encore des travaux à détruire; et bien qu'ils vinssent de se rendre maîtres de Polichna, et qu'ils eussent presque enfermé Syracuse, ils ne pouvaient vraiment bloquer la ville, qu'ils avaient renoncé à prendre d'assaut, qu'en s'emparant de ces lignes improvisées. Lamaque, à qui Nicias, que sa néphrétique accablait, avait laissé tout l'effectif du commandement, et dont sans doute la présence et l'ardeur avaient hâté les travaux, résolut de ne pas tarder davantage à livrer une seconde bataille des palissades. Il donne donc ordre au point du jour à toute l'armée de descendre d'Epipoles dans la plaine, fait jeter sur le marais, à l'endroit le moins profond, des poutres, des planches et madriers sur lesquels on passe, se met lui-même à la tête de l'aile gauche, et au bout d'une heure ou deux se trouve maître et des palissades et du fossé. Les Syracusains fuient, les uns vers la ville, les autres vers le fleuve; trois cents Athéniens d'élite courent pour s'emparer du pont. A cette vue, la cavalerie qui gardait le passage charge l'aile droite athénienne et y porte le désordre. Lamaque accourt de la gauche, suivi des Argiens et de quelques archers on se mêle, on se bat avec fureur; le commandant des Syracusains, Callicrate, s'attache à Lamaque, lui porte un défi, l'attaque corps à corps, et finalement le perce d'un coup mortel. C'était au passage d'un fossé. Les fuyards alors se rallient; il y a plus, ils attaquent à leur tour, ils envoient même un détachement à l'enceinte d'Epipoles; et déjà dix | plèthres du mur en avant étaient rasés, quand Nicias, pour empêcher qu'ils n'aillent plus loin, fait mettre le feu aux machines et à tous les ouvrages avancés. Cet incendie écarte en effet les assaillants, et en définitive les Athéniens restent les plus forts; leur flotte, partie de Thapse, arrive à Grand-Port. Nicias peut terminer la circonvallation; et puisque avec de la célérité, de la brayoure, Syracuse encore pouvait être emportée, Lamaque du moins avait « le bonheur de mourir dans un jour de victoire. » Surtout il ne vit point la détresse et la destruction de l'armée, le massacre de ses compatriotes, l'esclavage et les haillons de ceux qu'épargnèrent les couteaux des Syracusains; il ne fut point sommé de chanter de l'Euripide aux vainqueurs ivres! Suivant Plutarque, Callicrate aussi avait reçu du héros mortelle ment blessé le coup de la mort, et les Grecs, qui savaient leurs tragiques par cœur, pouvaient dire de lui : de Philippe et d'Alexandre qu'il prononça aux jeux Olympiques, mais la véhémente improvisation par laquelle lui répondit instantanément, diton, Démosthène. L'improvisation est-elle réelle? Nous en doutons, tout capable qu'en était Démosthène : il y avait en quelque sorte un programme, un ordre du jour pour chaque épisode ordinaire ou extraordinaire de la solennité olympique; et Démosthène devait connaître à l'avance quel sujet allait traiter Lamaque. Mais ce qui n'était point sur l'ordre du jour, c'était la réponse du magnifique orateur; et l'inattendu passa sans doute pour de l'improvisation. Quoi qu'il en soit, son discours se composait de deux parties: dans l'une, il réhabilitait Thèbes et Cheronée, et en général tous ceux qui s'étaient opposés à Philippe; dans l'autre, il s'efforçait de montrer que les intrigues et les interventions des Macédoniens étaient la cause de tous les maux des Grecs. A présent, à quelle époque eut lieu cette espèce de discussion? Alexandre était parti pour l'Asie en 334; les olympiades suivantes commencèrent en 332, 328, 324; le dernier des Grands-Rois périt l'année d'Arbelles (330). Donc, si, comme on peut pencher à le croire, Démosthène parlait sous l'inspiration de la puissance persane, qui le pensionnait (au moins depuis 336), conséquemment avant la ruine définitive de cette puissance, c'est aux jeux Olympiques de 330 que Lamaque le sophiste se serait fait pulvériser par Démosthène. Tout simple que puisse sembler ce trait, il ne