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Il fuffit que mon cœur me condamne tout bas;
Et je foutiendrois mal ce que je ne crois pas.
J'épouse une Troyenne. Oui, Madame, & j'avoue
Que je vous ai promis la foi que je lui voue.

Et

Un autre vous diroit que,
dans les champs Troyens,
Nos deux peres, fans nous, formerent ces liens,
que, fans confulter ni mon choix ni le vôtre,
Nous fumes, fans amour, attachés l'un à l'autre ;
Mais c'eft affez pour moi que je me fois foumis :
Par mes ambaffadeurs mon cœur vous fut promis;
Loin de les révoquer, je voulus y foufcrire.
Je vous vis avec eux arriver en Épire;
Et, quoique d'un autre œil l'éclat victorieux
Eût déja prévenu le pouvoir de vos yeux,
Je ne m'arrêtai point à cette ardeur nouvelle;
Je voulus m'obstiner à vous être fidelle.

Je vous reçus en reine; &, jusques à ce jour,
J'ai cru que mes ferments me tiendroient lieu d'amour;

de

la renvoyer, il vient lui-même lui annoncer la rupture fes ferments. Il y auroit un peu d'inhumanité dans ce procédé, s'il venoit pour la brayer; mais il vient avouer ses torts avec la candeur & la franchise d'une belle ame.

M. de Voltaire prétend que c'eft de la Pertharite de Corneille que Racine a pris l'idée des fcenes de Pyrrhus & d'Andromaque, d'Orefte & d'Hermione. Nouveaux mêlanges philofophiques, III. partie; lettre de M. de Voltaire à M. l'abbé d'Olivet.

Mais cet amour l'emporte, &, par un coup funefte,
Andromaque m'arrache un cœur qu'elle détefte.
L'un par l'autre entraînés, nous courons à l'autel,
Nous jurer, malgré nous, un amour immortel.
Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
Qui l'eft avec douleur, & qui pourtant veut l'être.
Pour moi, loin de contraindre un fi jufte courroux,
Il me foulagera peut-être autant que vous.
Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures;
Je crains votre filence, & non pas vos injures :
Et mon cœur, foulevant mille fecrets témoins, 1)
M'en dira d'autant plus, que vous m'en direz moins.
HERMI ̊O N E.

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice,
J'aime à voir que du moins vous vous rendiez juftice;
Et que,
voulant bien rompre un noeud fi folemnel,
Vous vous abandonniez au crime en criminel.
Eft-il jufte, après tout, qu'un conquérant s'abaiffe
Sous la fervile loi de garder fa promeffe? 2)

1) Et mon cœur, foulevant mille fecrets témoins,

M'en dira d'autant plus, que vous m'en direz moins.] Ces deux vers, où paroît la prétention au bel-efprit, gâtent un peu cette belle tirade.

2) Eft-il jufte, après tout, qu'un conquérant s'abaiffe, &c.] Racine eft le feul tragique, après Corneille dans Nicomede, qui fe foit fervi de l'ironie; mais il nous femble

Non,

Non, non,

la perfidie a de quoi vous tenter; Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter. Quoi! fans que ni ferment ni devoir vous retienne Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne? Me quitter, me reprendre, & retourner encor De la fille d'Hélene à la veuve d'Hector? Couronner tour à tour l'efclave & la princeffe, Immoler Troye aux Grecs, au fils d'Hector la Grece? Tout cela part d'un cœur toujours maître de foi, D'un héros qui n'est point efclave de fa foi. Pour plaire à votre époufe, il vous faudroit peut-être Prodiguer les doux noms de parjure & de traître. Vous veniez de mon front obferver la pâleur, 1) Pour aller, dans fes bras, rire de ma douleur. Pleurante après fon char vous voulez qu'on me voie ; Mais, Seigneur, en un jour, ce feroit trop de joie.

qu'on pourroit en tirer un grand parti. Peut-être cette figure n'a-t-elle pas affez de nobleffe, mais c'est au poëte à lui donner de la dignité. Celle-ci eft, felon nous, fanglante, & on ne peut pas plus tragique.

1) Vous veniez de mon front obferver la pâleur,

Pour aller, dans fes bras, rire de ma douleur.

Pleurante après fon char vous voulez qu'on me voie ; &c.] On lifoit d'abord :

» Votre grand cœur, fans doute, attend après mes pleurs,
» Pour aller, dans fes bras, jouir de mes douleurs ;
» Chargé de tant d'honneur, il veut qu'on le revoie, &c.»
Tome II.

I

Et, fans chercher ailleurs des titres empruntés,
Ne vous fuffit-il pas de ceux que vous portez?
Du vieux pere d'Hector la valeur abattue
Aux pieds de fa famille expirante à fa vue;
Tandis que dans fon fein votre bras enfoncé,
Cherche un refte de fang que l'âge avoit glacé;
Dans des ruiffeaux de fang, Troye ardente plongée;
De votre propre main Polyxene égorgée 2)

Aux yeux
de tous les Grecs indignés contre vous;
Que peut-on refuser à ces généreux coups?

1) Du vieux pere d'Hector la valeur abattue, &c.] A ce morceau fublime de poéfie, fi l'on veut encore comparer quelques vers de Pradon qui paroiffent imités de Racine, on croira en voir la parodie:

Mais, Seigneur, vous devez en fçavoir davantage :
Le meurtre de Priam fut votre apprentissage ;
Et bien loin d'ignorer tout ce que nous fçavons,

Je parle à qui pourroit m'en donner des leçons.

Troade, a&e II. Scene III.

2) Dans des ruiffeaux de fang, Troye ardente plongée'; De votre propre main Polyxene égorgée. ]

Quand Hermione a cru que Pyrrhus revenoit à elle, elle ne l'a peint que du côté le plus beau. Elle a dit plus haut: » Sçais-tu quel eft Pyrrhus ? T'es-tu fait raconter » Le nombre des exploits ?... Mais qui les peut compter!

» Intrépide, & par-tout fuivi de la victoire,

» Charmant, fidelle: enfin rien ne manque à fa gloire ». A préfent ce n'eft plus cela; Hermione vient à bout de réduire tous les exploits de Pyrrhus à deux ou trois lâchetés.

PYRRH U S.

Madame, je fçais trop à quels excès de rage
La vengeance d'Hélene emporta mon courage.
Je puis me plaindre à vous du fang que j'ai verfé;
Mais enfin, je confens d'oublier le paffé.

Je rends graces au ciel, que votre indifférence
De mes heureux foupirs m'apprenne l'innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à fe gêner,
Devoit mieux vous connoître, & mieux s'examiner.
Mes remords vous faifoient une injure mortelle ;
Il faut fe croire aimé, pour fe croire infidelle.
Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers.
Je crains de vous trahir, peut-être je vous fers.
Nos cœurs n'étoient point faits dépendants l'un de
l'autre ;

Je fuivois mon devoir, & vous cédiez au vôtre.
Rien ne vous engageoit à m'aimer en effet.

HERMION É.

Je ne t'ai point aimé, cruel? Qu'ai-je donc fait ?
J'ai dédaigné, pour toi, les vœux de tous nos princes:
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces;
J'y fuis encor, malgré tes infidélités,
Et malgré tous les Grecs, honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure.
J'attendois en fecret le retour d'un parjure.
J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,

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