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des tourbillons de fumée et de flamme s'élèvent dans les nues.

Télémaque et Mentor aperçoivent ce feu de dessus le rocher, et entendent les cris des nymphes. Télémaque fut tenté de s'en réjouir, car son cœur n'étoit pas encore guéri; et Mentor remarquoit que sa passion étoit comme un feu mal éteint qui sort de temps en temps de dessous la cendre, et qui repousse de vives étincelles. «< Me voilà donc, dit Télémaque, rengagé dans mes liens! Il ne nous reste plus aucune espérance de quitter cette île. »

Mentor vit bien que Télémaque alloit retomber dans toutes ses foiblesses, et qu'il n'y avoit pas un seul moment à perdre. Il aperçut de loin au milieu des flots un vaisseau arrêté qui n'osoit approcher de l'île, parce que tous les pilotes connoissoient que l'île de Calypso étoit inaccessible à tous les mortels. Aussitôt le sage Mentor, poussant Télémaque, qui étoit assis sur le bord du rocher, le précipite dans ia mer, et s'y jette avec lui. Télémaque, surpris de cette violente chute, but l'onde amère, et devint le jouet des flots. Mais revenant à lui, et voyant Mentor qui lui tendoit la main pour lui aider à nager, il ne songea plus, qu'à s'éloigner de l'île fatale.

Les nymphes, qui avoient cru les tenir captifs, poussèrent des cris pleins de fureur, ne pouvant plus empêcher leur fuite. Calypso, inconsolable, rentra dans sa grotte, qu'elle remplit de ses hurlements. L'Amour, qui vit changer son triomphe en une honteuse défaite, s'éleva au milieu de l'air en secouant ses ailes, et s'envola dans le bocage d'Idalie, où sa cruelle mère l'attendoit. L'enfant, encore plus cruel, ne se consola qu'en riant avec elle de tous les maux qu'il avoit faits.

A mesure que Télémaque s'éloignoit de l'île, il sentoit avec plaisir renaître son courage et son amour pour la vertu. J'éprouve, s'écrioit-il parlant à Mentor, ce que vous me disiez, et que je ne pouvois croire, faute d'expérience on ne surmonte le vice qu'en fuyant. O mon

père, que les dieux m'ont aimé en me donnant votre secours ! Je méritois d'en être privé, et d'être abandonné à moi-même. Je ne crains plus ni mer, ni vents, ni tempêtes; je ne crains plus que mes passions. L'amour est lui seul plus à craindre que tous les naufrages. »

LIVRE VII'

SOMMAIRE

Mentor et Télémaque s'avancent vers le vaisseau phénicien arrêté auprès de l'île de Calypso; ils sont accueillis favorablement par Adoam, frère de Narbal, commandant de ce vaisseau. Adoam, reconnoissant Télémaque, lui promet aussitôt de le conduire à Ithaque. Il lui raconte la mort tragique de Pygmalion et d'Astarbé ; puis l'élevation de Baléazar, que le tyran son père avoit disgracié à la persuasion de cette femme. Télémaque, à son tour, fait le récit de ses aventures depuis son départ de Tyr. Pendant un repas qu'Adoam donne à Télémaque et à Mentor, Achitoas, par les doux accords de sa voix et de sa lyre, assemble autour du vaisseau les Tritons, les Néréides, toutes les autres divinités de la mer, et les monstres marins eux-mêmes. Mentor, prenant une lyre, en joue avec tant d'art, qu'Achitoas jaloux laisse tomber la sienne de dépit. Adoam raconte ensuite les merveilles de la Bétique. Il décrit la douce température de l'air et toutes les richesses de ce pays, dont les peuples mènent la vie la plus heureuse dans une parfaite simplicité de mœurs.

Le vaisseau qui étoit arrêté, et vers lequel ils s'avançoient, étoit un vaisseau phénicien qui alloit dans l'Épire 2. Ces Phéniciens avoient vu Télémaque au voyage d'Égypte; mais ils n'avoient garde de le reconnoître au milieu des flots. Quand Mentor fut assez près du vaisseau pour faire entendre sa voix, il s'écria d'une voix forte, en élevant sa tête au-dessus de l'eau: « Phéniciens, si secourables à toutes les nations, ne refusez pas la vie à

1 VAR. Livre VIII.

2 Contrée de la Grèce occidentale, laquelle s'étendoit du golfe d'Ambracie aux monts Acrocérauniens, le long de la mer Ionienne. Les limites n'en ont pas toujours été les mêmes: mais ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans cette discussion.

deux hommes qui l'attendent de votre humanité. Si le respect des dieux vous touche, recevez-nous dans votre vaisseau nous irons partout où vous irez. » Celui qui commandoit répondit : « Nous vous recevrons avec joie ; nous n'ignorons pas ce qu'on doit faire pour des inconnus, qui paroissent si malheureux. » Aussitôt on les reçoit dans le vaisseau.

A peine y furent-ils entrés, que, ne pouvant plus respirer, ils demeurèrent immobiles; car ils avoient nagé long-temps et avec effort pour résister aux vagues. Peu à peu ils reprirent leurs forces on leur donna d'autres habits, parceque les leurs étoient appesantis par l'eau qui les avoit pénétrés, et qui couloit de tous côtés. Lorsqu'ils furent en état de parler, tous ces Phéniciens, empressés autour d'eux, vouloient savoir leurs aventures. Celui qui commandoit leur dit : « Comment avez-vous pu entrer dans cette île d'où vous sortez? elle est, dit-on, possédée par une déesse cruelle, qui ne souffre jamais qu'on y aborde. Elle est même bordée de rochers affreux, contre lesquels la mer va follement combattre, et on ne pourroit en approcher sans faire naufrage. » « Aussi est-ce par un naufrage, répondit Mentor, que nous y avons été jetés. Nous sommes Grecs; notre patrie est l'île d'Ithaque, voisine de l'Épire, où vous allez. Quand même vous ne voudriez pas relâcher en Ithaque, qui est sur votre route, il nous suffiroit que vous nous menassiez dans l'Épire nous y trouverons des amis qui auront soin de nous faire faire le court trajet qui nous restera, et nous vous devrons à jamais la joie de revoir ce que nous avons de plus cher au monde. >>

Ainsi c'étoit Mentor qui portoit la parole; et Télémaque, gardant le silence, le laissoit parler : car les fautes qu'il avoit faites dans l'île de Calypso augmentèrent beaucoup sa sagesse. Il se défioit de lui-même ; il sentoit le besoin de suivre toujours les sages conseils de Mentor; et, quand il ne pouvoit lui parler pour lui demander ses avis, du moins il consultoit ses yeux, et tâchoit de deviner toutes ses pensées.

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