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CONTENANT L'INTENCION

DE L'ACTEUR DU CHEVALLIER SANS REPROCHE,

A NOBLE ET PUISSANT SEIGNEUR MESSIRE FLORYMONT ROBERTET, CHEVALLIER, BARON DALVYE, CONSEILLER DU ROY NOSTRE SIRE, TRÉSORIER DE FRANCE ET SECRÉTAIRE DES FINANCES: JEAN BOUCHET DE

POICTIERS REND TRÈS-HUMBLE SALUT.

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courages à prudence, magnanimité, droicture, modestie et aultres vertuz tendans à » souveraine félicité et esloigner du contraire; pour laquelle considéracion les anciens, regardans à l'utilité du commun bien, pour » n'estre d'ingratitude repris, mais les bien fai» sans rémunérer et donner occasion aux vivans » de ainsi faire, tenoient en leurs temples et lieux publicques, leurs statues, portraictz et ymages richement entaillez et enlevez; et » que nécessaire seroit pour la réviviscence de discipline militaire, par nonchalance semy» morte, la florissant gendarmerie de France, » ressembler en vouloir, cueur, hardiesse, diligence et fidélité, feu de bonne mémoire mon» sieur Loys de la Trémoille, chevalier de l'or» dre, conseiller et premier chambelan du Roy »> nostre sire, comte de Guynes et Benon, vi» comte de Thouars, prince de Thalemond, "admiral de Guyenne et Bretaigne, et gouver»neur de Bourgongne (lequel, pour ses louables. faictz, a le tiltre de Chevalier sans reproche » acquis); faysans craindre les dangereuses » et vénéneuses morsures des envieux et dé» tracteurs (desquelz tous escripvains ne furent »onc exempts), en ung opusculle succintement recully, ce qui est, à mon petit congnoistre, parvenu de ses meurs, faictz et gestes, depuis » son enfantine jeunesse jusques à son trespas, >> tant par sa familière bouche, comme feit Caius Marius le vieil, que par ma veue et congnoissance; mon extimacion est, mon très-honnouré Seigneur, ce preux chevalier avoir, davant les gens droictz, tant d'hon»neur, bien-veillance, renom, louange et bon » extime pour ses graces acquis, que nulz (fors

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>> les insidiateurs de bonne renommée et eunemys de vertuz) vouldront de flaterie et mendacieuse assercion mon petit euvre calumpnier, comme aucuns ont mon Labirinthe de fortune, et Temple de bonne renommée. » Combien que si la promptitude des espritz en vouloit droictement juger, prendroit labeur à >> trouver la clère intelligence de mon intencion, qui a esté et est, à l'exemple de la Pédie de » Cyrus, des Tyrocinies de Alexandre-le-Grant, » et du Songe de Scipion, en publiant les vertuz de ceulx du passé, instituer pour curieuses >> invencions des esprits fatiguez récréatives, » ceulx du présent à droictement vivre, et suivir » le Chevalier sans reproche.

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>> Et combien que la mémoire de ce chevalier » sans reproche, pour ses louables faictz, mé>> rite bien estre présente aux yeux du Roy, »> nostre souverain seigneur, qui est des bien faisans, droicturier juge et équitable rénumérateur; néantmoins, à la raison de ce que la rudite de mon stille, trop esloigné d'éloquence de court, ne vault ne mérite estre veu » par luy, duquel toutes les graces et vertuz (qu'on sauroit en tous les autres princes cres>> tiens désirer) sont accumullées et comprinses, » et, entre aultres, formosité corporelle, élo>>quence faconde, hardiesse, prudence, richesse, noblesse et droicture, j'ay, contre le >> conseil d'aucuns messieurs et amys, recullé luy en faire présent; mais à vous, son trèsloyal et bien mérité serviteur, me suys adroissé, » à ce que, par le moien de vostre tesmoignage >> et de ceulx qui avec vous verront ce que j'ay escript, jugement véritable soit prononcé des >> faictz et gestes de ce tant regreté prince et » chevalier, à vous descouvers pour la familiarité » de voz personnes, duquel (comme doit sem» bler à tous les clervoyans) avez tousjours esté » vray imitateur en fidélité, peine et labeur, >> au service de trois roys, où avez en vostre estat, comme luy au sien, acquis tiltre de loyal serviteur sans reproche.

