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>> mais faits, ne fut pareil que celuy qu'on a dé» mené et qu'on démène encore en notre camp; >> car il semble que nous ayons perdu la bataille, >> bien vous promets-je, Monsieur, que c'est le >> plus grand dommage que de prince qui mourut >> cent ans a, et s'il eust vécu àge d'homme, il >>> eust fait des choses que oncques prince ne fit; >> et peuvent bien dire ceux qui sont de deçà, » qu'ils ont perdu leur père; et moi, Monsieur, >> je n'y sçaurois vivre qu'en mélancolie, car » j'ay tant perdu que je ne le vous sçaurois >> écrire.

>> Monsieur, en d'autres lieux furent tuez » M. d'Alegre et son fils, M. du Molard, six ca>> pitaines allemans et le capitaine Jacob, leur >> colonel, le capitaine Maugiron, le baron de » Grand-Mont, et plus de deux cents gentils>> hommes de nom et tous d'estime, sans plus de >> deux mille hommes de pied des nostres, et vous >> asseure que de cent ans le royaume de France >> ne recouvrera la perte qu'y avons eüe.

>> Monsieur, hier matin fut amené le corps de >> feu Monsieur à Milan, avec deux cents hommes>> d'armes, au plus grand honneur qu'on a sceu >> adviser; car on porte devant lui dix-huit ou >> vingt enseignes, les plus triomphantes qu'on » vid jamais, qui ont esté en cette bataille ga>> gnées : il demeurera à Milan jusques à ce que >> le Roy aye mandé s'il veut qu'il soit porté en » France ou non.

>> Monsieur, nostre armée s'en va temporisant >> par cette Romagne, en prenant toutes les villes >> pour le concile; ils ne se font point prier d'eux >> rendre, au moyen de ce qu'ils ont peur d'estre >> pillez comme a esté ceste ville de Ravenne, >> en laquelle n'est rien demeuré, ef ne bouge»rons de ce quartier que le Roy n'aye mandé » qu'il veut que son armée face.

>> Monsieur, touchant le frère du Poste dont >> vous m'avez écrit, incontinent que l'envoye>> rez, il n'y aura point de faute que ne le pour» voye, puisque my est dépesché. Je crois qu'au>> rons abstinence de guerre: toutesfois les Suisses >> font quelque bruit tousjours; mais quand ils >> sçauront cette desfaite, peut-être ils mettront >> quelque peu d'eau en leur vin. Incontinent >> que les choses seront un peu appaisées, je >> vous iray voir. Priant Dieu, Monsieur, qu'il >> vous donne très-bonne vie et longue. Escrit au >> camp de Ravenne, ce 14 jour d'avril. Vostre >> humble serviteur,

>> BAYARD. >>

Après la bataille de Marignan les princes et les chefs de l'armée française durent être témoins d'un beau et touchant spectacle, lorsque François Ier voulut être armé chevalier de la main de Bayard. «Ce sera donc de la main du » chevalier Bayard, dit le Roi, que je seray fait >> chevalier; nul ne luy en doit porter envie, >> puisque nul n'a eu l'heur de se trouver en >> tant de batailles, assaults et rencontres, à

