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douleur sincère, de vraic sensibilité, qui nous montre que l'ambition n'a pas encore tout à fait desséché le cœur de Wallenstein.

Rien ne caractérise mieux l'aveuglement moral du duc de Friedland que la scène entre lui et Max Piccolomini, venu pour faire ses adieux suprêmes à sa fiancée Thecla, fille du duc. Wallenstein emploie les arguments les plus pressants, les plus irrésistibles à son sens, pour décider Max à embrasser son parti. Il lui rappelle les petits soins qu'il a eus jadis pour lui, alors que simple cornette, presque enfant encore, le jeune Italien était pour la première fois venu en Allemagne, parmi les rigueurs d'un terrible hiver. Il lui rappelle l'affection dont il n'a cessé de l'entourer, et accuse hautement le jeune colonel d'ingratitude. Il se figure que Max hésite simplement entre deux affections, deux penchants l'attachement à son empereur et l'attachement à son général. Dès lors, quoi de plus naturel de sa part que d'espérer attirer Max de son côté, en dépeignant sous des couleurs aussi vives que possible leur mutuelle affection. Max, à son gré, doit nécessairement incliner vers le parti de celui auquel le rattachent des liens d'amitié les plus puissants. Il est trop évident que la véritable portée du débat échappe absolument au duc de Friedland. Il s'imagine qu'il s'agit pour Max de choisir entre deux sentiments différents par le degré, non par essence. Pour lui, c'est une simple question de plus ou de moins. Il ne se doute pas que, si Max l'abandonne pour rester fidèle à l'empereur, c'est qu'il obéit au devoir, car pour Wallenstein le mot devoir est vide de sens. Il est complètement aveuglé par l'égoïsme et par les sophismes de l'ambition: il ne se rappelle vraiment plus que l'honneur militaire prescrit impérieusement au jeune officier de se ranger, quoi qu'il lui en coûte, sous les drapeaux de son souverain légitime, et d'abandonner un usurpateur et un traître au sort qu'il a lui-même choisi. Il est fort étonné et même indigné de voir ses objurgations rester sans effet, et dans son dépit, il s'abaisse jusqu'à attribuer la détermination de Max à de vils motifs d'intérêt personnel.

L'habitude de tout ramener à soi, le monstrueux égoïsme qui est l'un des traits caractéristiques de tous les grands ambitieux de tous les temps, a pour conséquence naturelle de rétrécir l'horizon moral. L'ambitieux, qu'il s'appelle Wallenstein, César ou Napoléon, ne voit que son but, la satisfaction de sa passion, et il y marche à travers tous les obstacles, foulant aux pieds les vulgaires considérations mo

rales, qui pour lui sont de simples préjugés. Une passion unique, exclusive, oriente toutes les forces vives de l'individu dans une même direction, rend l'homme sourd à l'appel de la conscience et de la raison, et produit les plus singulières déformations de la vision morale. Les proportions réelles des choses sont outrageusement renversées. L'individu présent, actuel, tout petit dans la réalité par rapport à l'ensemble des hommes et à la longue suite des générations, grossit et s'enfle démesurément jusqu'à occuper à lui seul tout l'horizon. Le Wallenstein de Schiller ne fait pas exception à la règle. Non pas que le poète ait fait de son héros un monstre de tout point. Le duc de Friedland est un homme, et comme tel, capable de bons sentiments aussi bien que de viles passions. Il aime vraiment sa fille, encore que d'une façon un peu particulière, où son insatiable ambition trouve encore son compte. Thécla, pour lui, est comme la personnification de l'éclat souverain où il aspire, et ce qu'il aime en elle, c'est surtout la future réalisation de ses projets, dont à ses yeux elle est la vivante incarnation. D'autre part, il est sincèrement attaché aux deux Piccolomini. La trahison d'Octavio le remplit d'une tristesse qui, au premier abord, étonne de la part d'un homme aussi complètement absorbé par l'égoïsme et l'ambition. La mort de Max lui cause une douleur poignante, mais à laquelle se mêle une sorte de sentiment superstitieux. Max est pour lui comme le symbole de sa jeunesse et de son bonheur; il le considère un peu comme une sorte de fétiche, comme un sûr garant des faveurs de la fortune.

D'un autre côté, à une époque où les passions religieuses déchaînées ont armé la moitié de l'Europe contre l'autre moitié, et ont fait de l'Allemagne un champ de carnage et de désolation, Wallenstein est exempt de toute intolérance. Son armée comprend des gens de tous les pays et de toutes les religions, des luthériens aussi bien que des catholiques. Quand un volontaire vient s'engager dans ses troupes, on ne lui demande pas d'abord une profession de foi. Pourvu qu'il soit robuste, audacieux et entreprenant, il est reçu à bras ouverts et peut espérer arriver aux grades les plus élevés. Cette tolérance, qui naturellement ne va pas sans une certaine indifférence, un certain scepticisme, Wallenstein s'en vante hautement : « Livre de messe ou Bible, dit-il, ce m'est tout un. » Il est même si bien disposé à reconnaître l'égalité des cultes que lui, le généralissime de l'armée impériale, le lieutenant du très catholique Ferdinand, de l'élève des

Jésuites, de l'implacable ennemi du protestantisme, il a fait à Glogau batir une église pour les Luthériens. On conçoit combien un pareil trait lui a valu d'anathèmes à la cour de Vienne. Cette indifférence sceptique, elle aussi, n'a rien que de naturel : l'ambitieux est trop absorbé par sa passion pour que la religion, ou ce qui se pare de ce nom, puisse avoir prise sur lui, à moins toutefois qu'il espère faire de la passion religieuse l'instrument de son ambition. Mais tel n'est pas le cas de Wallenstein, qui se trouve au contraire placé entre deux religions dont les zélateurs s'excommunient et s'exterminent pour la plus grande gloire de Dieu, et qui espère rallier autour de son nom les hommes sages et modérés des deux partis.

