Imágenes de página
PDF
ePub

médecine qu'ilz portent pour le mal qui les tient, | nuyt, et s'assirent auprès du feu eulx deux enc'est ung cordeau. semble et seulletz, car ce pendant fut baillé l'espie en bonne garde.

>>

"

Or ce galant promist au cappitaine Jehan Paule Moufron qu'il sçauroit bien faire le cas. Si s'en vint incontinent à Véronne, droit au logis du bon Chevalier; car léans estoit assez congneu de tous les serviteurs, pour qu'ilz cuydoient certainement qu'il feust totallement au service de leur maistre. Ilz le luy amenèrent ainsi qu'il achevoit de soupper; lequel, incontinent qu'il le veit, luy fist ung fort bon recueil, et luy dist: «< Vizentin, tu soyes le bien venu; tu ne viens pas sans cause: quelles nouvelles? >> Lequel respondit: « Très-bonnes, Monseigneur, Dieu mercy.» Si se leva incontinent le bon Chevalier de table, et tira l'espie à part pour sçavoir que c'estoit. Il luy compta de point en point le faict, et le luy fist trouver si bon, qu'oncques homme ne fut plus joyeulx. Si commanda qu'on menast soupper Vizentin, et qu'on luy fist grosse chère; puis après tire à part le cappitaine Pierrepont, le cappitaine La Varenne qui portoit son enseigne, le bastard Du Fay, et ung cappitaine de Bourgongne qui ce soir souppoit avecques luy, qui s'appelloit monseigneur de Sucre, ausquelz il compta ce que l'espie luy avoit dit, et comment le cappitaine Jehan Paule Moufron se retiroit dedans Lignago lendemain, et ne menoit que trois cens chevaulx: parquoy s'ilz se vouloient monstrer gentilz compaignons, son voyage ne s'achèveroit point sans coup ruer, et que la matière requéroit briefve yssue. A son dire chascun trouva goust; et sur l'heure fut conclusion prise qu'ilz partiroient au point du jour, et mèneroient deux cens hommes d'armes; dont de l'entreprise esleurent le seigneur de Conty, et l'en advertirent, à ce qu'il se tiensist. prest comme les autres; lequel ne s'en fist guè res prier, car c'estoit ung très-gentil chevalier. Cela délibéré, tout le monde se retira à son logis pour faire acoustrer son cas pour le matin, mesmement le cappitaine Sucre, qui assez loing estoit du sien: qui fut bonne adventure, car, ainsi qu'il s'en retournoit, va adviser l'espie qui estoit venu parler au bon Chevalier, lequel sortoit de la maison d'un gentil-homme de Véronne qu'on estimoit estre fort mauvais impérial, et par le contraire avoit Marco escript dedans le cueur, qui le fist doubter de trabyson. Si vint prendre l'espie au colet, et luy demanda dont il venoit il ne sceut promptement respondre, et changea de couleur, qui le fist doubter de plus en plus; et tourna tout court, saisy de l'espie, droit de là où il venoit de soupper. Luy arrivé, trouva que le bon Chevalier se vouloit mettre dedans le lict. Toutesfois il prist une robbe de

[ocr errors]

Le cappitaine sur ce déclaira au bon Chevalier l'occasion de son soubdain retour, qui estoit pour avoir trouvé l'espie sortant de la maison de messire Baptiste Voltège, qui estoit le plus grant marquesque qui feust ou monde; et par ce doubtoit qu'il y eust de la meschanceté : «< car,

dist-il, quant je l'ay surpris, est devenu es>> tonné à merveilles. » Quant icelluy bon Chevalier eut entendu ce propos, ne fut pas sans doubte, non plus que le cappitaine Sucre. Il fist venir l'espie, auquel il demanda qu'il estoit allé faire au logis de Baptiste Voltège. Il dist premièrement qu'il y estoit allé veoir ung parent qu'il y avoit; après il tint ung autre propos, et enfin fut trouvé en cinq ou six parolles. On apporta des grésillons esquelz on luy mist les deux poulces, pour le veoir parler d'une autre sorte. Le bon Chevalier luy dist: « Vizentin, dictes la vérité sans rien céler, et je vous prometz, en foy de vray gentil-homme, que quelque chose qu'il y ait, je ne vous feray faire nu mal,