manque pas d'intérêt. P-OT. LA MARCHE (JEAN-FRANÇOIS DE), évêque de StPol de Léon, né dans le diocèse de Quimper en 1729, suivit d'abord la carrière des armes, et fit une campagne en Italie, en qualité de lieutenant de dragons; mais, ayant ensuite embrassé l'état ecclésiastique, il fut promu, en 1772, à l'évêché de St-Pol de Léon, et sacré le 7 septembre de la mème année. Il montra une grande fermeté de caractère au commencement de la révolution. Quand il reçut la notification, qui lui fut faite par le district de Morlaix, de la constitution civile du clergé, il renvoya les dépêches accompagnées d'un refus formel d'y obéir. Son chapitre suivit son exemple, et il fallut recourir à la force pour apposer les scellés sur les archives de l'évêché et du chapitre de Léon. Alors les chanoines se rendirent près de leurs parents ou chez des personnes qui s'empressèrent de les accueillir. Le prélat se retira chez une famille noble du pays; mais, ne tenant aucun compte des décrets de l'aşsemblée nationale, il continua d'officier dans sa cathédrale et de régir son diocèse. Ses mandements, excitant le peuple à la résistance, produisirent une telle agitation que l'administration départementale résolut de le faire traduire au tribunal de Morlaix, récemment établi. Le 8 janvier 1791, un lieutenant de gendarmerie fut envoyé à St-Pol de Léon avec un détachement de vingt hommes. Arrivé au domicile de l'évêque, le lieutenant lui intime l'ordre de le suivre. « Volontiers, monsieur, Ayant été nommé maréchal de camp le 10 octobre 1792, il prit pour aide de camp le jeune Ney, devenu plus tard si célèbre, et qui était alors officier de son régiment. Lamarche concourut à la prise de Namur, et après quelques succès de peu d'importance il passa l'Ourthe et alla s'établir à Verviers, où il prit ses quartiers d'hiver. Dampierre, qui commandait sur la Roër, ayant été forcé le 1er mars suivant, par l'armée du prince de Cobourg, de se retirer sur Liége, Lamarche vint occuper la position de Henri-Chapelle, où il soutint les efforts de l'ennemi et forma l'arrièregarde jusqu'à Tirlemont. Il combattit encore à Cumptich contre des forces très-supérieures, et fut cité honorablement dans le rapport du général en chef Dumouriez. Placé au centre de la bataille de Nerwinde, il chassa d'abord l'ennemi de ce village et passa rapidement la Nethe. Mais la gauche de l'armée, sous les ordres de Miranda, ayant fait une retraite précipitée, ces premiers avantages devinrent sans effet, et, après avoir couché sur le champ de bataille, la droite et le centre de l'armée française furent obligés de se retirer le lendemain sur Tirlemont. Lamarche concourut encore très-efficacement, dans cette retraite difficile, à maintenir l'ordre dans les troupes, et il soutint, notamment dans la position de la Montagne de Fer, près de Louvain, le choc d'une grande partie de l'armée autrichienne. La fatigue et ses anciennes blessures ayant alors épuisé ses forces, il demanda et obtint du général en chef la permission de se retirer à Douai. Ce fut pendant son séjour dans cette ville qu'eut lieu la défection de Dumouriez. Sommé aussitôt par les commissaires de la convention de se rendre à son poste, Lamarche vint joindre Dampierre, et il s'efforça, avec le petit nombre d'autres généraux qui ne suivirent pas leur chef, de réunir les faibles débris de cette armée dispersée et divisée par les défaites et les dissensions de l'esprit de parti. Lamarche reçut du conseil exécutif l'ordre de se mettre à la tête de l'armée des Ardennes, tandis que Dampierre prit le commandement de celle du Nord; et bientôt ces deux armées, qui formaient à peine trente mille hommes, se réunirent pour secourir Valenciennes et attaquer le camp de Famars. En présence de quatre-vingt mille Autrichiens victorieux, l'entreprise était difficile, et elle donna lieu à des attaques très-meurtrières où Dampierre fut tué. Le commandement général se trouvant alors tout entier dans les