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En quelle extime de fidélité, prudence et diligence vous eut le roy Charles VIII, duquel je vous vy principal secrétaire, et vous » fut le manyment de la pluspart de ses affai» res baillé au voiage de la conqueste et recou» vrement du royaulme de Cécille et pays de Naples, où vostre diligence, par la conduicte de vostre cler sens, donna très-bon comman» cement à vostre immaculé renom; de sorte » que fustes tousjours son très-bien amé serviteur, par le commandement duquel, en fa» veur d'aucunes légières fantasies rithmées » que mon ignorante jeunesse, peu de temps » avant son décès, luy présenta, fuz, à mon importunée instance et prière, à vostre ser» vice destiné, ce que ne voulut, à mon grant regret et perte, fortune. Le trespas de ce Roy » ne diminua vostre auctorité, car le roy Loys XII, dernier décédé, son successeur, "ayant, pour longue expérience de voz louables » vertuz, congnoissance certaine, après le dé» cès de feu monsieur le légat d'Amboise (1), » vous donna le manyment et direction d'au» cuns affaires, voyre des principaux de ce royaume, qui furent manyez et conduictz en » si bon ordre et droicture, que ce Roy fut appellé le Père du Peuple.

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» et auguste mère, parce que je l'extime estre tel qu'on a matière se contanter de vous. Et quant on considère le grant nombre des fidelles » et loyaulx serviteurs qu'ilz ont eus et ont au » tour de leurs personnes, de robes courtes et longues, desquelz estes ung, et commant tous » ensemble les avez fidèlement, prudemment » et diligemment serviz, on ne sçait auquel donner la première louange, mesmement ès » grans affaires du royaulme, périlz et dangiers où il a esté, par ung an et plus, après la prinse » du Roy, dont, graces à Dieu, l'infortune a » esté en si grant tempérance et doulceur sous» tenue, et par si grant prudence et diligence » conduicte, que le royaulme n'a esté molesté, invadé ne assailly des privez ne des extranges, ce qu'on conjecturoit advenir, comme après la prinse du roy Jehan, les calamitez duquel temps sont toutes congneues. Et jaçoit » ce que la gloyre en doyve estre seullement à » Dieu donnée, et la louange principalle après, » à madame la régente, mère du Roy, la pru» dence de laquelle y a esté et est autant et

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(1) George d'Amboise.

(2) Marguerite, duchesse d'Alençon, sœur de Fran

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qui fut onc entre les Hébrieux, Grecz et La

tins, et aussi à madame la duchesse sa fille (2), » pour les causes que j'ay ailleurs escriptes, et dont la renommée en doit, à l'honneur du sexe » féménin, éternellement durer, néantmoins je >>ause bien dire que le bon vouloyr des princes de leur sang, la diligence, prudence et conduycte de leursdictz serviteurs de robes courte » et longue, avec la fidélité des villes et des » subjectz, y ont grandement aydé car vous >> tous ensemble, congnoissans la vertu de » l'homme se monstrer és grans affaires, périlz » et dangiers, y avez entièrement emploié et » monstré voz espritz, loyaulté, prudence, diligence, modéracion et magnanimité; de sorte que, sans perte de terres ne personnes, et >> sans charger les Etats du royaume, on a re» couvert ce que plus on désiroit, et qui plus » estoit et est nécessaire, utile et proffitable » pour le royaulme, c'est la personne du Roy: » ce qui ne fut onc en si bonne sorte fait si les histoires sont véritables.