» pied et à cheval, et donné plus de preuves de »sa vaillance, expérience et bonne conduite. »> Quand Bayard eut donné au roi de France l'accolade de chevalier, il embrassa son épée et prononça ces paroles: «Glorieuse épée, qui au»jourd'huy as eu l'honneur de faire chevalier le >> plus grand Roy du monde, je ne t'employerai » jamais plus que contre les infidèles eunemis >> du nom chrétien. » François Ier et son conseil, se croyant dans l'impuissance- de défendre la ville de Mézières, menacée par les forces de Charles-Quint, étaient d'avis de brûler la place; Bayard fit prévaloir une opinion contraire, disant « qu'il n'y avoit point de place foible là où » il y avoit des gens de bien pour la défendre. >> Bayard se chargea de la garde de Mézières, soutint le siége pendant six semaines contre une nombreuse armée qui fut obligée de se retirer. << Tous les habitans de Mézières, dit Expilly (1), quand le sieur de Bayard en sortit, le suivoient avec acclamations et actions de gràces, nonseulement à luy, mais aussi aux capitaines et soldats, baisant leurs armes et casaques, comme à leurs défenseurs et libérateurs : j'ay appris que cette ville, non ingrate de ses bienfaicts, garde encore la souvenance de tant d'obligations, et honore tous les ans la mémoire du Chevalier. >> La belle et admirable mort de Bayard est racontée de la façon la plus touchante par le loyal serviteur; mais le narrateur n'a point parlé de l'entrevue avec le connétable de Bourbon. Celuici, abordant le héros mourant: « Ha! capitaine >> Bayard, lui avoit-il dit, que je suis marry et >> desplaisant de vous voir en cet estat! Je vous >>ay tousjours aimé et honoré pour la grande » prouesse et sagesse qui est en vous. Ha! que >> j'ay grand pitié de vous! - Monseigneur, lui >> répondit Bayard, je vous remercie; il n'y a » point de pitié en moy qui meurs en homme de >> bien, servant mon Roy. Il faut avoir pitié de >> vous, qui portez les armes contre vostre prince, >> vostre patrie et vostre serment. » Bayard mourut à 48 ans, et non point à 55 ans, comme dit Expilly.

L'histoire a recueilli des paroles de regrels et d'admiration prononcées par François Ier, qui comprit tout ce qu'il perdait en perdant Bayard; il répétait, en gémissant, « qu'il avoit perdu un >> grand capitaine, dont le nom faisoit honorer » et craindre ses armes; que véritablement il » méritoit de plus hautes charges et bienfaicts » qu'il n'en avoit possédé. » Dans les jours où la victoire avoit cessé d'être fidèle au drapeau de la France, François Ier disait souvent : «Ha! » chevalier Bayard, que vous me faites grand >> faute ! » Pendant sa captivité en Espagne, le roi de France, causant avec Marin de Monchenu, son premier maître-d'hôtel, aimait à rappeler la mémoire de Bayard comme de l'homme qui lui aurait épargné bien des mésaventures.

(1) Supplément à l'histoire du chevalier Bayard.

« Si le chevalier Bayard, qui estoit vaillant et » expérimenté, disait-il, eust été vivant et près » de moi, mes affaires sans doute auroient pris » un meilleur train; j'aurois pris et creu son >> conseil, je n'aurois séparé mon armée, et ne >> saurois sorty de mon retranchement; et puis >> sa présence m'auroit valu cent capitaines, >> tant il avoit gaigné de créance parmy les » miens et de crainte parmy mes ennemis. Ha! » je ne serois pas icy! >>

Symphorien Champier, auteur d'une histoire de Bayard qu'on ne doit lire qu'avec précaution, a donné sur les funérailles de Bayard d'intéressants détails; nous les reproduirons pour compléter ceux qui se trouvent rapportés par le loyal serviteur: «Quelque temps après, le corps de Bayard feut porté à Grenoble, et feut, par messieurs de la justice et les gentils-hommes du pays, et par ceux de la ville, receu en moult grand honneur et grand deuil, plainct d'un chacun; et ne feut de vie d'homme tant regretté seigneur ne autre d'un chacun que le noble Bayard. Après que feut porté le corps à Grenoble, feut mis au couvent et monastère des Minimes, lequel avoit fondé et faict édifier monseigneur Laurent des Alemans, oncle dudict Bayard, évesque de Grenoble. Et pour ce que à son trépas le noble seigneur Bayard avoit ordonné estre sépulturé avec ses père et mère, au lieu de Grenion, feurent assemblez les parents là où il debvoit estre inhumé; et feut dict que, pour ce qu'il avoit esté lieutenant du gouverneur du pays, et que Grenoble estoit le chef de la justice Delphinale, seroit meilleur qu'il feust ensépulturé au couvent des Minimes, lequel avoit esté construict par son oncle, M. de Grenoble; et ainsi feut faict. Et feurent les obsèques et funérailles faictes comme s'il eust été non un lieutenant ou un gouverneur, mais un prince. » Bayard n'a pour tout monument funèbre qu'un buste, au bas duquel est gravée une épitaphe latine. Henri IV, passant à Grenoble en 1601, avait donné ordre qu'on élevât à la mémoire du Chevalier sans peur et sans reproche | un mausolée digne de lui, et les ordres du monarque ne purent recevoir leur accomplissement. En 1619, un fonds de mille livres fut voté à Grenoble pour cette noble destination; mais

les deniers ayant été divertis, dit Expilly, on n'y a rien fait. Frappé de l'humble solitude qui entourait les cendres d'un grand capitaine, Expilly avait composé les vers suivants, dans l'année 1622 :