mains de Lamarche, épouvanté d'une responsabilité et d'un fardeau qui, dans de pareilles circonstances, étaient véritablement effrayants et beaucoup au LAMARCHE (JOSEPH DROUOT), général français, naquit à Wiche (Vosges), le 14 juillet 1733, d'une famille obscure, reçut une éducation incomplète et s'enrôla dès l'âge de dix-huit ans dans un régiment de dragons, où il devint sous-officier après huit ans de service, et lieutenant en 1760. Il était alors à l'armée de Hanovre, et y fut blessé d'un coup de feu à la poitrine, qui lui fit courir de grands dangers. Nommé par suite capitaine en second dans le même corps, il passa capitaine commandant dans les hussards de colonel-général, en 1783, et y parvint successivement au grade de lieutenant-colonel. C'était le point le plus élevé où put arriver dans ce temps-là ce qu'on appelait un officier de fortune. Dans cette position, Lamarche devait suivre le parti de la révolu tion; et il le suivit avec d'autant plus d'empressement que, dès le 25 juillet 1791, aussitôt après l'émigration des officiers nobles, il devint colonel de ce même régiment de hussards de colonel-dessus de ses forces, il demanda un successeur général, l'un des plus beaux de l'armée française. Placé dès le commencement de la guerre sous les ordres de Luckner, il eut part aux opérations de l'armée qui fut opposée aux Prussiens dans leur expédition de Champagne, et il les suivit dans leur retraite sous le commandement de Valence. que l'on se hâta de lui donner. Ce fut Custine que l'on nomma; mais ce général, alors malade, ne put venir que le mois suivant, et, en attendant, Lamarche, aidé de Kilmaine, dut soutenir encore une lutte très-inégale (voy. KILMAINE). La droite et la gauche de l'armée se trouvant forcées par l'abandon du poste d'Orchies, que devait garder | linghausen, entre Ham et Lippstadt. Pendant l'affaire une compagnie de grenadiers, au premier rang de laquelle le jeune Lamarck s'était placé dès le point du jour, reçut la garde d'un poste qui la tint exposée au feu de l'artillerie ennemie, et où on l'oublia même dans la confusion de la retraite. Tous les officiers et sous-offi-. ciers avaient succombé, et il ne restait plus que quatorze grenadiers, dont le plus ancien proposait de suivre le mouvement rétrograde qu'il voyait opérer aux autres troupes. Lamarck s'y opposa avec énergie, et il fallut que le colonel envoyât à ce faible détachement une ordonnance qui eut beaucoup de peine à pénétrer jusque-là pour lui transmettre l'ordre de se rallier. Ce trait de fermeté ayant été rapporté au maréchal, il fit sur-le-champ Lamarck officier, malgré les ordres formels du ministre de la guerre, qui, voulant apporter quelques changements dans l'organisation de l'armée, avait défendu de nommer à aucun emploi devenu vacant. Peu après le jeune homme obtint le grade de lieutenant, et il trouva dans la même campagne plusieurs autres occasions de se distinguer. Mais un accident imprévu l'empêcha de profiter d'un si heureux début. A la paix, son régiment ayant été envoyé à Monaco, un de ses camarades, en jouant, le souleva par la tête et détermina ainsi le développement d'une affection grave, qui mit Lamarck dans la nécessité de venir à Paris se confier à des mains habiles; il y réclama les soins de Ténon, qui le rétablit par une opération dont il conserva toujours depuis de profondes cicatrices. Le traitement de cette maladie avait exigé une année entière, pendant laquelle l'exiguïté de ses ressources le tint confiné dans une solitude où il eut le loisir de se livrer à la méditation. Dejà durant son séjour à Monaco la végétation singulière de cette contrée rocailleuse l'avait frappé, et il avait pris quelques teintes de botanique dans le Traité des plantes usuelles de Chomel, tombé par hasard entre ses mains. D'un autre côté, à Paris, logé, comme il le disait lui-même, beaucoup plus haut qu'il n'au M-Dj. LAMARCK (JEAN-BAPTISTE-PIERRE-ANTOINE DE MONET, chevalier DE), l'un