le double avantage de faire son éducation d'ingénieur à l'école des ponts et chaussées, sous Perronet; et à l'école polytechnique, lors de sa formation, sous Monge, Lagrange et Prony. Nommé ingénieur ordinaire, il fut successivement attaché au ministère de la marine et à celui de l'intérieur. A peine élevé au grade d'ingénieur en chef, il justifia cet avancement par la construction du pont en fer d'Austerlitz (1806), et du pont en pierre d'léna (1807). Ce pont, comme celui de Neuilly, est horizontal; il se fait admirer par l'élégance des formes et la hardiesse de la construction. En 1812, Lamandé fut chargé de continuer le pont de Rouen, commencé sur les dessins de l'ingénieur le Masson, frère du célèbre sculpteur. Il revint à Paris, en 1815, avec le grade d'ingénieur en chef du département de la Seine. Il en remplit si bien les fonctions difficiles, qu'il fut récompensé en 1835 par le grade d'inspecteur général. Après quarante-quatre ans de services non interrompus, il est mort à Paris, le 1er juillet 1837, lorsqu'il venait de terminer un mémoire sur les moyens à employer pour la fondation des constructions hydrauliques. Ce mémoire a été imprimé, en 1838, dans les Annales des ponts et chaussées, t. 15, p. 257. F-LE. LAMANNA (JÉRÔME), peintre et poëte célèbre du 16 siècle, naquit à Catane, en Sicile, vers l'année 1580. Comme poëte il est connu par des rime, insérées dans le recueil intitulé Poesie de'Signori accademici fantastici di Roma. Il a fait imprimer à part Licandro, tragi-comedia; pastorale, idillj, rime, etc. Mais c'est surtout comme peintre qu'il est célèbre. Il mourut en 1640, laissant d'excellents tableaux dont plusieurs se voient encore dans les galeries napolitaines. P-s. LAMANON (ROBERT DE PAUL, chevalier DE), naturaliste correspondant de l'Académie des sciences de Paris et membre de celle de Turin, naquit en 1752 à Salon, en Provence, d'une famille noble (1), mais peu favorisée des biens de la fortune. Ses parents le destinaient à l'état ecclésiastique; et après avoir fait sa philosophie au séminaire de St-Charles, à Avignon, et sa théologie au grand séminaire d'Arles, il obtint un canonicat; mais sa passion pour la physique et pour les mathématiques l'engagea en 1774 à résigner ce bénéfice, afin de se ménager plus de liberté dans ses travaux et dans ses opinions. Il se livra dès lors avec une grande ardeur à l'histoire naturelle. D'un tempérament robuste et d'une haute stature, il lui fut aisé de parcourir à pied les contrées les plus âpres de la Provence, du Dauphiné, de la Suisse, et une grande partie de la chaîne des Alpes et de celle des Pyrénées. Ces voyages durèrent plusieurs années. Dans un séjour momentané à Turin, il fit voir l'expérience alors nouvelle d'un (1) Bertrand III, de Allamanon, mort en 1295, sénéchal de Provence, était l'un des meilleurs troubadours de son temps. (Voy. les Vies des plus célèbres el anciens poêles provençaux, par J. Nostradamus, Lyon, 1575, p. 167.) ballon aérostatique. Étant venu de bonne heure à Paris, il s'y était lié avec Court de Gebelin et d'autres amateurs des sciences, auxquels il s'était joint pour fonder une société qui subsista pendant quelque temps sous le nom de Musée. Les premiers résultats de ses observations furent insérés dans le Journal de physique. On y trouve de lui, en 1780, un Mémoire sur des ossements fossiles de tortues des carrières d'Aix, en Provence. En 1781, il annonça de grands ossements de cétacés, découverts dans la rue Dauphine, à Paris, en creusant une cave. Dans un troisième mémoire en 1783, il décrivit et représenta quelques-uns des ossements fossiles que l'on trouve journellement dans le plâtre de Montmartre, entre autres un ornitholithe, et la tête de l'espèce d'animal que Cuvier a nommé depuis palæotherium. Dès l'année d'auparavant, 1782, il avait fait remarquer que les pierres gypseuses contiennent des coquillages d'eau douce. Ce fait l'avait même engagé, dit-on, à imaginer un système particulier sur la théorie de