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Brisez vos faibles dents sur leurs pierres funèbres.
Ah! de ces demi-dieux si les noms révérés

Par la gloire et le tems n'étaient pas consacrés,
Leur immortalité deviendrait votre ouvrage:
La calomnie honore en croyant qu'elle outrage.

Narcisse et Tigellin, bourreaux législateurs,
De ces menteurs gagés se font les protecteurs:
De toute renommée envieux adversaires,
Et d'un parti cruel plus cruels émissaires,
Odieux proconsuls, régnant par des complots,
Des fleuves consternés ils ont rougi les flots.
J'ai vu fuir, à leur nom, les épouses tremblantes;
Le Moniteur fidèle, en ses pages sanglantes,
Par le souvenir même inspire la terreur,
Et dénonce à Clio leur stupide fureur.
J'entends crier encor le sang de leurs victimes;
Je lis en traits d'airain la liste de leurs crimes;
Et c'est eux qu'aujourd'hui l'on voudrait excuser!
Qu'ai-je dit? On les vante! et l'on m'ose accuser!
Moi, jouet si long-tems de leur lâche insolence,
Proscrit pour mes discours, proscrit pour mon silence,
Seul, attendant la mort quand leur coupable voix
Demandait à grands cris du sang et non des lois!
Ceux que la France a vus ivres de tyrannie,
Ceux-là même dans l'ombre armant la calomnie,
Me reprochent le sort d'un frère infortuné,
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné!

L'injustice agrandit une âme libre et fière.

Ces reptiles hideux, sifflant dans la poussière,
En vain sèment le trouble entre son ombre et moi:
Scélérats! contre vous elle invoque la loi.

Hélas! pour arracher la victime aux supplices,

De mes pleurs chaque jour fatiguant vos complices,
J'ai courbé devant eux mon front humilié;
Mais ils vous ressemblaient: ils étaient sans pitié.
Si, le jour où tomba leur puissance arbitraire,
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frère1
Qu'au fond des noirs cachots Dumont avait plongé2,
Et qui deux jours plus tard périssait égorgé,
Auprès d'André Chénier avant que de descendre,
J'élèverai la tombe où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins et son doux souvenir,
Et sa gloire, et ses vers dictés pour l'avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée
Sous les feux du Lion ramènera l'année,
O mon frère! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l'hymne funèbre à tes mânes proscrits.
Là, souvent tu verras près de ton mausolée
Tes frères gémissans, ta mère désolée,

1. Voyez la notice historique de M. Daunou, OEuvres posth., tome I, page xv.

2. Dumont (André) s'est souillé de forfaits dans le département de la Somme, où il avait été envoyé en mission par la Convention nationale.

Quelques amis des arts, un peu d'ombre et des fleurs; Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.

Ah! laissons là nos jours mêlés de noirs orages: Voulons-nous remonter le long fleuve des âges? Partout la calomnie a de traits imposteurs

Du genre humain trompé noirci les bienfaiteurs. Contre leur souvenir elle ose armer l'histoire : Dans la nuit, sur le seuil du temple de mémoire, Elle veille et combat l'auguste vérité,

Qui s'avance à pas lents vers la postérité.
Aux intrigues de cour c'est elle qui préside;
Souvent elle embrasa de sa flamme homicide
Le tribunal auguste où dut siéger Thémis.
O juges des Calas, vous lui fûtes soumis.
Ses clameurs poursuivaient Abailard sous la haire,
L'Hospital au conseil, Fénélon dans la chaire,
Turenne et Luxembourg sous les tentes de Mars;
Denain même la vit sur les pas de Villars;
Et Catinat, couvert des lauriers de Marsailles,
Au lever de Louis la trouva dans Versailles.
Les Cévennes long-temps ont redouté sa voix;
Elle guidait Bâville; elle inspirait Louvois.
N'est-ce pas elle encor qui, dans Athène ingrate,
Exilait Aristide, empoisonnait Socrate;
Qui dans Rome opprimée égorgeait Cicéron,
Ouvrait les flancs glacés du maître de Néron?
Elle espéra flétrir de son poison livide

OEuvres anciennes. III.

La palme de Virgile et le myrte d'Ovide.
Si l'arrêt d'un tyran fait massacrer Lucain,
Chez un peuple asservi chantre républicain;
Du vulgaire envieux si la haine frivole
A l'Homère toscan ferme le capitole;

Si je vois du théâtre et l'amour et l'orgueil,
Molière, admis à peine aux honneurs du cercueil;
Milton vivant proscrit, mourant sans renommée,
Et la muse du Tage à Lisbonne opprimée;
Helvétius contraint d'abjurer ses écrits;

Le Pindare français, loin des murs de Paris
Fuyant avec la gloire, et cherchant un asile;
Les cités se fermant devant l'auteur d'Émile;
Sur l'éternel fléau de leurs jours malheureux
J'interroge en pleurant ces mortels généreux :
Leurs mânes irrités nomment la calomnie.
On ne vit pas toujours son audace impunie.
Pope chez les Anglais, Voltaire parmi nous,
Souillés des noirs venins de ses serpens jaloux,
Repoussant les conseils d'une molle indulgence,
A leurs vers enflammés dictèrent la vengeance.
Guidé par le plaisir vers ces divins écrits,
Le lecteur indigné confond dans son mépris
Les Blackmores français, les Frérons d'Angleterre;

1. Blackmore (Richard), littérateur anglais, et auteur de plusieurs poèmes presque tous morts-nés. Addisson cependant ne lui refusait pas quelque talent; il fit même l'éloge de son poème

L'avenir tout entier leur déclare la guerre;
Pour l'effroi des méchans, un immortel burin
Grava ces noms flétris sur des tables d'airain.
O poètes de l'homme, et mes brillans modèles,
Ainsi
que vous noirci de crayons infidèles,

A Windsor, à Ferney, sous de rians berceaux,
J'irai de vos couleurs abreuver mes pinceaux;
Et si, dans les transports d'un délire homicide,
Prenant leurs faibles traits pour les flèches d'Alcide,
Langlois, Beaulieu, Crétot, Souriguière, Fantin,
Ont par la calomnie illustré mon destin,

Fantin, Crétot, Beaulieu, Langlois et Souriguière,
Entourés tout-à-coup d'une affreuse lumière,
Au défaut du carcan, qu'ils ont trop mérité,
Subiront dans mes vers leur immortalité.

Quel sujet de vengeance arma ces doctes plumes,
Noircit tant de journaux, salit tant de volumes?
Des sots de mon pays ai-je été l'oppresseur?
M'a-t-on vu gourmander, dans un vers agresseur,
De ces nains orgueilleux la grotesque insolence?
Je lisais Roederer, et bâillais en silence;
Je supportais Lézai 2, ce pédant jouvenceau,

de la Création. Mais Blackmore eut le sort de Fréron : il fut sans cesse en butte aux sarcasmes de ses plus illustres contemporains. 1. Crétot, obscur folliculaire. Beaulieu travaillait au Miroir. 2. Lézai (Adrien, Marnezia, marquis de), auteur de plusieurs

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