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors]

L'espie congneut bien qu'il estoit pris; si se gecta à deux genoulx, demandant miséricorde, qui luy fust asseuréement promise. Si commencea à compter de point en point la trabyson, et comment le capitaine Jehan Paule Moufron avoit fait embuscher à Yzolle de l'Escalle deux cens hommes-d'armes et deux mille hommes de pied pour deffaire le bon Chevalier; et qu'il venoit du logis de messire Baptiste pour l'advertir de l'entreprinse, et aussi l'adviser comment il pourroit trouver moyen, par quelque nuyt, livrer une des portes de la ville au providadour messire André Grit. Et plusieurs autres choses dist ce vaillant espion. Bien déclaira que messire Baptiste Voltège luy avoit dit qu'il ne se mesleroit jamais de telle meschanceté, et que puisqu'il estoit soubz l'Empereur, qu'il y vouloit vivre et mourir.

Quant il eut fait son beau sermon, le bon Chevalier luy dist: « Vizentin, j'ay mal employé les escuz que je vous ay donnez, et de

[ocr errors]
[ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

» veu,

[ocr errors]

D

[ocr errors]
[ocr errors]

car tout le monde ne vous sauveroit pas | » que je vous feisse pendre et estrangler. » Il fut emmené de devant eulx, et enfermé en une chambre, jusques à ce qu'on en eust à besongner. Le bon Chevalier dist au cappitaine Sucre: Mon amy, que ferons-nous à ce cappitaine Jehan Paule Moufron, qui nous cuyde avoir par finesses? Il luy fault donner une venue, » et si vous povez faire ce que je vous diray, » nous ferons une des gorgiases choses qui fut Monfaicte cent ans a. » Sucre respondit : «< seigneur, commandez et vous serez obéy.Allez doncques, dist-il, tout à ceste heure au logis du prince de Hanno, et me recommandez e humblement à sa bonne grâce; déclairez-luy cest affaire bien amplement, et faictes tant » qu'il soit d'accord de nous bailler demain au » matin deux mille de ses lansquenetz, et nous les mènerons avecques nous le beau pas, et à les laisserons quelque part en embusche, où, » avant que tout soit desmeslé, si ne voyez merveilles, prenez-vous en à moy.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Le cappitaine Sucre part incontinent, et s'en alla droit au logis du prince, qui jà dormoit. Il le fist esveiller, puis alla parler à luy, et luy compta tout ce que vous avez ouy cy-dessus. Le gentil prince, qui n'aymoit rien tant que la guerre, et entre tous gentilz-hommes avoit prins une telle amour au bon Chevalier pour sa prouesse, que la chose eust esté bien estrange quant il l'en eust reffusé, si dist qu'il estoit bien desplaisant que plus tost n'avoit sceu ceste entreprinse, car luy-mesmes y feust allé, mais que de ses gens le bon Chevalier en povoit mieulx disposer que luy-mesmes. Et sur l'heure envoya son scribe en advertir quatre ou cinq cappitaines, qui furent, pour faire le compte court, aussi prestz au point du jour que les gensd'armes qui l'avoient sceu dès le soir, et se trouvèrent à la porte quant et les gens-d'armes, qui donna tiltre d'esbahyssement au seigneur de Conty, car riens ne luy en avoit esté mandé le soir. Si s'enquist au bon Chevalier que ce povoit estre, lequel luy déclaira bien au long tout le démené. « Sur ma foy, dist le seigneur » de Conty, se Dieu veult, nous ferons aujourd'huy une belle chose. » La porte ouverte, se misrent en chemin vers Yzolle de l'Escalle. Le bon Chevalier dist à Sucre: « Il fault que vous » et les lansquenetz demourez embuschez à » Servode (c'estoit ung petit village à deux » mille d'Yzolle), et ne vous souciez point, car je vous attireray noz ennemys jusques à vostre nez, parquoy aurez aujourd'huy assez hon»neur si vous estes gentil compaignon. » Comme il fut dist ainsi fut fait, car arrivez audit vil