la terre. Il supposait que la surface actuelle des continents a été longtemps occupée par des espèces de lacs ou de grands étangs à différents niveaux, qui se sont desséchés successivement en rompant leurs digues et en laissant écouler leurs eaux vers la mer. Il attribuait la formation des vallées aux fleuves qui les parcourent; et cet immense amas de cailloux roulés, si célèbre sous le nom de la Grau de Provence, lui paraissait spécialement dû à la Durance, qui, selon lui, avait coulé autrefois dans cet endroit. Une comparaison exacte qu'il avait faite des cailloux de la Crau et de ceux qu'entraînent les divers ruisseaux qui se rendent à la Durance lui avait suggéré cette idée. Il se proposait de développer son système dans un grand ouvrage sur l'origine et la formation des montagnes et des vallées, dont l'annonce fut insérée au Journal de physique à la fin de 1780. Mais avant d'y avoir mis la dernière main, son ardeur pour les recherches et les observations' le détermina, sur l'invitation de Condorcet, à partir comme naturaliste dans la malheureuse expédition de la Pérouse, sans vouloir accepter de traitement, parce qu'il désirait conserver sa liberté et pouvoir quitter l'escadre s'il le jugeait plus convenable à ses projets. On sait qu'elle se compósait de deux frégates, la Boussole et l'Astrolabe, et qu'elle mit à la voile le 1er août 1785. Lamanon était embarqué sur la Boussole. Le 24 de ce même mois d'août, il fit avec Mongez le jeune, sur le pic de Ténériffe, des observations de physique et de minéralogie qu'il envoya au Journal de physique; elles y sont imprimées dans le deuxième volume de 1786. Plusieurs des officiers et des matelots de l'expédition ayant fait naufrage au port des Français, sur la côte nord-ouest de l'Amérique, le 13 juillet 1786, Lamanon composa l'inscription qui fut enfermée dans une bouteille au pied de leur cénotaphe. Lui-même était destiné à devenir victime d'un événement non moins fu neste. Delangle, commandant de l'Astrolabe, était, débarqué avec plusieurs hommes de l'équipage le 10 décembre 1787, à l'île de Maouna, l'une de celles de l'archipel des Navigateurs, pour faire de l'eau: Lamanon et d'autres naturalistes s'étaient empressés de l'accompagner pour faire des recherches. Delangle, Lamanon et quelques-uns de leurs camarades furent cruellement assaillis et massacrés par les habitants. On a imprimé, à la suite de la relation du voyage de la Pérouse, un mémoire de Lamanon sur les poulettes ou térébratules de la mer de Tartarie, et un autre sur une corne d'ammon qu'il avait trouvée dans l'estomac d'une bonite. Ces écrits et quelques observations contenues dans des lettres également imprimées à la suite de ce voyage donnent une idée avantageuse de ce que cet ardent naturaliste aurait pu faire pour la science, si sa carrière n'avait pas été terminée avant le temps d'une manière si triste. On trouve encore de lui, dans le recueil du Musée de Paris, une Notice sur Adam de Crapone, habile ingénieur (voy. CRAPONE), un mémoire sur la théorie des vents, et notamment sur le mistral de Provence, un autre sur les crétins, un sur le déplacement des fleuves, etc.; et dans les Annales des voyages (t. 3, p. 291), une Notice sur la plaine de la Crau, tirée de ses papiers inédits, avec un précis de sa vie, par Depping: mais le plus rare de ses ouvrages, et qui est même une des plus singulières curiosités bibliographiques, est son Mémoire litho-géognosique sur la vallée de Champsaur et la montagne de Drouveirre dans le haut Dauphiné, Paris, 1784, in-8°. Ayant reconnu dans ce livre des erreurs considérables, il en détruisis l'édition, à la réserve de douze exemplaires, dont la plus grande partie même périt avec lui. M. Ponce a fait insérer dans le Magasin encyclopédique, troisième année, t. 4, p. 43, un Eloge de Lamanon, qu'il avait lu à la société libre des sciences, lettres et arts, le 9 vendémiaire an 6, et qui se trouve aussi dans l'édition in-8° des Voyages de la PéC-V-R. rouse. LAMAQUE (1), en latin Lamachus, général athénien du 5e siècle avant notre ère, est un de ces personnages auxquels ni Plutarque ni Cornélius Népos n'ont songé à consacrer un article spécial et dont en conséquence les lexicographes et biographes modernes ont ou manqué ou négligé la physionomie. Cependant divers passages épars dans Thucydide, dans Diodore, dans Justin, dans Frontin, dans Polyen, dans Plutarque lui-même, et surtout dans Aristophane (2), où Lamaque (1) Amyot écrit Lamachus comme Lysimachus, etc., formes qui ne sont ni grecques ni françaises, et que réprouve le génie de notre langue. Les terminaisons en us sont, on le sait, étrangères au grec; et, chez nous, lorsque, après la substitution de l'e muet à la flexion de déclinaison, le radical restant renferme plus d'une syllabe, on n'exprime en syllabes sonores que le radical. Aujourd'hui, on lit partout Lysimaque, Callimaque, Nicomaque, Constantin Monomaque, Télémaque et Lamaque. (2) Thucydide, liv. 6. Diodore, liv. 12 (p. 120 de l'éd. Rodeman, Hanau, 1634. et surtout liv. 13 (p. 134). - Plutarque, Vie d'Alcibiade et Vie de Nicias. Aristophane dans les Acharniotes et la Paix. revient souvent et occupe des scènes entières, donnaient moyen de la recomposer. Sabbathier de Castres, dans trois articles distincts sur trois Lamaque (1), dont toutefois il finit par apercevoir ou soupçonner l'identité, et dans un autre sur un quatrième, qui est plus évidemment encore un des trois premiers (2), n'a pas même préludé à cette tâche. Lamaque était le fils d'un Xénophane; et ce n'est que par un de ces jeux de mots du genre de ceux qu'il aime à multiplier qu'Aristophane l'appelle tov Topyacou, évidente allusion à la Gorgone (τὴν Γοργόνα, τὴν Μορμόνα; et π yopyolópa) en relief sur son bouclier. Rien n'indique à quelle tribu, à quel dème il appartenait; mais on ne peut douter qu'il fût Athénien et d'origine citoyenne étranger ou métèque, il ne serait point parvenu au commandement (3); et l'impitoyable comique, objet lui-même de tant d'attaques comme faux Athénien, n'eût pas manqué de signaler le même défaut chez le général. Lamaque dut nattre de 472 à 465 avant J.-C.;. il pouvait être dans sa dix-huitième année quand Cimon mourut au siége de Citium (451). Sa pauvreté, son peu de goût pour les travaux du commerce, de l'industrie, de l'agriculture ou des mines, et la médiocrité de ses dispositions intellectuelles ne laissaient pas d'autres voies ouvertes à son activité. En revanche il avait toutes les qualités qui constituent un militaire: hardi, robuste, brave, aimant le bruit et l'éclat, bien qu'aimant aussi ses aises et le plaisir, très-haut de taille et la rehaussant probablement par ces triples aigrettes sur lesquels Aristophane est intarissable, il ne pouvait qu'être excellent soldat. On peut croire que sur-le-champ, ou peu s'en faut, il fit partie d'un corps d'élite, et même d'un corps à cheval le plaisant diminutif xxïpe, Aapayınлíov par lequel le désigne Aristophane, au lieu de dire Δαμαχίδιον, n'est pas le seul indice (1) Il y en a même cinq. Mais celui qu'il place le quatrième n'est point un général : c'est tout simplement le sophiste don t nous-même dirons un mot à la fin du présent article. Quant au cinquième, voy. la note suivante. (2) Ce quatrième (ou 5) Lamaque, suivant le lexicographe, aurait vécu vers 300 avant J.-C. et manqué une expédition sur Héraclée, fidèle alors à l'alliance d'un roi de Perse, d'un GrandRoi. La méprise est inconcevable, car la monarchie des GrandsRois cessa dès 330 avec Darius Codoman, et en 300 régnait le premier des Séleucides, Séleucus Nicator. D'autres circonstances d'ailleurs montrent bien qu'il faut remonter de deux siècles et dire vers 500 avant J.