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saura bien le découvrir. Tout va de mal en pis : les saisons sont changées, il n'y a plus d'été, plus de ces bonnes chaleurs d'autrefois : pour sûr on fera cette année la plus pitoyable des récoltes. Le monde qu'il se représente sous l'influence de son malheureux caractère est plein d'intrigants et de fourbes: autant vaudrait la forêt de Bondy ou une caverne de voleurs. Son dernier enfant a l'intelligence précoce: mauvais signe, à vingt ans il ne sera plus qu'un sot. Elle tarde, au contraire, à se développer: « qu'en ferons-nous, dit-il, et à quoi sera-t-il bon? Il faut, dès maintenant, songer à lui faire des rentes. Travaille, pauvre père, pour ceux qui ne sauraient vivre de leur travail. Mais aussi quelle folie de se marier, et qui s'en est jamais trouvé bien ! >>>

La guerre l'a ruiné, la paix ne le rétablira pas; il est le seul auquel on n'ait payé qu'une indemnité dérisoire : tous les passe-droit, tous les dénis de justice sont pour lui et pour les siens. L'aîné de ses fils passe pour réussir assez bien dans son commerce : « attendons la fin, dit-il, et qui sait d'ailleurs le fond des choses! » L'été se comporte on ne peut mieux, et la chaleur venue en son temps est assez forte : << tout sera brûlé, nous ne récolterons que des cendres. » Il pleut quelques jours de suite: « c'est un vrai déluge; courez, mes amis, après vos foins que la rivière emporte. Ah! les belles moissons que vous allez rentrer . . . . . à la Saint-Martin! Le bon vin! et comme la

force de son alcool va faire éclater vos cuves! Bon ou mauvais d'ailleurs, encore deux ou trois ans, et je défie qu'on en trouve une seule bouteille le phylloxera aura tout rongé, tout ravagé, tout détruit. » On lui adresse un compliment mérité, quelques paroles aimables on se moque, on en veut à sa bourse. On lui donne, avec tous les ménagements possibles, un avis utile: « de quoi se mêle-t-on? Voilà bien les jaloux, les envieux; ne sauraient-ils me laisser en paix! >>

Ces quelques traits recueillis au hasard sont du pessimiste d'autrefois semblable en plus d'un point au pessimiste d'aujourd'hui : peut-être ai-je tort de dire qu'il a changé, je reconnais mon erreur. La cause en est qu'un faux frère a usurpé son nom, et d'une fàcheuse disposition d'esprit a fait une philosophie pleine de mensonges. Plus de misanthropie dont la rude franchise n'était pas toujours si déplaisante, où la haine du vice avait du moins sa place, plus d'indignation vertueuse contre les hypocrites et les méchants. Pour le pessimiste

contemporain, postérité bàtarde de Çakya Mouni et des boudhistes de l'Inde, la distinction du bien et du mal, du vice et de la vertu, grossière illusion, pure chimère. Il n'y a dans le monde ni hommes de bien ni pervers, mais seulement une immense et universelle douleur, une souffrance infinie, croissante, incurable. Il faut y échapper par la mort volontaire, et si le genre humain comprend un jour ses véritables intérêts, par un suicide universel. Quelques-uns, les faibles d'esprit, les naïfs, plus souvent les victimes de la passion ou du désespoir, se sont tués, en autorisant leur crime de ces perfides leçons. Mieux avisés, plus prudents, les maîtres, les docteurs se contentent de prêcher la mort, en vivant le plus longtemps et le plus agréablement qu'ils peuvent. En réalité ces pessimistes de plume et de cabinet ne sont ni pessimistes, ni misanthropes, ils n'en ont pas la sincérité. Orgueilleux, pleins d'eux-mêmes ils sont avides des louanges que les hommes distribuent à tort et à travers. Cette vie dont ils voudraient tarir la source, dont ils souhaitent ardemment la fin, ils savent en jouir comme les plus habiles Épicuriens. Rendons cette justice aux vieux, aux vrais pessimistes de ne pas les confondre avec eux. (c. III.)