lage, les lansquenetz demourèrent en embusche, et le bon Chevalier, le seigneur de Conty et leur troppe s'en vont vers Yzolle, faignant ne sçavoir riens de ce qui estoit dedans.

Cela regardoit en une belle plaine, où de tous costez on veoit assez loing. Si vont choisir le cappitaine Moufron avecques quelques chevaulx-légiers. Le bon Chevalier y envoya son guydon, le bastard Du Fay, avecques quelques archiers, pour les ung petit escarmoucher, et luy marchoit après le beau pas, avecques les gens-d'armes. Mais il ne fut guères loing, quant il veit saillir de la ville de Yzolle de l'Escalle les gens de pied de la seigneurie, et une troppe d'hommes-d'armes. Il fist ung peu de l'estonné, et dist à la trompette qu'il sonnast à l'estandart. Quoy oyant par le bastard Du Fay, selon la leçon qu'il avoit, se retira avecques la grosse troppe, qui se serrèrent très-bien; et faignans d'eulx retirer droit à Véronne, s'en vont le petit pas vers ce village où estoient leurs lansquenetz, et desjà estoit allé un archier dire au cappitaine Sucre qu'il sortist en bataille.

La gendarmerie de la seigneurie, qui à leur esle avoient ceste troppe de gens de pied, chargeoient menu et souvent les François, et faisoient tel bruyt qu'on n'eust pas ouy Dieu tonner, pensant entre eulx que ce qu'ilz voyoient ne leur povoit eschapper. Les François ne se desrotoient point, et escarmouchoient sagement de façon qu'ilz furent près de Servode, à ung gect d'arc, où ilz apperçeurent les lansquenetz qui venoient le beau pas et tous serrez, lesquelz se vont descouvrir aux Véniciens, qui furent bien estonnez. Le bon Chevalier dist alors : « Messeigneurs, il est temps de charger; >> ce que chascun fist, et donnèrent dedans les Véniciens, qui se monstrèrent gens de bien. Toutesfois il en fut beaucoup porté par terre : leurs gens de pied ne povoient fuyr, car ilz estoient trop loing de saulveté. Ilz furent pareillement chargez des lansquenetz, dont ilz ne peurent porter les fès, et furent ouvers, renversez et tous mis en pièces, sans en prendre ung prisonnier : ce que veit devant ses yeulx le cappitaine Jehan Paule Moufron, qui très-bien faisoit son debvoir. Toutesfois il congnoissoit assez que s'il ne jouoit de la retraicte, il seroit mort ou prins. Si commencea se retirer le grant galop vers Sainct-Boniface, où il y avoit bonne traicte. Il fut assez bien suyvy; mais le bon Chevalier fist sonner la retraicte parquoy tout homme s'en revint, mais ce fut avecques gros gaing de prisonniers et de chevaulx; le butin y fut fort beau. Les Véniciens y firent grosse perte, car tous leurs deux mille hommes de pied et bien

vingt-cinq hommes-d'armes y moururent ; et y en eut environ soixante de prisonniers, qui furent menez à Véronne, où les François, Bourguignons et lansquenetz furent receuz joyeusement de leurs compaignons, lesquelz estoient bien marriz qu'ilz n'avoient esté avecques eulx.