-C., indication moins grossièrement fautive, mais fautive encore, car en 500 Athènes n'avait nulle relation avec les Grands-Rois. La vraie date dut tomber de 475 à 400; et, ceci posé, la moindre attention nous ramène à notre Lamaque et à l'an 426. L'erreur du reste n'est pas le fait du hasard elle est complète et fondamentale. Sabbathier, malgré la flagrante identité des faits (car ceci n'est point de l'analogie, c'est de l'identité), n'a pas, comme pour les trois premiers Lamaque, émis le soupçon de l'identité des personnages; et la place qu'il donne au Lamaque en question (la 5e, après Lamaque sophiste et panégyriste d'Alexandre), démontre qu'il l'a cru chronologiquement postérieur à ce dernier. (3) Nous ne prétendons pas que, seule, cette origine étrangère suffit pour exclure infailliblement: Nicias, Cléon, passaient pour étrangers. Mais Nicias était le plus riche citoyen de l'Attique; Cleon ne fut promu au commandement que par un caprice de la démagogie athénienne, qui prit au mot une de ses forfanteries (et d'ailleurs on sait combien on aurait tort de prendre à la lettre les jeux de mots de l'auteur des Chevaliers, sur le Paphlagonien. Cléon était vraiment citoyen). les parages où il était envoyé par l'expédition de Sinope. Son escadre était de dix vaisseaux. On ne saurait dire s'il alla plus loin qu'Héraclée, et conséquemment s'il remplit toute la mission que nous lui supposons. Mais un grand désastre l'assaillit dans cette ville. Un ouragan épouvantable grossit subitement la petite rivière de Calex, dont l'embouchure formait le port d'Héraclée, et imprima de telles secousses aux vagues que les vaisseaux de Lamaque chassèrent sur leurs ancres, et, se heurtant les uns contre les autres, furent fracassés et mis en pièces. Lamaque et tout son corps d'armée, contraints de se réfugier sur la côte, devinrent, dit-on, prisonniers des Héracléotes, qui toutefois les laissèrent reprendre par terre la route du Bosphore. Mieux vaut dire, ce nous semble, que presque cernés par les Héracléotes, mais déterminés à se bien défendre, Lamaque et ses hommes obtinrent ou subirent une capitulation, dont les deux articles furent l'évacuation de la rive de l'Euxin par les Athéniens, mais liberté de faire en paix leur retraite. Ils eurent des guides, c'est-à-dire que les Héracléotes voulurent être sûrs par eux-mêmes de leur éloignement. Ils traversèrent ainsi, accompagnés et surveillés, le pays montueux des Thraces Bithyniens, non sans crainte d'être harcelés par ces farouches indigènes, et atteignirent la ville de Chalcédoine. Cette catastrophe, où rien n'indique que Lamaque ait eu des reproches à se faire, ne l'empêcha sans doute pas d'être employé les six qu'en fournissent les Acharniotes; et il est peu vraisemblable qu'il ne soit devenu cavalier qu'en arrivant aux premiers grades. Quoi qu'il en puisse être, les nombreuses hostilités qui, dès la fin de la lutte médique, mirent les Ioniens et les Doriens aux prises sur tant de points, et qui, élevant de jour en jour la puissance athénienne, préludèrent à la guerre du Péloponèse, offrirent souvent à Lamaque l'occasion de signaler son intrépidité, de mériter et d'obtenir de l'avancement, de rendre son nom populaire. Nous ne saurions suivre exactement ses pas dans cette carrière. Mais, en 441 au plus tard, sous l'administration de Périclès, avant la révolte et la réduction de Samos, nous le trouvons chargé de rendre la liberté à la colonie milésienne de Sinope, que gouvernait le tyran Timésiléon, c'est-à-dire d'intervenir, au nom du parti républicain de Sinope, contre le parti de la monarchie, et de frayer ainsi la voie au protectorat, à la domination d'Athènes sur cette opulente et puissante cité, une des positions les plus précieuses sur le Pont-Euxin. Lamaque réussit à merveille : non-seulement l'usurpateur fut renversé, mais ses partisans, les uns réduits à fuir, les autres exterminés ou dépouillés, laissèrent assez de terres vacantes pour que sept cents colons d'Athènes fussent dirigés sur la côte paphlagonienne pour s'y établir, et que la colonie milésienne devint athénienne. Quand la guerre du Péloponèse éclata, Lamaque trouva moyen de se faire confier au moins une de ces missions que nombre des petites puissances en Grèce et la né-ou, sept