LA SAISIE-ARRÊT SUR SOI-MÊME

Par M. Jean APPLETON,

Chargé de Cours à la Faculté de Droit de Grenoble1.

L'article 1291 du Code civil exige, pour que la compensation légale s'opère, que les deux dettes qui se pénètrent et s'annihilent jusqu'à concurrence de la plus faible, soient également liquides et exigibles. On a souvent critiqué la sévérité que montre ici la loi. Sans rechercher si les précédents historiques, si même le souci de déjouer les prétentions purement moratoires d'un débiteur aux abois, n'expliquent pas dans une certaine mesure les dispositions de l'art. 12912, nous devons constater que ses exigences, et surtout celle de la liquidité des deux dettes à compenser, offrent en pratique de sérieux inconvénients. Les mettre rapidement en lumière, et exposer un curieux moyen par lequel les praticiens se sont efforcés d'y remédier, tel est l'objet de cette étude.

I

Primus et Secundus sont réciproquement créanciers l'un de l'autre; mais je suppose que la créance de Primus contre Secundus soit

'M. Appleton, qui appartenait comme chargé de cours à la Faculté de Droit de Grenoble au moment où il a écrit cet article, est aujourd'hui agrégé des Facultés de Droit, et attaché, en cette qualité, à la Faculté de Lyon (N. D. L. R.). 2 Voir sur ces points l'ouvrage tout récent de M. C. Appleton sur l'Histoire de la Compensation en droit romain.

liquide et exigible, tandis que celle de Secundus contre Primus n'est pas liquide. Pour plus de simplicité, je supposerai les deux parties en présence également munies de titres authentiques et exécutoires : Primus est porteur d'une obligation notariée, Secundus est muni d'un jugement condamnant Primus à lui payer des dommages-intérêts à fixer par état. Aucune compensation ne peut actuellement s'opérer entre les deux dettes. Mais alors, Primus va pouvoir forcer Secundus à le payer, puis dissiper l'argent, et, lorsque Secundus aura fait liquider sa créance, il ne trouvera plus devant lui qu'un débiteur insolvable. De même, Primus pourra céder sa créance à un tiers, qui signifiera la cession à Secundus. La compensation deviendra désormais impossible, et, lorsque la créance de Secundus sera devenue liquide par la fixation en justice du quantum des dommages intérêts, celui-ci, obligé de verser entre les mains du cessionnaire le montant de sa dette, sera réduit à réclamer son paiement à un débiteur peutêtre hors d'état de s'acquitter. Enfin, on peut supposer que la somme due par Secundus à Primus soit frappée de saisie-arrêt, par les créanciers de ce dernier, entre les mains de Secundus. Dès cet instant, aucune compensation ne peut plus s'opérer entre la dette de Primus et celle de Secundus. Celui-ci aura donc beau faire liquider sa créance, il arrivera trop tard pour profiter d'une compensation qui eût anéanti les deux dettes. Lorsque la saisie-arrêt sera validée, Secundus sera obligé de vider ses mains entre celles des créanciers de Primus, et n'aura plus que son recours contre un débiteur peut-être

insolvable.

Ces solutions apparaîtront comme moins équitables encore si l'on suppose la créance de Secundus parfaitement liquide, alors que celle de Primus ne l'est pas. Une créance non liquide peut être cédée ; elle peut être frappée de saisie-arrêt; dans les deux cas, la situation de Secundus sera compromise.

Ces graves inconvénients ne se présentent guère dans les législations qui, comme celles de l'Allemagne, reconnaissent au créancierdébiteur une sorte de droit de rétention renforcé sur sa propre dette pour sûreté de sa créance, tout au moins lorsque les deux créances réciproques sont unies par un certain lien de connexité, ou sont toutes deux de nature commerciale. Dans ce système, Secundus est garanti par sa propre dette. Si sa créance n'est pas liquide, il pourra retenir entre ses propres mains la somme qu'il doit à Primus, jusqu'à la

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