des naturalistes dont la France s'honore le plus, naquit le 1er avril 1744, à Bazantin, village du département actuel de la Somme, entre Albert et Bapaume. Onzième enfant du seigneur de ce lieu, qui descendait luimême d'une ancienne maison du Béarn, il n'eut en perspective qu'un mince patrimoine qu'une si nombreuse lignée devait réduire à de bien modiques dividendes: aussi fut-il, suivant l'usage du temps, destiné au sacerdoce. Pour l'y préparer, on l'envoya au collége des jésuites d'Amiens. Ce n'était pas à l'époque où la France se trouvait engagée avec le plus de violence dans la désastreuse lutte commencée en 1756 contre la Prusse et l'Angleterre, qu'un jeune homme, dont l'un des frères avait trouvé une mort honorable sur la brèche, au siége de Berg-op-Zoom, et dont deux autres frères servaient encore avec distinction, pouvait abjurer sans résistance les traditions de sa famille, vouée de tout temps à la carrière des armes aussi fallut-il une ferme décision de la volonté paternelle pour le maintenir dans la ligne qu'on lui traçait; mais, à la mort du vieillard, nulle remontrance ne fut capable de le retenir au séminaire. Agé à peine de dix-sept ans, il s'em-rait voulu, et n'ayant pour perspective que les para d'un mauvais cheval, se fit suivre par un pauvre garçon de son village, et s'achemina vers l'armée d'Allemagne, fondant toutes ses espérances sur son courage et sur une lettre de recommandation qu'une amie de sa famille lui avait remise pour le colonel du régiment de Beaujolais. On conçoit quel fut l'embarras de cet officier, peu favorablement disposé d'ailleurs par la mine chétive du jeune arrivant. Cependant il l'admit comme volontaire. Le moment était critique: on se trouvait au mois de juillet 1761. Le maréchal de Broglie, général en chef de l'armée française, qui venait de réunir ses troupes avec une partie de celles du prince de Soubise, devait attaquer le lendemain les alliés commandés par le prince Ferdinand de Brunswick. Les Français, personne ne l'ignore, perdirent cette bataille, livrée à WilXXIII. nuages, il prit plaisir à les considérer, à en remarquer les différents aspects, les diverses configurations, et il acquit ainsi quelques idées vagues de météorologie. C'en fut assez pour lui faire comprendre que la carrière des armes n'était pas la seule dans laquelle on pouvait se distinguer, et il prit le parti d'embrasser celle de la médecine, résolution non moins courageuse que la première; car son modique revenu de quatre cents livres l'obligeait, dans les intervalles de ses études, à travailler pour vivre dans les bureaux d'un banquier; et lui, qui devait un jour se placer si haut, non pas dans les faveurs de la fortune, mais dans les illustrations de la science, débuta presque aussi rudement que Linné, qui avait dù aussi se préparer à son rôle de réformateur de l'histoire naturelle en raccommodant, pour les approprier à son usage, 2 publique. Dès lors la fortune sembla ne plus le dédaigner autant, et, quoiqu'elle n'ait jamais été pour lui prodigue de ses dons, qu'elle n'accorde généralement qu'à une souplesse de caractère dont la nature ne l'avait pas doté, du moins lui fut-il permis d'entrevoir un avenir moins sombre que les rudes temps d'épreuve par lesquels il venait de passer. Buffon, voulant le faire servir de mentor à son fils, qu'il se proposait de faire voyager, mais sentant qu'il ne pouvait le réduire au rôle de précepteur, lui procura une commission 'de botaniste du roi. Revêtu de ce titre honorable, Lamarck consacra une partie des années 1781 et 1782 à parcourir la Hollande, l'Allemagne et la Hongrie, avec son jeune élève, visitant partout les établissements publics et les savants, desquels son nom n'était déjà plus ignoré. A son retour en France, il cultiva la botanique avec plus d'ardeur que jamais, et bientôt il acquit de justes droits à la célébrité par la publication d'un travail moins généralement connu, mais plus important que sa