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» Or donc, jugeant que, à toutes ces choses faire, avez peu congnoistre le loyer des bien méritez, plus asseuré de vostre bénignité (ô prince de rhétoricque françoise) que d'aucune faveur, j'ay prins hardiesse vous diriger le » brief recueil des faitz et gestes de celuy duquel, quant à fidellement servir la couronne de France, avez esté imitateur, et acquis tiltre de bon serviteur sans reproche, à ce qui vous plaise défendre l'escripture de la détraction » des envieux et que sousteniez la vérité davant » les princes, si l'opuscule mérite estre par eulx » veu et regardé, dont je ne suis digne, espé»rant que s'il est (non en la mienne faveur, mais du chevalier sans reproche) par vous » soustenu, passera partout; vous priant trèshumblement, ô père d'éloquence, y donner >> vostre auctorité, faveur et ayde, et, pour ce faire, laisser quelquefoiz le labeur des publiques occupations, èsquelles, comme l'un des géniaulx directeurs des affaires de France, » estes ordinairement occupé, et, usant de >> vostre accoustumée bénignité (de laquelle >> avez tant acquis que plaincte de rigueur ne » fut onc contre vous faicte, ce qui peut facille»ment advenir en ceulx de vostre estat), don»ner, pour le repos de vostre esprit, iceluy

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DU CHEVALLIER SANS REPROCHE,

LOUIS DE LA TRÉMOILLE.

CHAPITRE PREMIER.

rudesse de mon esprit, ne à la différance et variabilité du vulgaire languaige du temps pré

La généalogie de la riche et illustre maison sent, j'ay quis l'entrée de mon petit labeur par

de la Trémoille.

Après avoir tyré de mon désolé cueur, innumérables souspirs pour l'infortune advenue en la très-noble et illustre maison de La Trimoille, à présent florissant en honneur, non seullement pour le décès de monsieur Charles, mais aussi de monsieur Loys son père, qui sont au lict d'honneur, couverts de fidélité, chevaleureusement passez de ceste misérable demeure au temple de bonne renommée et lieu de immortel loz sans reproche, vérité procédant de honneste amour et gratitude despiesça (1), née de plusieurs bienffaitz, et grans bénéfices que j'ay de ceste très-noble maison receuz, plus remplissans mon honneste plaisir que particulier proffit, m'ont contraint prandre une des servantes de l'œil du monde et une autre de la radiante Lucine, pour rédiger par escript, non en vers et mectres, mais en prose, les mémorables gestes du loyal père après ceulx de l'obéissant filz. Combien que nécessité et aage me vouleussent de la main dextre ouster ma plume, et m'empescher de plus escripre tragédies, histoires et choses moralles, où au gré d'aucuns j'ay trop de jours emploiez, plaignans plus que moy l'occupacion de telles œuvres, qu'ilz n'extiment estre tant acceptées des prudens hommes que les négoces familières qui eslièvent par richesses ceulx qui, nuyet et jour, y vacquent et travaillent, comme si, par inopiné conseil, vouloient maintenir que richesse mondaine fust souveraine félicité, dont tous les raisonnables hommes congnoissent par vraye expériance le contraire; or donc, sans avoir regard au parler d'aucuns, à la difficulté de mon entreprise, à la

(1) Depuis long-temps.

la généalogie de ce preux Loys nommé, par ses glorieux faictz, chevalier sans reproche; la première tige duquel végéta premièrement ou fertile et fameux pays de Bourgoigne, les vers et florissans rameaulx qui ont produyt tant de nobles fruictz en toutes les parties des Gaules que nous appellons à présent France occidentalle.

Et pour l'entendre, les antiques et modernes historiens portent tesmoignaige que, durant le règne de Loys huyctiesme de ce nom, fils de Phelippes-Auguste, dix-septiesme roy de France, florissoyt et avoyt bruyt et renom en Bourgoigne, ung preux et hardy chevalier, nommé messire Ymbault de la Trimoille, qui fut marié avec une des filles de l'illustre maison de Castres, duquel mariage vindrent plusieurs enfans masles, qui vesquirent avec leur père longuement; en sorte que le père et les enfans estoient, pour leurs nobles armes, crains et redoubtez, car ils estoient riches, vaillans, hardis et prudens en guerre. Et fut messire Ymbault au service dudit roy Loys VIII, à guerroier les Angloys, et après son décès, au service du roy sainct Loys, qui commença régner l'an 1227; et l'an 1247 les princes de France se assemblèrent en la ville de Lyon, avec le roy sainct Loys, où estoit le pape Innocent quart de qui leur récita comment la cité de Jhérusalem avoit esté prinse par les Infidelles, et les Crestiens chassés, et partie d'iceulx occis, ce qui esmeut à pitié le Roy, les princes et plusieurs chevaliers de France; en sorte que pour aller donner secours aux Crestiens, le roy sainct Loys, les arcevesques de Reims et Bourges, l'évesque de Beauvaiz, les troys frères du Roy, le comte de Sainct-Paul, Jehan comte de Richemont, filz du duc Jehan de Bretagne, le

