Voilà de mon amour l'innocent ftratagême, 1) Voilà ce qu'un époux m'a commandé lui-même. J'irai feule rejoindre Hector & mes aïeux. Céphife, c'eft à toi de me fermer les yeux. 2) CÉPHIS E. Ah! ne prétendez pas que je puiffe furvivre.... ANDRO MA QU E. Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre. Je confie à tes foins mon unique tréfor; 1) Voilà de mon amour l'innocent stratagême. ] Le fpectateur auroit vu avec peine Andromaque, cette veuve fi fidelle, époufer Pyrrhus, le deftructeur de tous les fiens; mais il falloit qu'elle fauvât fon fils. Racine s'étoit engagé dans un labyrinthe dont il n'eft forti que par une fauffe iffue. Comment penfer que Pyrrhus deviendra l'appui d'Aftyanax, uniquement parce qu'il a époufé fa mere, quand il verra que cette femme, qu'il a recherchée avec tant de fureur, a mieux aimé fe donner la mort que de partager fa couronne? Racine, qui connoiffoit fon talent pour le pathétique, a plus vifé à l'effet qu'à la vérité ; il a cru que la fauffeté du moyen échapperoit aux yeux du fpectateur attendri. 2) Céphise, c'est à toi de me fermer les yeux.] C'étoit un devoir qu'on rendoit chez les Grecs & les Romains; on en chargeoit ordinairement celui ou celle qu'on aimoit davantage, & en qui on avoit plus de confiance. Si Si tu vivois pour moi, vis pour le fils d'Hector, 1) S'il le faut, je confens qu'on lui parle de moi.] VARIANTE. "S'il le faut, je confens que tu parles de moi». 2) Fais-lui valoir l'hymen où je me fuis rangée. ] Où je me fuis rangée eft le mot propre, & ne dit ni plus ni moins que ce qu'il doit dire. &c.] 3) Fais connoître à mon fils les héros de fa race, Racine enchérit fur fon modele. Andromaque dit ici à sa confidente, ce que dans le grec elle adreffe à Moloffus: O mon fils, lui dit-elle, c'eft pour toi que je me facrifie ; fi la pitié te laiffe vivre, fouviens-toi d'une mere ; & fi tu revois un pere, raconte-lui, en arrofant fon vifage de pleurs, jufqu'où j'ai porté la tendreffe pour toi. 4) Plutôt ce qu'ils ont fait, que ce qu'ils ont été. &c. ] Ce vers eft imité de Virgile, qui, à fon tour, l'a pris Parle-lui tous les jours des vertus de fon pere; Et, quelquefois auffi, parle-lui de fa mere. Mais qu'il ne fonge plus, Céphife, à nous venger; Nous lui laiffons un maître, il le doit ménager. 1) dans l'Ajax de Sophocle. On nous a confié deux exemplaires de ce poëte grec, où Racine a écrit de fa main plufieurs obfervation. Dans un de ces exemplaires, on trouve ces deux vers, qui rendent la pensée de Sophocle & de Virgile: O mon fils! fois un jour plus heureux que ton pere! Du reste avec honneur tu lui peux reffembler. Le pere Brumoy prétend que ces vers font imités de l'Andromaque d'Euripide, nous n'y voyons qu'une reffemblance très-indirecte; que Racine les ait imités ou non, n'en font pas moins heureux; personne avant lui n'écrivoit avec cette élégance continue, & nous doutons qu'il vienne quelqu'un qui puiffe l'égaler. Il n'y a ici ni figures, ni épithetes; ce font des fentiments exprimés de la maniere la plus fimple & la plus élégante. 1) Nous lui laiffons un maître, il le doit ménager.] ils Motifs touchants empruntés de la Troade de Séneque, & que Longepierre a traduits presque littéralement dans fa Médée, lorsqu'il lui fait dire, en parlant à fes enfants : Soumettons-nous mes fils, cédons à la fortune: Quittez cette fierté, près des rois importune; Efclaves, apprenez à ménager des maîtres. Ces vers, tout beaux qu'ils font, ne fçauroient foutenir la comparaison avec ceux de Racine, Qu'il ait de fes aïeux un fouvenir modefte; Il eft du fang d'Hector, mais il en est le refte; Hélas! CÉPHIS E. ANDRO MAQUE. Ne me fuis point, fi ton cœur, en allarmes, Prévoit qu'il ne pourra commander à tes larmes. On vient. Cache tes pleurs, Céphife; & fouviens-toi Que le fort d'Andromaque eft commis à ta foi. C'est Hermione. Allons, fuyons fa violence. SCENE I I. HERMIONE, CLÉON E. CLEONE. Non, je ne puis affez admirer ce filence. Vous vous taisez, Madame; & ce cruel mépris N'a pas du moindre trouble agité vos efprits! 1) Il eft à remarquer que la fcene ne refte point vuide, quoique les acteurs fortent & viennent fans fe parler, parce que la fortie d'Andromaque eft motivée & forcée par l'arrivée d'Hermione. Vous foutenez, en paix, une fi rude attaque, HERMIONE. Fais-tu venir Orefte? 1) Et votre bouche, encor muette à tant d'ennui.] Muette à tant d'ennui. Le poëte a voulu dire, qui garde le filence après tant de malheurs; mais fon expreffion ne rend point fon idée affez clairement. 2) Ah! que je crains, Madame, un calme fi funeste ! ] C'est une répétition du fentiment déjà exprimé dans la troifieme scene du troifieme acte, où le poëte fait dire par Cléone : » La douleur qui fe tait n'en eft que plus funefte ». M. de Voltaire a appliqué avec génie cette même pensée à la politique, dans ce beau vers: Rien n'eft fi dangereux que Céfar qui fe tait. trait caractéristique & fublime, qui prouve à quel point on peut être original en imitant. 3) Fais-tu venir Orefte? Cette femme fi emportée, fi jalouse, qui, fur les moindres |