Imágenes de página
PDF
ePub

L'impie Adraste, trop long-temps souffert sur la terre, trop long-temps, si les hommes n'eussent eu besoin d'un tel châtiment, l'impie Adraste touchoit enfin à sa dernière heure. Il court, forcené, au-devant de son inévitable destin: l'horreur, les cuisants remords, la consternation, la fureur, la rage, le désespoir, marchent avec lui. A peine voit-il Télémaque, qu'il croit voir l'Áverne qui s'ouvre, et les tourbillons de flammes qui sortent du noir Phlégéthon prêtes à le dévorer. Il s'écrie, et sa bouche demeure ouverte sans qu'il puisse prononcer aucune parole tel qu'un homme dormant, qui, dans un songe affreux, ouvre la bouche et fait des efforts pour parler; mais la parole lui manque toujours, et il la cherche en vain 1. D'une main tremblante et précipitée Adraste lance son dard contre Télémaque. Celui-ci, intrépide comme l'ami des dieux, se couvre de son bouclier; il semble que la Victoire, le couvrant de ses ailes, tient déja une couronne suspendue au-dessus de sa tête le courage doux et paisible reluit dans ses yeux; on le prendroit pour Minerve même, tant il paroît sage et mesuré au milieu des plus grands périls. Le dard lancé par Adraste est repoussé par le bouclier. Alors Adraste se hâte de tirer son épée, pour ôter au fils d'Ulysse l'avantage de lancer son dard à son tour. Télémaque, voyant Adraste l'épée à la main, se hâte de la mettre aussi, et laisse son dard inutile.

:

Quand on les vit ainsi tous deux combattre de près, tous les autres combattants, en silence, mirent bas les armes pour les regarder attentivement 2, et on attendit de leur combat la décision de toute la guerre. Les deux glaives, brillants comme les éclairs d'où partent les

1

Ac velut in somnis, oculos ubi languida pressit
Nocte quies.... non lingua valet, non corpore notæ
Sufficiunt vires, nec vox aut verba sequuntur.

VIRG. En. XII, 908.

Jam vero et Rutuli certatim et Troes et omnes
Convertere oculos Itali....

Armaque deposuere humeris.

VIRG. En. XII, 704.

[graphic][merged small][merged small]

foudres, se croisent plusieurs fois, et portent des coups inutiles sur les armes polies, qui en retentissent. Les deux combattants s'alongent, se replient, s'abaissent, se relèvent tout-à-coup, et enfin se saisissent. Te lierre, en naissant au pied d'un ormeau, n'en serre pas plus étroitement le tronc dur et noueux 1 par ses rameaux entrelacés jusqu'aux plus hautes branches de l'arbre, que ces deux combattants se serrent l'un l'autre. Adraste n'avoit encore rien perdu de sa force; Télémaque n'avoit pas encore toute la sienne. Adraste fait plusieurs efforts pour surprendre son ennemi et pour l'ébranler. Il tâche de saisir l'épée du jeune Grec, mais en vain : dans le moment où il la cherche, Télémaque l'enlève de terre, et le renverse sur le sable. Alors cet impie, qui avoit toujours méprisé les dieux, montre une lâche crainte de la mort : il a honte de demander la vie, et il ne peut s'empêcher de témoigner qu'il la desire : il tâche d'émouvoir la compassion de Télémaque. « Fils d'Ulysse, dit-il, enfin c'est maintenant que je connois les justes dieux; ils me punissent comme je l'ai mérité 2 il n'y a que le malheur qui ouvre les yeux des hommes pour voir la vérité; je la vois, elle me condamne. Mais qu'un roi malheureux vous fasse souvenir de votre père 3, qui est loin d'Ithaque, et touche votre cœur. »

Télémaque, qui, le tenant sous ses genoux, avoit déja le glaive levé pour lui percer la gorge, répondit aussitôt « Je n'ai voulu que la victoire et la paix des nations que je suis venu secourir; je n'aime point a répandre le sang. Vivez donc, o Adraste; mais vivez pour réparer vos fautes rendez tout ce que vous avez

:

Arctius atque hedera procera astringitur ilex.

HOR. Epod. XV.

Equidem merui, nec deprecor, inquit.

VIRG. En. XII, 931,

αὐτόν τ ̓ ἐλέησον,

Μνησάμενος σοῦ πατρός.

Il. XXIV, 503.

usurpé rétablissez le calme et la justice sur la côte de la Grande-Hespérie, que vous avez souillée par tant de massacres et de trahisons; vivez, et devenez un autre homme. Apprenez par votre chute que les dieux sont justes, que les méchants sont malheureux; qu'ils se trompent en cherchant la félicité dans la violence, dans l'inhumanité, et dans le mensonge; et qu'enfin rien n'est si doux ni si heureux que la simple et constante vertu. Donnez-nous pour otage votre fils Métrodore, avec douze des principaux de votre nation.»

A ces paroles, Télémaque laisse relever Adraste, et lui tend la main, sans se défier de sa mauvaise foi; mais aussitôt Adraste lui lance un second dard fort court, qu'il tenoit caché. Le dard étoit si aigu et lancé avec tant d'adresse, qu'il eût percé les armes de Télémaque, si elles n'eussent été divines. En même temps Adraste se jette derrière un arbre pour éviter la poursuite du jeune Grec. Alors celui-ci s'écrie : « Dauniens, vous le voyez, la victoire est à nous; l'impie ne se sauve que par la trahison. Celui qui ne craint point les dieux craint la mort; au contraire, celui qui les craint ne craint qu'eux. >>

En disant ces paroles, il s'avance vers les Dauniens, et fait signe aux siens, qui étoient de l'autre côté de l'arbre, de couper chemin au perfide Adraste. Adraste craint d'être surpris, fait semblant de retourner sur ses pas, et veut renverser les Crétois qui se présentent à son passage; mais tout-à-coup Télémaque, prompt comme la foudre que la main du père des dieux lance du haut de l'Olympe sur les têtes coupables, vient fondre sur son ennemi; il le saisit d'une main victorieuse; il le renverse comme le cruel aquilon abat les tendres moissons qui dorent la campagne. Il ne l'écoute plus quoique l'impie ose encore une fois essayer d'abuser de la bonté de son cœur : il enfonce son glaive, et le précipite dans les flammes du noir Tartare, digne châtiment de ses crimes.

« AnteriorContinuar »