[ocr errors]

Ainsi alla de ceste belle entreprinse pour ceste fois, qui fut grosse fortune au bon Chevalier, et eut de tous en général grande louenge. Luy revenu à son logis, envoya quérir l'espie, auquel il dist: Vizentin, suyvant ma promesse tu » t'en yras au camp des Véniciens, et deman» deras au cappitaine Jehan Paule Moufron si » le cappitaine Bayart est aussi subtil que luy » en guerre; et que quant il vouldra pour le pris, le trouverra aux champs. » il commanda à deux de ses archiers le conduyre hors de la ville; ce qu'ilz firent. Il s'en alla droit à SainctBoniface, où le seigneur Jehan Paule Moufron l'apperçeut, qui le fist prendre, pendre et estrangler, disant qu'il l'avoit trahy; ne excuse qu'il sceust faire ne luy servit en riens.

[ocr errors]

Les Véniciens tenoient encores ceste ville nommée Lignago, où ilz avoient grosse garnison; et souvent faisoient courses ceulx du Véronnoys et eulx, les ungs contre les autres ; et tout l'yver demourèrent en ceste sorte.

taine Jacob, qui depuis fut au roy de France. Ceste place de Lignago se fist fort battre : aussi y avoit-il bonne artillerie, mesmement celle du duc de Ferrare, qui entre autres avoit une longue coulevrine de vingt piedz de long, que les aventuriers nommoient le grant dyable. Enfin furent la ville et le chasteau pris, et mis à mort tout ce qui estoit dedans, ou la pluspart. En ceste prise, le seigneur de Molart et ses aventuriers se portèrent fort bien, et y eurent gros honneur; car ilz n'eurent jamais le loisir d'attendre que la berche fust raisonnable pour y donner l'assault. Le seigneur de Chaumont y commist pour la garder le cappitaine La Crote, avec cent hommes-d'armes dont il avoit la charge soubz le marquis de Montferrat, et mil hommes de pied soubz deux cappitaines, l'ung nommé l'Hérisson, et l'autre Jacomo Corse, neapolitain.

Durant ce siége de Lignago eut nouvelles le seigneur de Chaumont de la mort de son oncle le légat d'Amboise, où il fit une grosse et lourde perte, car il avoit esté moyen de l'eslever ès honneurs où il estoit ; et pareillement avoit fait avoir de grans biens à tous ceulx de sa maison tant en l'Eglise que autrement, car c'estoit tout le gouvernement du roy de France Loys douziesme, et du royaulme. Il avoit esté ung trèssage prélat et homme de bien en son temps, et ne voulut jamais avoir que ung bénéfice, et à son trespas estoit seulement archevesque de Rouen. Il en eust eu assez d'autres s'il eust voulu. Ceste piteuse mort porta le seigneur de Chaumont dedans son cueur aigrement, car il ne vesquit guères après, combien que devant les gens n'en monstroit pas grant semblant, et n'en laissoit à bien et sagement conduire les affaires de son maistre.

Sur le commencement de l'année 1510, et bientost après Pasques, print congé du roy de France Loys douziesme son nepveu le gentil duc de Nemours, dont, de si peu de vie qu'il eut, cette histoire fera ample mention, car il mérite bien estre cronicqué en toutes sortes. Lequel passa en Ytalie, et en sa compaignie mena le cappitaine Loys d'Ars, vertueux et hardy chevalier; où eulx arrivez, furent receuz, chascun selon sa qualité, du seigneur de Chaumont, grant maistre de France et gouverneur de Milan, et de tous les cappitaines estans en Ytalie, honnestement que possible ne seroit de mieulx; et sur tout du bon Chevalier sans paour et sans reprouche, qui tant aymé estoit du duc de Nemours, et de son promier cappitaine Loys d'Ars. Par le commandement du roy de France, estoit encores passé le seigneur de Molart avecques deux mille adventuriers, et plusieurs autres cappitaines. Si alla ledit grant maistre seigneur de Chaumont mettre le siége devant ceste ville de Lignago, que tenoient les Véniciens; et affin qu'elle ne fust aucunement secourue de gens ny de vivres, fut envoyé le seigneur d'Alègre, avecques cinq cens hommes d'armes et quatre ou cinq mille lansquenetz qui estoient soubz la charge de ce gentil prince de Hanno, à Vincence, qui avoit encore soubz luy ce cappi- | chault.