Flore, la partie botanique de l'Encyclopédie méthodique. Tout n'est pas original dans ce grand ouvrage, et ne pouvait l'être; mais les descriptions sont tirées des meilleurs auteurs; le choix des figures a été fait avec beaucoup d'intelligence, et Lamarck y a semé une foule de remarques curieuses, puisées dans les magnifiques herbiers de Sonnerat, de Commerson et de Jussieu, qui furent généreusement mis à sa disposition. En lui reprochant de s'ètre astreint à l'ordre alphabétique et d'avoir suivi le système de Linné, on oubliait que le plan n'était pas de son choix, qu'il lui avait été imposé. Travailler sous la direction et dans les vues d'un libraire était alors son unique ressource, car la faveur de Buffon ne lui avait valu aucun établissement solide. Ce ne fut qu'en 1788 que le successeur de ce grand homme, le marquis de la Billarderie, fit créer pour lui une place de botaniste du cabinet, en le chargeant de conserver et d'arranger les herbiers. Encore fut-il au moment de perdre ce modeste emploi lorsque le décret de l'assemblée législative du 18 août 1792, qui supprimait les corporations savantes, fit craindre que le Jardin du roi ne se trouvât enveloppé dans la même proscription. Mais la Convention nationale, par un décret rendu le 10 juin de l'année suivante, reconstitua l'établissement sous le titre de Muséum d'histoire naturelle, laissant aux douze personnes qui alors y occupaient des places le soin de se distribuer entre elles les douze chaires nouvelles qu'elle instituait. Ce fut encore là un moment critique pour Lamarck; un des derniers venus de tous, il n'eut point à choisir, et dut prendre une chaire dont personne ne voulait, parce qu'on la jugeait trop peu importante, celle dans les attributions de laquelle rentrait la classe des animaux alors désignés, d'après Linné, sous les noms d'insectes et de vers. Or jusque-là il s'était peu occupé des les vieux souliers de ses camarades. La médecine | animaux, et moins encore de cette vaste branche de la zoologie, à l'exception toutefois des coquilles, pour lesquelles ses liaisons avec Bruguière lui avaient inspiré un goût assez vif, et dont il avait même formé une petite collection. Mais, bien qu'il fût près d'atteindre l'âge de cinquante ans, son courage inépuisable ne l'abandonna pas dans cette conjoncture. Bientôt, en étudiant sans relâche des objets si nouveaux pour lui, s'aidant des conseils de quelques amis et appliquant à la zoologie cette sagacité qui l'avait déjà si bien servi dans la botanique, il parvint à démontrer que les animaux, dont par dédain on lui avait abandonné l'histoire, étaient aussi intéressants, sinon même plus, que les autres, par leur nombre immense, par le rôle qu'ils jouent dans l'univers, par les variétés infinies de leurs formes et les singularités de leur organisation. Les travaux en ce genre auxquels il se livra avec une assiduité qui ne s'est jamais démentie l'ont placé plus haut encore que ceux qu'il avait exécutés en botanique, et ils lui vaudront certainement une réputation plus durable. C'est là en effet qu'il a déployé toute l'étendue de son génie. Il s'y est élevé au rang de législateur, et si désormais on parvient à corriger quelques parties de ses ouvrages, à les amender, à les étendre, un long temps s'écoulera encore avant qu'un autre esprit aussi profondément observateur, aussi habile scrutateur des mystères de la nature, ose entreprendre de les soumettre à une refonte générale, semblable à celle que les livres de Linné subirent entre ses mains. Mais, durant les trente ans qui s'étaient écoulés depuis la paix de 1763, Lamarck n'avait pas consacré tous ses moments à la botanique, pour la section de laquelle on l'appela le premier de tous à l'Institut, lors de la création en 1796; il avait médité aussi sur les lois générales de la physique et de la chimie, sur les révolutions du globe terrestre, sur les phénomènes atmosphériques, sur les lois qui président à l'organisme