années suivantes; et il faut que sa répucessité de se coaliser pour le moindre déploiement de forces faisaient revenir fréquemment. Les députés avaient deux ou trois drachmes par jour, souvent ils étaient défrayés en partie sur la route. Il y a bien loin de là aux appointements des modernes ambassadeurs extraordinaires, mais au fond le principe était le même. Aristophane reproche à Lamaque d'avoir trouvé ces députations et surtout les allocations plus de son goût que les camps. Un an et quelques mois s'étaient écoulés depuis cette mission, quand Lamaque eut ordre d'aller lever le tribut que devaient ou ne devaient pas les villes alliées sur la côte de l'Euxin, et notamment de réduire à l'alliance (c'est-àdire à la soumission que déguisait le nom d'alliance) (1) la ville d'Héraclée, en liaison alors avec le Grand-Roi. Lamaque s'était déjà familiarisé avec (1) Il est désormais acquis à l'histoire qu'Athènes, Sparte, Thèbes, etc., dans leurs efforts pour former un grand Etat, suivaient la même méthode que Rome (bien qu'avec moins d'art et de vertus que Rome) et commençaient l'assujettissement par un protectorat nommé alliance. Les alliés du Peloponèse sont l'empire de Sparte; les alliés d'Athènes, c'est-à-dire toutes les petites puissances insulaires ou coloniales qui lui payaient tribut et lui dounaient des vaisseaux, voilà l'empire d'Athènes. Et la politique de Persépolis à partir de ce temps, c'est de relâcher le protectorat, en d'autres termes, c'est de faire sortir les alliés de l'alliance. En sortir était en quelque sorte se révolter. Les révoltes es Latins contre Rome ne furent jamais autre chose. Le traité d'Antalcidas brisait ainsi les alliances inégales: Flamininus en 197 aux jeux Isthmiques les brisa de même, mais avec des moyens autrement puissants, pour mettre en voie d'exécution le décret. tation n'ait fait que s'accroître, puisque (1), lorsque la seconde expédition de Sicile fut décrétée, lui qui n'avait pas le moyen d'acheter des suffrages et pour qui l'on ne peut supposer que, soit Alcibiade, soit Nicias, les ait achetés, il devint leur collègue comme général en chef (2). Un tel commandement dut porter au comble son orgueil militaire, d'autant plus qu'ordinairement on confiait les grandes armées à dix généraux, parfait moyen pour faire la guerre au grand profit et à la joie de l'ennemi. On sait combien Nicias trou (1) Naguère avait eu lieu une intervention d'Athènes en Sicile, en faveur et à la requête de Leontium et d'Egeste contre Syracuse et Sélinonte, 427 avant J.-C.; mais elle n'avait duré que onze ans et avait amené les deux ligues belligérantes à une paix qui, en réalité, laissait Egeste et Leontium à peu près ouverts aux intrigues et à la domination de Syracuse, laquelle tendait à devenir la capitale et le centre d'un royaume de Sicile. De là, sur Egeste et sur Leontium, des mesures que l'on qualifia d'oppressives et qui firent invoquer derechef contre la prépondérance syracusaine une intervention d'Athènes. (2) Voy. Thucydide, 6, 8-26; Plutarque, Vie de Nicias, 17, et Vie d'Alcibiade, 21. - Dans une première assemblée le peuple d'Athènes élut les trois généraux. Nicias était le premier, Lamaque le troisième. Dans une seconde assemblée ( cinq jours après), on délibera sur les voies et moyens; et, après deux longs discours de Nicias, l'un sur l'inopportunité, sur les difficultés de la guerre, l'autre sur l'immensité des préparatifs nécessaires, on décerna des pleins pouvoirs aux généraux, et, sur la motion de Démostrate, on vota tout ce que Nicias regardait comme indispensable, sans s'arrêter à la dépense. Il fut ensuite délibéré, au sénat, sur ce qu'on ferait après la victoire : et, ne fût-ce que par cette délibération, il est clair que, si le décret de guerre voté au Pnyx ne parlait que des secours à donner aux Egestains et du rétablissement des Léontins, en réalité on voulait la conquête de la Sicile. vait la nouvelle guerre impolitique et dangereuse, tandis qu'au contraire Alcibiade