Le scepticisme religieux de Wallenstein, qui est évident, ne l'empêche pas d'ailleurs d'être profondément superstitieux. Faute d'autre foi, il a, comme Napoléon, foi en son étoile, et se convainc sans peine que le ciel s'occupe de lui tout spécialement, comme d'une créature d'élection, digne d'une sollicitude particulière, et qui ne saurait évidemment être confondue avec la tourbe vulgaire des humains. D'autre part cependant, il croit à un destin envieux, qui jalouse les hommes, et se plaît à rabaisser ceux qui tendent à s'élever au-dessus du niveau moyen. A la comtesse Terzky, qui triomphe en voyant son beau-frère mettre enfin un terme à ses hésitations, et se décider à faire les démarches irréparables, il conseille, d'un ton sévère et grave, d'attendre l'issue des événements avant de laisser libre cours à l'exubérance de satisfaction: « Ne vous livrez pas à l'ivresse de la joie, lui dit-il, car les puissances du destin sont jalouses. Triompher avant le temps, c'est empiéter sur leurs droits. Nous déposons la semence entre leurs mains. Produira-t-elle le bonheur ou le malheur? La fin seule nous l'apprendra. >>

En somme, Schiller s'est tenu parole à lui-même il n'a pas cherché à idéaliser son héros, ni à le rendre sympathique en atténuant les fautes que Wallenstein a commises. Mais en dépit des faiblesses qu'il lui prête -- et qui sont d'ailleurs historiques, en dépit des taches trop visibles qui déparent son caractère, en dépit de son égoïsme révoltant, de sa félonie impudente et avérée, enfin en dépit de l'horreur légitime qu'inspire naturellement un traitre, le duc de Friedland n'en reste pas moins digne d'être le protagoniste de cette tragédie, ou de ce groupe de tragédies, qui est peut-être ce qu'il y a de plus vivant. dans tout le théâtre de Schiller. Il en est digne par la grandeur indé

niable de sa personnalité, qui domine de haut tous ceux qui l'entourent, par cette impression à laquelle ni le lecteur, ni le spectateur ne peuvent se soustraire, qu'on se trouve en présence d'un homme vraiment supérieur, qui incarne en lui toute une époque, et devant qui s'inclinent les fronts les plus altiers. Et ce qui prouve que cette grandeur est de bon aloi, qu'elle n'est ni factice, ni artificielle, c'est qu'elle résiste aux disgraces de la destinée, c'est que l'adversité ne fait que la rehausser davantage. Ce n'est pas une gasconnade ni une hâblerie, mais la pure expression de la vérité, quand Wallenstein, abandonné par toute son armée, s'écrie: « Vous avez déjà éprouvé ce qu'un homme peut valoir. Vous avez enlevé à l'arbre la parure de ses rameaux me voici tel qu'un tronc dépouillé! Mais au cœur, dans la moelle de la tige, vit la force créatrice, qui a fait naître et sortir d'elle tout un monde. »>

LE DÉVELOPPEMENT DE LA JURISPRUDENCE

EN MATIÈRE DE DIVORCE DEPUIS 1884

Par M. Joseph HITIER,

Chargé de cours à la Faculté de Droit de Grenoble.

(Suite et fin.)

Il n'est pas plus difficile d'expliquer encore par la notion d'injure largement comprise la décision de l'article 232 visant la condamnation à une peine afflictive et infamante. Le mariage implique solidarité complète au point de vue moral entre les époux. La condamnation et la honte qui en découle pour le condamné rejaillisent sur l'innocent dont le sort est lié à celui du coupable, d'où, pour le premier, préjudice moral toujours, matériel même assez souvent.

Enfin il est à peine besoin d'indiquer que la troisième cause de divorce, que l'article 231 range sous le chef d'excès, sévices et injures graves, correspond encore à l'idée de dommage causé au point de vue moral ou matériel. Il est donc permis de conclure, ce semble, que les différentes causes du divorce se ramènent à la notion d'injure. Peut-être sera-t-on tenté d'invoquer contre cette théorie la méthode même suivie par la loi. Si le Code a pris soin de séparer l'adultère, la condamnation à une peine afflictive et infamante, les excès, sévices et injures graves, c'est qu'il considère comme distinctes les causes que l'on tente de ramener à une seule. On peut répondre, avec beaucoup de vraisemblance, que l'objection ne porte pas et qu'en s'en tenant à l'idée d'injure comme explication de toutes les causes de divorce, on ne manque pas d'excellents motifs pour justifier les dis

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