ce nom,

comte de La Marche, le comte de Montfort, Archambault, seigneur de Bourbon, Hue de Chastillon, le seigneur de Coucy, messire Ymbault de La Trimoille, et troys de ses enfans, l'aisné desquelz estoit marié et avoit ung filz, aussi se croisèrent plusieurs aultres princes, barons, chevaliers, prélatz et aultres gens.

L'an après, allèrent tous oultre mer prindrent la ville Damyète, environnée du grant fleuve du Nyl, puis allèrent assiéger la ville de Malsaure (1) où ils eurent grosse perte; car une partie des Crestiens furent occis, et plusieurs desditz prélatz et gros seigneurs de France, et entre aultres Robert, comte d'Artoys, frère dudict roy sainct Loys, messire Ymbault de La Trimoille et ses enfans, de l'aisné desquelz enfans sont venuz d'aultres enfans, desquelz est descendu messire Guy de La Trimoille, dont nous parlerons par après.

Ung peu davant ce, et durant le règne dudict roy Phelippes Auguste, vivoit messire Aymery, vicomte de Thouars, qui estoit ung grant et redoutable prince en Aquitaine, et aussi monsieur Amorry de Craon, chevalier, qui fut fort aymé du pape Innocent troysiesme de ce nom, au moyen de ce que, à sa requeste, il estoit allé, contre les Infidèles, en Asie, avec Boniface, marquis de Montferrant, Bauldouyn, comte de Flandres, Henry, comte de Sainct-Paul, Loys, duc de Savoye, et aultres princes de France, environ l'an 1200; dont par après ledict pape Innocent donna quelques priviléges spéciaulx audiet seigneur de Craon, et par la bulle d'iceulx, dattée de l'an 1222, l'appelle le fort des forts, chief des chevaliers, ayde et secours du Sainct-Siége apostolicque: ce que je n'escriptz sans cause, car monsieur Loys de La Trimoille (duquel je veulx parler) est aussi descendu de ces deux maisons de Thouars et de Craon, comme nous verrons cy-après.

Du filz aisné dudict Ymbault de la Trémoille vinst ung aultre de la Trimoille qui fut père de messire Guy de La Trimoille, lequel messire Guy de la Trimoille espousa dame Marie de Sully, qui avoit esté fiancée avec monsieur Jehan, comte de Mompensier, filz de Jehan, duc de Berry, qui estoit filz du roy Jehan, et frère du roy Charles V, au moyen de ce que durans lesdictes fiansailles ledict comte de Mompensier estoit décédé.

Ladicte Marie avoit quarante mille livres de rente, et estoit fille de messire Loys de Sully et d'une dame de la maison de Cran; et ledict messire Loys estoit venu d'ung due d'Athènes, à

(1) Massoure.

cause de sa mère qui estoit fille dudict duc et seur de Gaultier, duc d'Athènes, qui espousa dame Jebanne de Mélo, dont vinst dame Jehanne d'Eu, comtesse et duchesse d'Athènes, laquelle donna, en l'an 1388, la seigneurie de Saincte-Hermyne en Poictou ausdicts Guy de La Trémoille et dame Marie de Sully sa femme. Ce Gaultier, duc d'Athènes, comme récite maistre Jehan Bocasse en la fin de son livre des nobles malheureux, après la mort de son père qui avoit perdu ladicte duché que ses prédécesseurs avoyent acquise à la glorieuse conqueste que les Françoys firent contre les Infidèles, lorsque Geoffroy de Boulion, Geoffroy de Luzignen, dict la grant dent, et aultres, conquirent la Terre-Saincte, se retira à Florence dont il fut chief et gouverneur, puis s'en vinst en France, dont ses prédécesseurs estoient yssuz, et fut receu honnorablement par le roy Jehan, qui le fist son connestable, et le maria avec ladicte Jehanne de Mélo, fille de messire Raoul de Mélo, comte d'Eu et de Guynes. Depuis ledict Gaultier fut occis en la journée davant Poitiers, où le roy Jehan fut prins par les Angloys, eu

l'an 1356.