en soutenait l'idée de toutes ses forces. Sans examiner à quel point Alcibiade est excusable, et louable peut-être, d'avoir lancé Athènes dans une voie où il ne s'agissait que de ne pas commettre des fautes grossières pour commencer à devenir un grand État, nous pouvons dire que Lamaque, dans la discussion qui précéda le départ, se déclara complétement du parti d'Alcibiade. Lamaque était l'homme qu'il fallait pour entretenir l'exaltation et l'ardeur du soldat. Au total, bien que Nicias ne méritât point le généralat et surtout la première place, pris en masse, et faute d'autres commandants, le triumvirat était un choix habile : ce que le génie d'Alcibiade avait de trop en hardiesse, en légèreté, la circonspection de Nicias pourrait et saurait le balancer; et cependant, comme ce qu'il fallait pour une conquête, but réel de l'expédition, c'étaient des succès frappants, rapides, Lamaque, plein d'expérience, de bravoure et de feu, était bien apte à faire pencher la balance du côté d'Alcibiade et du succès. Une fatalité cruelle voulut que la populace d'Athènes, toujours prête à revenir sur ses décisions raisonnables, mais obstinée dans ses folies, décrétât d'accusation Alcibiade, et par cela même l'arrachât au commandement. Dès lors il n'y eut en fait qu'un général. Lamaque, pauvre et sans consistance, fut absorbé par Nicias, et ne vit plus triompher ses idées sur le plan général, sur le choix des opérations. Mais, jusqu'au départ d'Alcibiade, tout avait parfaitement marché. On avait franchi Corcyre, rendez-vous général des contingents des alliés; puis, après avoir doublé le cap d'lapygie, on avait successivement atteint Tarente, Métaponte, Héraclée, Thurium, Crotone, Dascyléum, Locres, Rhegium. Crotone avait montré de bonnes dispositions aux Athéniens; Thurium avait ouvert ses portes et semblait décidée à une alliance. On touchait à la Sicile: là, Nicias voulait qu'on se rendit en ligne droite à Sélinonte pour contraindre cette ville à respecter l'indépendance d'Egeste, car tel était le but avoué de la guerre. Ni le politique Alcibiade, ni Lamaque, malgré sa simplicité, ne concevaient ce plan pitoyable. Selon le fils de Clinias, il fallait sonder au plus vite toutes les cités siciliennes, hormis Sélinonte et Syracuse, par des députés, détacher des deux dernières tout ce qu'on pourrait de Grecs, mais plus encore les Sicules de l'intérieur, se rendre maître de Messine, bon port et bon lieu de repos; puis, quand on saurait pour qui tiendraient les diverses puissances de la Sicile, on attaquerait et Syracuse et Sélinonte. Plus expéditif et plus hardi, le fils de Xénophane voulait qu'on tombat à l'instant même sur Syracuse, et qu'on frappât un grand coup, un coup décisif (1). Toutes ces idées étaient de la plus incon (1) Plutarque est donc plus que léger lorsque (Vie d'Alcib., p. 24) il semble croire qu'il n'y eut en tout que deux avis d'ou. testable justesse; on le voit et par la supériorité de l'armement athénien, qui comprenait au moins cent trente-quatre vaisseaux et trente-huit mille cinq cents hommes (1), et par les détails que Thucydide donne de la Sicile et de Syracuse. Le système d'Alcibiade ne manquait pas d'utilité non plus sans doute, et il pouvait se concilier avec celui de Lamaque. Mais, dans cette combinaison des deux plans, lequel devait prédominer? Était-ce l'intrigue diplomatique qui devait, en formant des alliances, frayer la route vers Syracuse? ou bien le siége de Syracuse devait-il faciliter les alliances? Pour nous, la lecture de Thucydide (d'accord au reste avec les détails moins riches des autres historiens) ne nous laisse pas l'ombre d'un doute: il fallait suivre littéralement l'avis de Lamaque, cingler droit au territoire de Syracuse, débarquer, s'établir, accélérer le siége par terre et par mer; Syracuse n'eût pas tenu six mois, peut-être pas trois. Quant à des négociations avec les cités et les Sicules, on pouvait les entamer sur-le-champ, mais sans leur attribuer une importance égale