et à la vie. De bonne heure aussi, il mit le public dans la confidence de ses pensées. Malheureusement elles n'étaient pas toutes, en ce genre, de nature à mériter qu'on y fit attention. Son plus grand tort, qu'on a peine à concevoir chez un homme qui avait consacré sa vie entière à l'observation, fut de vouloir, à l'instar de quelques écoles philosophiques, créer un système général de toutes pièces, et construire pour ainsi dire la nature a priori. C'est ainsi que, sans autres armes que celles du raisonnement, il ne craignit pas d'attaquer la théorie que Lavoisier venait d'établir sur l'expérience, et de provoquer en quelque sorte les nouveaux chimistes au combat. Ceux-ci eurent raison de laisser passer inaperçues des hypothèses dénuées de tout fondement empirique, et qui n'avaient même pas toujours le mérite d'être intelligibles. De même, en géologie, il créa un système qui n'a peut-être ni plus ni moins de valeur qu'aucun de ceux qu'on pourrait imaginer, mais qui cependant a un défaut incontestable : celui de ne pas s'harmoniser avec les faits mêmes, tels qu'on les connaissait alors. Ce qu'on y découvre de plus remarquable, c'est l'idée que les chaînes les plus élevées de montagnes ont appartenu autrefois à des plaines. Aujourd'hui cette opinion est celle qui réunit le plus de suffrages, mais on attribue la formation des montagnes à des soulèvements déterminés par les forces volcaniques, et Lamarck les faisait produire par des amoncellements de débris de corps organisés, animaux et végétaux, tandis que, malgré l'ancienneté bien constatée de la vie sur la terre, personne ne doute maintenant qu'elle n'en a pas toujours animé la surface, qu'elle est même postérieure à l'apparition des grandes aspérités qui hérissent cette dernière. La partie des travaux de Lamarck qu'on a plus désapprouvée, parce qu'elle fut mal jugée dès le principe, et qu'on chercha tout aussitôt à tourner en ridicule, est celle qui concerne la météorologie. En publiant ses principes et ses observations à ce sujet, dans un ouvrage périodique auquel il donna le titre d'Annuaire météorologique, il eut l'idée, pour éviter que les frais d'impression ne restassent à sa charge, d'insérer dans ce livre des probabilités qui pussent intéresser le public sans le tromper, faciliter la vente de l'ouvrage, et faire arriver aux amateurs instruits les petits mémoires météorologiques qui seuls en faisaient l'objet. Cette publication souleva des susceptibilités qui dépeignirent Lamarck à Napoléon comme un faiseur d'almanachs et de prédictions, chose effectivement inconvenante pour un membre d'un corps généralement considéré. « Je ne fus pas longtemps, a-t-il écrit, sans << apprendre de la bouche même de celui qui gou<< vernait alors son mécontentement positif sur << une entreprise qui n'avait cependant d'autre « but que l'étude des météores. Chose étrange! << l'auteur, en tout soumis aux lois, n'écrivant <«< point sur la politique et ne s'occupant que « d'études de la nature, se vit forcé de cesser surle-champ toute publication de ses observations << sur l'atmosphère. Accoutumé depuis longtemps « à céder à la nécessité, il se soumit en silence et «< continua d'observer, mais pour lui seul. » Le passage de l'article Météorologie du Dictionnaire d'histoire naturelle de Déterville prouve que Cuvier a dissimulé une partie de la vérité en disant que Lamarck finit par renoncer à son travail stérile, dégoûté de voir les événements ne jamais répondre à ses prédictions. Quoi qu'il en soit, ce laborieux savant n'entretint plus le public que de ses travaux sur les animaux sans vertèbres, sur la physiologie générale, et particulièrement sur la grande question de l'espèce dont la solution a été constamment l'objet de ses préoccupations et de ses efforts. Lamarck nous apprend lui-même qu'il avait cru d'abord à l'existence d'espèces permanentes et invariables dans leurs caractères; mais, dès 1801, il était venu à d'autres idées. Il |