Quand il eut donné ordre à Lignago, s'en vint assembler avec les gens de l'Empereur pour marcher sur le pays des Véniciens, et essayer de les mettre à la raison. Le roy d'Espaigne avoit puis peu de jours envoyé au secours de l'Empereur, soubz la charge du duc de Termes, quatre cens hommes-d'armes espaignolz et neapolitains, qu'il faisoit merveilleusement bon veoir mais pource qu'ilz estoient travaillez, on les envoya séjourner dedans Véronne. Le camp, tant de l'Empereur que du roy de France, marcha jusques à ung lieu nommé Saincte-Croix, où il séjourna quelque temps, car on pensoit que l'Empereur voulsist descendre; mais non fist. Durant ce camp la chaleur fut par trop véhémente, et pource fut de la pluspart de ceulx qui y estoient appellé le camp

Au desloger de là, et près d'un gros village appellé Longare, y eut une merveilleuse pitié; car comme chascun s'en estoit fuy pour la guerre en une cave qui estoit dedans une montaigne, laquelle duroit ung mille ou plus, s'estoient retirez plus de deux mille personnes tant hommes que femmes, et des plus apparens du plat pays, qui y avoient force vivres, et y avoient porté quelques harnois de guerre et des hacquebutes pour deffendre l'entrée qui les vouldroit forcer, laquelle estoit quasi imprenable, car il n'y povoit venir que ung homme de fronc. Les adventuriers, qui sont voulentiers coustumiers d'aller piller, mesmement ceulx qui ne vallent rien pour la guerre, vindrent jusques à l'entrée de ceste cave, qui en langaige ytalien, s'appelloit la crote de Longare. Je croy bien qu'ilz vouloient entrer dedans; mais doulcement on les pria qu'ilz se déportassent, et que léans ne pourroient rien gaigner, parce que ceulx qui y estoient avoient laissé leurs biens à leurs maisons. Ces coquins ne prindrent point ces prières en payement, et s'efforcèrent d'entrer, ce qu'on ne voulut permettre, et tira-l'on quelques coups de hacquebute qui en firent demourer deux sur le lieu. Les autres allèrent quérir leurs compaignons qui, plus près de mal faire que autrement, tirèrent ceste part. Quant ilz furent arrivez, congneurent bien que par force jamais n'y entreroient: si advisèrent d'une grande lascheté et meschanceté; car au droit du pertuys misrent force boys, paille et foin avecques du feu, qui en peu de temps rendit si horrible fumée dedans ceste cave, où il n'y avoit air que par là, que tous furent estouffez et mors à martyre, sans aucunement estre touchez du feu. Il y avoit plusieurs gentilz-hommes et gentilles femmes qui, après que le feu fut failly et qu'on entra dedans, furent trouvez estainctz, et eust-on dit qu'ilz dormoient. Ce fut une horrible pitié; mesmement eust, on veu à plusieurs belles dames sortir les enfans de leur ventre tous mors. Lesditz adventuriers y firent gros butin. Mais le seigneur grant maistre et tous les cappitaines en furent à merveilles desplaisans, et sur tous le bon Chevalier sans paour et sans reprouche, qui tout au long du jour mist peine de trouver ceulx qui en avoient esté cause, desquelz il en prist deux, dont l'ung n'avoit point d'oreilles, et l'autre n'en avoit que une. Il fist si bonne inquisition de leur vie, que par le prévost du camp furent menez devant ceste crote, et par son bourreau penduz et estranglez; et y voulut estre présent le bon Chevalier. Ainsi, comme ilz faisoient cest exploict, quasi par miracle va sortir de ceste cave ung jeune gar1. C. D. M., T. IV.