pour lors à celle des moindres avantages militaires; et, qu'elles réussissent ou ne réussissent pas, la conduite à tenir devant Syracuse était invariablement la même. Les négociations en effet ne pouvaient être que de deux sortes ou elles amèneraient des alliés aux Athéniens (or le négociateur y parviendrait d'autant mteux que les succès des Athéniens seraient plus prompts ou plus marqués), ou elles retireraient des alliés à Syracuse (or, comme aucun encore n'avait agi pour celle-ci, les mêmes succès des Athéniens prolongeraient leur inaction). C'est donc Lamaque qui voyait le mieux dans cette guerre; et quelque supériorité qu'Alcibiade ait eue sur lui par sa finesse et par la multiplicité de ses talents, il est fâcheux, à notre avis, que le plan de Lamaque ait été subordonné à celui d'Alcibiade. Cependant il en resta encore assez pour que les avantages s'en fissent sentir. Après n'avoir perdu qu'un moment devant Messine, où luimême alla porter des propositions d'alliance que la ville déclina, mais qui du moins eurent pour résultat l'établissement d'un marché au dehors, il revint à Rhegium; et ses deux collègues, avec soixante navires remplis de troupes, firent voile vers le sud jusqu'à Syracuse, détachèrent dix vaisseaux en avant à Grand-Port pour proclamer qu'ils venaient rétablir les Léontins, puis s'emparèrent de Catane par un stratagème de l'invention d'Alcibiade (2), mais qui, sans doute, dut en partie sa réussite à l'aplomb et à l'expérience de Lamaque. Les gouvernants de Catane avaient per verts, et qu'il ajoute: « Mais Lamaque s'étant déclaré pour celui d'Alcibiade... " (1) Voy. Boeckh, traduit par Lallgant, Économie politique des Athéniens, t. 1, p. 433 et 436 de la trad française. (2) Thucydide, i. 6, p. 50 et 51; suivant Frontin (t. 3, p. 2), c'est d'Agrigente qu'Alcibiade s'empara de cette façon : évidemment c'est une erreur. Polyen et Frontin racontent même qu'il s'empara, tandis qu'il était à Catane, d'un fort de Syracuse par une surprise semblable. mis l'entrée de la ville aux trois généraux pour y parler en conseil sur l'alliance qu'ils offraient. Tandis qu'Alcibiade par son éloquence captivait l'attention des citoyens, une porte de la ville fut brisée par les troupes d'Athènes; les adhérents de Syracuse prirent la fuite, et l'on rédigea un traité tel que le demandait Alcibiade. Bien qu'on doive croire que cette surprise n'eût point eu lieu sans des intelligences au sein même des gouvernants et parmi les préposés à la garde des murailles, il est bien clair aussi que la bonne disposition et la célérité de l'attaque y contribuèrent, et c'est à cette partie du complot que, vraisemblablement, Lamaque donna des soins. Très-peu de temps après, Alcibiade se vit réduit à fuir. Peu importe qu'il se soit passé ou non quelques escarmouches, lui présent, entre l'affaire de Catane et son départ. Nicias et Lamaque firent de l'armée deux divisions qu'ils tirèrent au sort; mais, nous le savons déjà, malgré l'égalité du titre, Lamaque obeissait. Nicias alors reprit ce plan déplorable qu'Alcibiade et Lamaque, en se réunissant, avaient écarté. Au lieu de concentrer ses efforts sur Syracuse, la flotte athénienne revint au nord jusqu'à Messine, puis longea tout le littoral septentrional de la Sicile jusqu'à la petite ville sicanique de Hyccara. La prise de cette place, patrie de la célèbre Laïs, fut l'unique fait d'armes glorieux de cette campagne, qui absorba tout l'été. Himère, malgré les sollicitations de Nicias, avait fermé ses portes; Egeste ne donna que trente talents (le quart de ce qu'avait produit la vente des captifs d'Hyccara) et peu de troupes : une marche à travers les montagnes des Sicules fit perdre plus de temps qu'elle ne fournit d'auxiliaires effectifs. Les deux généraux se transportèrent en personne chez les confédérés des Sicules pour obtenir leur accession à l'alliance, et n'obtinrent des contingents que de très-peu d'entre eux; finalement la moitié de l'armée athénienne se trouva devant