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Tu me rapporterois un cœur qui m'étoit dû.
Je t'aimois inconftant, qu'aurois-je fait fidelle? 1)
Et même, en ce moment, où ta bouche cruelle
Vient fi tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor fi je ne t'aime pas.

Mais, Seigneur, s'il le faut, fi le ciel en colere
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y confens. Mais du moins,
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la derniere fois je vous parle peut-être ;
Différez-le d'un jour, demain vous ferez maître.
Vous ne répondez point! Perfide, je le vois, 2)
Tu comptes les moments que tu perds avec moi. 3)

1) Je t'aimois inconftant, qu'aurois-je fait fidelle?]

On a toujours excufé cette inexactitude grammaticale, en faveur de la vivacité du sentiment & de l'énergie de l'expreffion. En effet, la phrase eût été languiffante, s'il avoit fallu mettre, qu'aurois-je fait, fi tu euffes été fidelle? Il eft certain qu'on ne peut brifer plus heureusement les entraves étroites dont la langue françoise enchaîne la poésie.

2) Vous ne répondez point! Perfide, je le vois.]

Tantôt Hermione tutoye Pyrrhus, tantôt elle lui dit vous; ces différentes variations donnent beaucoup de vivacité à fa paffion.

3) Tu comptes les moments que tu perds avec moi.]

L'adieu de Médée à Jafon, dans Euripide, eft à peu près femblable:

Va, dit-elle, retrouver ta nouvelle époufe; je le vois, tu

Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne fouffre qu'à regret qu'une autre t'entretienne!
Tu lui parles du cœur 1), tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, fauve-toi de ces lieux.
Va lui jurer la foi que tu m'avois jurée ;
Va profaner des dieux la majefté facrée.
Ces, dieux, ces juftes dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes ferments avec moi t'ont lié.
Porte aux pieds des autels ce coeur qui m'abandonne.
Va,cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.2)

languis en fon abfence, & je t'arrête trop. Va, cours à l'autel, & hâte un hymen, qui, graces aux dieux, te coûtera plus d'un repentir.

1) Tu lui parles du cœur.]

Expreffion neuve & hardie, dont Racine a embelli la langue.

2) Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.]

La menace d'Hermione eft affez pofitive pour engager Pyrrhus à fe méfier d'une amante en fureur; mais uniquement occupé d'Andromaque, il n'entend rien, il ne voit

rien,

SCENE V I.

PYRRHUS

PHENIX.

2

PHŒNI X.

SEIGNEUR,

EIGNEUR, vous l'entendez. Gardez de négliger Une amante en fureur, qui cherche à fe venger. Elle n'eft en ces lieux que trop bien appuyée; La querelle des Grecs à la fienne est liée. Orefte l'aime encore; & peut-être à ce prix... PYRRH US.

Andromaque m'attend. Phoenix, garde fon fils. 1)

1) Andromaque m'attend. Phænix, garde fon fils.]

Voilà le quatrieme acte fini. Ce que nous y admirons le plus, c'est la maniere avec laquelle le trouble va toujours croiffant de fcene en fcene. Andromaque, à laquelle on s'intéreffe, n'a confenti à donner fa main à Pyrrhus, que pour s'immoler auffi-tôt : Hermione a chargé Oreste du meurtre de Pyrrhus. Voilà deux acteurs dans le plus grand danger, que vont-ils devenir?

Fin du quatrieme acte.

ACTE V.

SCENE PREMIERE.

HERMIONE feule.

Où fuis-je ! Qu'ai-je fait ! Que dois-je faire encore !

Quel transport me faifit! 1) Quel chagrin me dévore!
Errante, & fans deffein, je cours dans ce palais.
Ah! ne puis-je fçavoir fi j'aime, ou fi je hais?
Le cruel! de quel œil il m'a congédiée !
Sans pitié, fans douleur au moins étudiée ! 2)

1) Où fuis-je ! qu'ai-je fait ! que dois-je faire encore ! Quel transport me faifit! &c.]

Ce cinquieme acte découvre le défaut de la piece, la duplicité d'intrigue & d'intérêt on y oublie prefqu'entierement Andromaque. Hermione feule emporte les derniers fentiments des fpectateurs ; & les mouvements violents qu'elle fait naître, femblent effacer l'impreffion qu'avoit laiffée la douleur plus tranquille de la veuve d'Hector.

2) Sans pitié, fans douleur au moins étudiée.]

Quelque vérité qu'il y ait dans cette expreffion, peut-être la trouvera-t-on trop fubtile & trop fine pour la tragédie, & fur-tout pour la fituation violente d'Hermione.

Ai-je vu fes regards fe troubler un moment? 1) En ai-je pu tirer un feul gémiffement ?

Muet à mes foupirs 2), tranquille à mes allarmes, Sembloit-il feulement qu'il eût part à mes larmes ? Et je le plains encore ! Et, pour comble d'ennui, 3) Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui! Je tremble au feul penfer du coup qui le menace. 4)

1) Ai-je vu fes regards fe troubler un moment? &c.] Didon dit de même dans l'Énéide, liv. IV. vers 369: Num fletu ingemuit noftro? num lumina flexit?

Num lachrymas victus dedit?

Le barbare a-t-il été touché de mes pleurs? a-t-il verfé quel-ques larmes ? a-t-il daigné regarder son amante?

On lifoit dans premiere édition :

» L'ai-je vu fe troubler & me plaindre un moment »? 2) Muet à mes foupirs. ]

Expreffion hardie & heureuse. Un poëte médiocre auroit mis fourd à mes foupirs; mais Racine va plus loin, nonfeulement Hermione veut que Pyrrhus entende fes foupirs, mais encore qu'il y réponde.

3)

Et pour comble d'ennui.]

Ennui fe prenoit autrefois pour douleur, pour peines, &c. Quel triomphe pour lui

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» De voir mon infortune égaler son ennui »>!

on ne s'en fert plus aujourd'hui en ce fens.

4) Je tremble au feul penfer du coup qui le menace.] Penser, substantif, n'eft plus d'usage; nous n'en voyons la raison. La difficulté de faire entrer en vers les fynonymes de ce mot, auroit dû le faire conferver,

pas

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