[ocr errors]

son de l'aage de quinze à seize ans, qui mieulx sembloit mort que vif, et estoit tout jaulne de fumée. Il fut amené devant le bon Chevalier qui l'enquist comme il s'estoit sauvé. Il respondit que quant il veit la fumée si grande, il s'en alla tout au fin bout de la cave, où il disoit avoir une fente du dessus de la montaigne bien petite, par où il avoit pris l'air. Et dist encores une piteuse chose, c'est que plusieurs gentilz-hommes et leurs femmes, quant ilz apperceurent qu'on vouloit mettre le feu, vouloient sortir, en congnoissant aussi bien qu'ilz estoient mors; mais les vilains qui estoient avecques eulx, et beaucoup les plus fors, ne le voulurent jamais consentir, et leur venoient au-devant avecques la pointe des ronçons, en disant qu'ilz mourroient aussi bien que eulx et ainsi les pauvres gens furent assaillis du feu, et des leurs

mesmes.

De ce lieu de Longare marcha le camp droit à Montselles, que les Véniciens avoient repris et remparé, et dedans logé mille ou douze cens hommes. En chemin furent rencontrez par les seigneurs d'Alègre et bon Chevalier, avecques le seigneur Mercure et ses Albanoys, qui estoient pour lors à l'Empereur, quelques chevaulxlégiers de ceulx de la seigneurie qu'on appeloit Corvaz, et sont plus turcs que chrestiens ; lesquelz venoient voir s'ilz gaigneroient quelque chose sur le camp; mais ilz firent mauvais butin, car tous ou la plupart y demourèrent, et furent bien ung quart d'heure prisonniers. Entre lesquelz le seigneur Mercure va congnoistre le cappitaine qui estoit, ainsi qu'il dist depuis, son cousin germain, et l'avoit gecté de son héritage en Corvacie, lequel il tenoit et occupoit par force, et estoit le plus grant ennemy qu'il eust en ce monde. Si luy vint à ramentevoir toutes les meschancetez qu'il luy avoit faictes, et que à présent estoit bien en luy d'en prendre vengeance. L'autre dist qu'il estoit vray, mais qu'il avoit esté pris en bonne guerre, et que par raison devoit sortir en payant rançon selon sa puissance, dont il offroit six mille ducatz et six beaulx et excellens chevaulx turcs. « Nous parlerons de cela plus à loysir, dist le » seigneur Mercure; mais, par ta foy, si tu me tenois ainsi comme je te tiens, que feroys-tu » de moy? » Lequel respondit : « Puisque si >>fort me presses que de ma foy, je t'advise que >> si tu estois en ma mercy comme je suis en la tienne, tout l'or du monde ne te sauveroit pas

[ocr errors]
[ocr errors]
[merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

à jouer des cousteaulx; lesquelz soubdainement |
misrent leurs cymeterres en besongne, et n'y
eut cappitaine ne autre qui n'eust dix coups
après sa mort; puis leur couppèrent les testes,
qu'ilz picquoient au bout de leurs estradiotes,
et disoient qu'ilz n'estoient pas chrestiens. Ilz
avoient estrange habillement de teste, car il es-
toit comme ung chapperon de damoyselle; et
où ilz mettoient la teste, cela estoit garny de
cinq ou six gros papiers colez ensemble, de fa-
çon que une espée n'y faisoit nemplus de mal
que sur une secrette (1).

Le siége de Montselles, qui se fist canonner l'espace de quatre ou cinq jours, et n'eust jamais esté pris, veu la fortiffication qu'on y avoit faicte, n'eust esté que ceulx qui estoient dedans sortoient pour venir à l'escarmouche, et bien souvent jusques à ung bon gect de pierre de leur fort, contre les adventuriers françois, qui vouluntiers eussent esté veoir quel il faisoit en la place.

fist, car il envoya les seigneurs de Montoison, de Fontrailles, Du Lude, et le bon Chevalier, avecques trois ou quatre mille hommes de pied françois, et huyt cens Suysses qu'avoit tirez du pays, comme adventuriers, ung cappitaine nommé Jacob Zemberc. Eulx arrivez à Ferrare, furent fort bien receuz du duc, de la duchesse et de tous les habitans.