Hybla et mit le siége devant cette autre Hyccara; et, qui le croirait? elle eut la honte d'échouer. Nicias ne fut pas plus heureux lorsqu'il essaya de tomber sur Syracuse, vide de défenseurs, en attirant tous les Syracusains à Catane; et s'il eut le dessus à l'affaire douteuse d'Hélore, il n'en put tirer aucun profit, et alla passer l'hiver à Naxos et à Catane, n'ayant, en cinq ou six mois de belle saison, que pris un gros bourg et fait une marche de cinquante lieues sur terres d'alliés. Mais ce qui était plus formidable, ce que Nicias, malgré de noirs pressentiments, ne comprenait pas encore assez, c'est que désormais le prestige moral qui entourait l'armée d'Athènes à ses débuts, et qui double la force matérielle, s'était évanoui pour jamais, surtout depuis l'échec d'Hybla; c'est que les Syracusains retrouvaient en Sicile d'abord, puis hors de la Sicile (Corinthe, Sparthe), et surtout allaient retrouver de jour en jour des alliés; c'est qu'on les voyait déjà sortir audacieusement de leurs murs, tenir la campagne, courir sur les le avant-postes athéniens, et railler en face et tout haut les envahisseurs; c'est enfin qu'ils réduisaient à trois (au lieu de quinze) le nombre de leurs généraux. Le mal n'était pas irréparable, certes; l'armée athénienne existait toujours; mais prendre Syracuse et conquérir la Sicile n'était désormais rien moins que sûr; et en tout cas on ne pouvait plus effectuer les plans ambitieux qu'à force d'hommes, d'or, de temps et de peines, lorsque de six à huit mois plus tôt le prodige était facile. Tout l'hiver, tandis que Nicias députait jusque dans Carthage, Lamaque dut jouer le principal rôle dans ses petites expéditions contre les Sicules hostiles ou neutres (c'étaient surtout ceux de la montagne). Au printemps, la campagne s'ouvrit par une pointe sur Mégare et sur les bassins du Térias; on prit Centuripes, on mit le feu aux blés d'Inesse et d'Hybla. Bientôt l'armée entière, accrue de quelques renforts, se mit en marche et s'empara de l'importante position d'Epipoles, qui dominait tous les environs et Syracuse même les Syracusains, trop lents à venir s'y porter, tentèrent vainement de la reprendre, et le combat qu'ils engagèrent à cet effet sous Euryèle leur coûta trois cents hommes. Les Athéniens élevèrent ensuite à Labdale un fort qui regardait Mégare et qui devait leur servir de magasin, puis commencèrent à Sycé un mur de circonvallation qu'ils poussèrent rapidement général des Syracusains, Hermocrate, voulant éviter les affaires générales tant que les secours qu'il attendait du Péloponèse ne seraient point arrivés, y opposa un contre-mur dont les Athéniens ne pourraient entraver la construction qu'en abandonnant leurs ouvrages s'ils venaient en force. Mais il eut fallu, pour que ce plan réussit, que les Syracusains eux-mêmes fussent strictement assujettis au service, et c'était le contraire; la garde se faisait négligemment, et partie de ceux qui devaient être sous les armes étaient à la ville. Il en résulta que Nicias et Lamaque, chacun à la tète de moitié de l'armée athénienne, détruisirent complétement la nouvelle muraille, arrachèrent les palissades, emportèrent les pieux.. L'affaire au reste fut peu sanglante, sauf à Thénite, où s'étaient réfugiés les peu nombreux Syracusains chargés de veiller aux palissades. Quant à des secours de la ville, il ne pouvait leur en venir une des divisions (celle de Lamaque, car Nicias, malade (1) et moins brave d'ailleurs, ne pouvait se charger de la tâche la plus rude) s'était postée de manière à barrer le passage à qui voudrait se rendre au contre-mur. Cette affaire des palissades ne découragea point Hermocrate, qui fit dès le lendemain recommencer le retranchement, en le dirigeant à travers les marais, et creuser un fossé pour empêcher les Athéniens de conduire leurs ouvrages jusqu'à la mer. C'étaient (1) Il l'était, suivant Plutarque, pendant toutes les opérations, bien qu'il ne se fût pas encore comme isolé (Vie de Nicias, 24 et 25). |