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T'a-t-il de tous les fiens reproché le trépas?
S'eft-il plaint, à tes yeux, des maux qu'il ne fent pas ?1)
Mais cependant, mon fils, tu meurs, fi je n'arrête
Le fer que le cruel tient levé fur ta tête.

Je l'en puis détourner, & je t'y vais offrir:
Non, tu ne mourras point, je ne le puis fouffrir.
Allons trouver Pyrrhus. Mais, non... Chere Céphise,
Va le trouver pour moi.

CÉP HIS E.

Que faut-il que je dife?

ANDRO MAQUE.

Dis-lui que de mon fils l'amour eft affez fort.... Crois-tu que, dans fon cœur, il ait juré fa mort? L'amour peut-il fi loin pouffer fa barbarie ?

CEP HIS E.

Madame, il va bientôt revenir en furie.

ANDROMA QUE.

Hé bien, va l'affurer . . . . . .

CEPHIS E.

De quoi? De votre foi?

1) S'eft-il plaint, à tes yeux, des maux qu'il ne fent pas? ] Cette image touchante eft due à Séneque, qui fuppose pareillement qu'Aftyanax eft trop jeune pour fentir l'horreur du trépas qui le menace.

ANDRO MA QUE.

Hélas! pour la promettre eft-elle encore à moi?
O cendres d'un époux ! ô Troyens ! ô mon pere! 1)
O mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mere!
Allons.

CÉPHISE.

Où donc, Madame, & que réfolvez-vous?
ANDRO MAQUE.

Allons, fur fon tombeau, confulter mon époux. 2)

1) O cendres d'un époux ! ô Troyens ! ô mon pere!] Ceci eft imité de l'Andromaque d'Euripide.

Le pere d'Andromaque étoit Eetion, roi de Thèbes en Cilicie, qui fut tué de la main d'Achille.

2) Allons, fur fon tombeau, confulter mon époux.]

C'eft

par ce coup de l'art que Racine a fçu reculer encore la catastrophe que le fpectateur attend avec impatience, & qu'il croyoit être prête à se faire.

Fin du troifieme acte.

ACTE IV.

SCENE PREMIERE.

ANDROMA QUE, CEPHISE.

A

CEP HIS E.

H, je n'en doute point! C'est votre époux,
Madame,

C'eft Hector qui produit ce miracle en votre ame.
Il veut que Troye encor fe puiffe relever,

Avec cet heureux fils qu'il vous fait conserver.
Pyrrhus vous l'a promis. Vous venez de l'entendre
Madame; il n'attendoit qu'un mot pour vous le rendre.
Croyez-en fes transports. Pere, fceptre, alliés,
Content de votre cœur, il met tout à vos pieds.
Sur lui, fur tout fon peuple, il vous rend fouveraine.
Eft-ce là ce vainqueur digne de tant de haine?
Déjà contre les Grecs, plein d'un noble courroux,
Le foin de votre fils le touche autant que vous;
Il prévient leur fureur; il lui laiffe fa garde;
Pour ne pas l'expofer, lui-même il se hasarde.
Mais tout s'apprête au temple; & vous avez promis...

ANDRO MA QUE.

Oui, je m'y trouverai. Mais allons voir mon fils. CEP HIS E.

Madame, qui vous preffe? Il fuffit que fa vue Déformais à vos yeux ne foit plus défendue. Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés; Et vos embraffements ne feront plus comptés. Quel plaifir d'élever un enfant qu'on voit croître, 1) Non plus comme un esclave élevé pour fon maître, Mais pour voir avec lui renaître tant de rois!

ANDRO MAQUE.

Céphife, allons le voir pour la derniere fois.

CÉPHIS E.

Que dites-vous? O Dieux !

ANDRO MAQUE.

O, ma chere Céphife!

Ce n'eft point avec toi que mon coeur fe déguise. Ta foi, dans mon malheur, s'eft montrée à mes yeux;

1) Quel plaifir d'élever un enfant qu'on voit croître !]

Si l'on prononce croître, en faifant fentir l'o, ce mot ne peut rimer avec maître; il faut donc néceffairement prononcer craître, comme s'il étoit écrit par un a; & alors on fent combien il eft ridicule de prononcer d'une façon & d'écrire d'une autre.

Mais j'ai cru qu'à mon tour tu me connoiffois mieux.1)
Quoi donc ! as-tu penfé qu'Andromaque infidelle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle;
Et que de tant de morts réveillant la douleur,
Le foin de mon repos me fît troubler le leur ?
Eft-ce là cette ardeur tant promise à fa cendre?
Mais fon fils périffoit, il l'a fallu défendre.
Pyrrhus, en m'époufant, s'en déclare l'appui;
Il fuffit. Je veux bien m'en repofer fur lui.
Je fçais quel eft Pyrrhus. Violent, mais fincere,
Céphife, il fera plus qu'il n'a promis de faire.
Sur le courroux des Grecs je m'en repose encor;
Leur haine va donner un pere au fils d'Hector.
Je vais donc, puisqu'il faut que je me facrifie
Affurer à Pyrrhus le refte de ma vie.

Je vais, en recevant fa foi fur les autels,
L'engager à mon fils par des noeuds immortels.
Mais auffi-tôt ma main, à moi feule funefte,
D'une infidelle vie abrégera le reste;
Et, fauvant ma vertu, rendra ce que je dois
A Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.

1) Mais j'ai cru qu'à mon tour tu me connoiffois mieux.] Il faut, ou mais à mon tour j'ai cru, ou mais j'ai cru qu'à ton tour. Nous croyons même que cette derniere façon eft la plus naturelle; mais Racine a voulu vraisemblablement éviter cette cacophonie, j'ai cru qu'à ton tour tu.

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