Le grant maistre, avecques son armée qui luy resta, se retira au duché de Milan, parce qu'il fut adverty que les Suysses, qui ung peu auparavant avoient laissé l'aliance du Roy son maistre, y faisoient une descente, et estoient desjà au pont de La Treille. Quant il arriva, il ne séjourna point à Milan; ains avecques sa gendarmerie, les deux cens gentilz-hommes et quelque petit nombre des gens de pied, les alla attendre en la plaine de Galezas, et leur fist oster tous ferremens de moulins et tous vivres de leur chemin; et qui pis est, à ce qu'on disoit, avoit fait empoisonner tous les vins estans audit lieu de Galezas, jusques où vindrent les Suysses, et en beurent tout leur saoul: mais au dyable celluy qui en eut mal. Guères ne furent aux champs que vivres ne leur faillissent; parquoy leur en convint retourner en leur pays, où ilz furent tousjours conduitz de près, affin qu'ils ne meissent le feu en nulz villages. Il alla des adventuriers françois audit lieu de Galezas, qui voulurent boire du vin qu'on avoit empoisonné pour

Il fault dire que Dieu s'en mesla, ou que l'espice estoit demourée au fons du tonneau.

Par une après-disnée que l'on n'y pensoit point, les gens du cappitaine Molart, avecques ung gentil-homme qui se nommoit le baron de Montfaucon, allèrent escarmoucher ceulx du chasteau, qui gaillardement y vindrent, et faisoient merveilles: tellement que deux ou trois repoulsèrent assez lourdement les adventuriers, et une fois entre autres les chassèrent trop loing, tellement que quant ilz se cuidèrent retirer se trouvèrent lassez; dont lesditz adventuriers s'ap-les Suysses; mais il en mourut plus de deux cens. perceurent qui les chassèrent vivement, et de façon qu'ilz entrèrent pesle mesle parmy les ennemys dedans la place. Quant ceulx qui la gardoient virent qu'ilz estoient perduz, se retirèrent en une grosse tour, où incontinent ilz furent assiégez; et bouta-on le feu au pied. La pluspart s'y laissa brusler plustost que se rendre; les autres sortoient par les créneaulx, qui estoient receuz sur la pointe des picques par les adventuriers. Brief, il en eschappa bien peu en vie. Il y fut tué, du costé des François, ung gentil-homme nommé Camican, et le baron de Montfaucon blessé à la mort : toutesfois il en eschappa, mais ce fut à bien grant peine.

On fist remparer la place, et y mist-on grosse garnison, cuydant aller mettre le siége à Padoue; mais nouvelles vindrent que le pape Julles estoit révolté, et qu'il alloit faire la guerre au duc de Ferrare, lequel estoit allyé du roy de France, auquel ledict duc en avoit amplement escript pour estre secouru. A quoy le Roy voulut bien obtempérer, et escripvit au grant maistre, son lieutenant-général, luy bailler secours. Ce qu'il

(1) Arme défensive.

Or je laisseray ung peu ceste matière, et retourneray à la guerre du Pape et du duc de Ferrare. Mais premier je déclaireray une merveilleuse et périlleuse adventure qui advint à ceux de Lignago, en la mesme année.

CHAPITRE XLI.

Comment ceulx de la garnison de Lignago firent une course sur les Véniciens par l'advertissement de quelques espies qui les trahirent; parquoy ils furent deffaictz.

Quant le gentil chevalier de La Crote se fut mis en ordre dedans Lignago, peu demoura de jours qu'il ne tumbast malade, et fut en grant dangier de mort. Il avoit tout plain de jeunes gens voulentaires, dont entre autres estoit ung gentil-homme appellé Guyon de Cantiers, fort hardy, et courageux plus que de conduicte. Les Véniciens venoient aucunesfois courir jusques devant ceste place de Lignago; mais ceulx de

« AnteriorContinuar »