je voue à votre fils une amitié de pere ;
J'en attefte les dieux, je le jure à fa mere.
Pour tous mes ennemis je déclare les fiens,
Et je le reconnois pour le roi des Troyens.

A ces mots, qui du peuple attiroient le fuffrage,
Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage;

même une confternation profonde. Dans la premiere édition, Hermione disoit :

» Quoi! Pyrrhus eft donc mort?

ORESTE.

Oui, nos Grecs irrités, &c. »

1) Pyrrhus m'a reconnu: mais, fans changer de face.] Face ne fe dit plus dans le genre noble ; nous ne fçavons pas trop pourquoi. Notre langue n'eft déjà pas affez riche, fans chercher encore à l'appauvrir.

« AnteriorContinuar »