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Au rapport des historiens, Bayard était grand et maigre; sa peau était blanche et délicate; il avait des yeux noirs et vifs, le nez aquilin, des cheveux châtains, l'expression de la figure douce; il portait la barbe rase pour être plus libre sous les armes. A voir Bayard, on ne l'eût point pris pour un chef d'armée accoutumé aux violentes scènes du champ de bataille.

Nous ne dirons rien de l'ouvrage da loyal serviteur, sinon qu'il est impossible de trouver une plus attachante lecture. L'inimitable simplicité du style s'y mêle à l'intérêt des faits, intérêt toujours vif, toujours soutenu, et qui repose sur tout ce qu'il y a de bon, de noble, d'élevé dans les sentiments humains. Le nom du loyal serviteur nous est resté inconna; on présume que ce fut un fidèle secrétaire de Bayard. Nous avons reproduit l'édition de 1527, comme étant la seule complète. En lisant cette histoire du Chevalier sans peur et sans reproche, on est frappé de la ressemblance de Bayard avec Tancrède et Du Guesclin. Tancrède, Du Guesclin et Bayard forment, dans l'histoire moderne, comme la trinité de l'héroïsme.

PROLOGUE DE L'ACTEUR.

Pource qu'il est moult difficile sans la grâce | petis, aft vescu, que le bon Chevalier dont la

présente hystoire est commencée. Et combien que de tout temps, en ceste doulce contrée de France, la grâce de Nostre Seigneur s'est si grandement espandue, que peu de deffault y survient quant aux nécessitez du corps, qui est une manne quant à ceste vie mondaine, ung autre inconvénient à ceste occasion y survient: c'est que la grande ayse que grans, moyens et petis y soustiennent les mect en telle oysiveté, qu'ilz ne se peuvent contenir du péché d'envye. En blasmant aucunes fois à tort et sans cause

de Dieu, en ce mortel estre, complaire à tout le monde, et que les hommes coustumiers d'escripre hystoires et cronicques font voulentiers leur adresse à aucun notable personnage, je, qui, sans autrement me nommer, ay empris de mettre en avant les faictz et gestes du bon Chevalier sans paour et sans reprouche, le seigneur de Bayart, et parmy ses excellentes œuvres y comprendre plusieurs autres vertueux personnages, me suis advisé, à ce qu'il ne feust murmuré cy-après contre moy n'avoir bien et justement fait mon devoir particulier en laissant l'ungles innocens, et en détenant caché les mérites, pour prendre l'aultre, attribuer cest mienne rudde hystoire aux trois estatz du très-excellent, très - puissant et très - renommé royaulme de France; car, pour au vray amplifier les perfections d'ung homme, ne l'ay peu faire autrement, considéré que sans grâce infuse du Sainct-Esperit, depuis l'incarnation de nostre sauveur et rédempteur Jésuchrist, ne s'est trouvé, en cronicque ou hystoire, prince, gentil-homme, ne autre condition qu'il ait esté, qui plus furieusement entre les cruelz, plus doulcement entre les humbles, ne plus humainement entre les

prouesses et honneurs des vertueux, si s'en trouverra-il peu qui sceussent ou ayent voulu dire chose contre l'honneur d'icelluy bon Chevalier, s'ilz ne l'ont dit à l'emblée; car en iceulx trois estatz s'est si vertueusement gouverné, qu'il en aura quant à Dieu sa grâce, et quant au monde verdoyante et immortelle couronne de laurier, pour ce que, touchant l'Eglise, ne s'en est jamais trouvé ung plus obéissant; quant à l'estat de noblesse, ung plus deffensible; et à l'estat de labour, ung plus piteux ne secourable.

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