Messire Guy de La Trimoille estoit ung des beaulx et vaillant chevalier qu'on eust peu veoyr; et à ceste cause, en l'expédicion que le roy Charles VI fist contre les Angloys et Flamans, le Roy fist bailler l'auriflame audict messire Guy, qui la retourna à son honneur, la victoyre par les François obtenue. Certain long. temps après, il fut en Hongrie, en la compaiguée de monsieur Jehan, comte de Nevers, filz de Phelippes, duc de Bourgongne, et aultres princes de France que ledict roy Charles VI envoya contre les Infidèles, pour secourir Sigimond, roy de Hongrie et Bohème, qui depuis fut empereur, où les Françoys furent deffaitz par la malice des Hongres. Lesquelz, envieux des mémorables faictz des Françoys, les faisoyent marcher davant, leur donnant entendre que incontinent après marcheroit leur armée, ce qu'elle ne fist, par le moyen de quoy les ennemys obtindrent victoyre; et fut prins ledict Jehan, comte de Nevers, avec aultres seigneurs de France, ledict messire Guy de La Trimoille blécé en plusieurs lieux, et son filz aisné, aussi nommé Guy, qui estoit encores fort jeune, occis.

Ledict messire Guy, comme il vouloit retourner en France, mourut des playes qu'il avoit eues, et fut enterré en la ville de Rhodes; il laissa ladicte de Sully sa veufve, et deux filz, Georges et Jehan, en la garde de leurdicte mère, l'aisné desquelz n'avoit encores cinq ans; et tost après ladicte dame se maria en secondes

nopces avec messire Charles, seigneur d'Allebret, lors connestable de France.

Ainsi appert que lesdictz Jehan et Georges de La Trimoille sont descenduz de la maison de Athènes et de Sully d'une part, et de l'autre part de l'ancienne maison de Cran, ung puisné de laquelle espousa dame Mahault, comtesse de Flandres et de Breban, enterrée au cueur du couvent des Frères-Prescheurs de Paris, et ung messire Jehan de Craon, qui fut évesque d'Angiers, arcevesque de Reims, patriarche de Constantinople, et grand gouverneur du roy Charles V, père dudict Charles VI; lequel messire Jehan de Cran estoit oncle de messire Pierre de Craon, chevalier, qui fut tant aymé du roy Charles VI, et monsieur Loys duc d'Orléans, son frère, que ledict duc voulloit qu'il fust tousjours vestu de ses couleurs : toutesfois fust esloygné de court, pour une parolle qu'il dist à madame Valentine, espouse dudict duc d'Orléans, par le moyen de messire Olivier de Clisson, chevallier, lors connestable de France; lequel de Clisson ledict de Cran s'efforça occire en la ville de Paris, avant que l'an fust passé, dont vindrent de grosses follies, comme il est contenu ès Annalles d'Aquitaine et Croniques de France.

Messire Jehan de La Trémoille, filz puisné dudict messire Guy, fut comte de Jonvelles et premier chevallier de l'ordre de Jehan duc de Bourgongne, auparavant comte de Nevers, duquel a esté parlé au précédent article; aussi le fut du duc Phelippes son filz, et espousa la seur de messire Loys d'Ambayse, vicomte de Thouars, et seigneur d'Ambayse Montrichard et Blère, lesquelz décédèrent sans hoirs; pourquoy luy succéda ledict messire Georges de La Tremoille, chevallier, son frère, quequessoit

ses enfans.

Ledict messire Georges fut en son vivant ung des plus beaulx hommes que on eust sceu veoyr, et si estoit hardy chevallier et droict homme; il fist de grans services au roy Charles VII, filz dudict Charles VI, au recouvrement de son royaulme contre les Angloys, et espousa madame Catherine de Lisle, dame de Lisle-Bouchart, de Rochefort et de plusieurs aultres terres et seigneuries duquel mariage descendirent deux enfans, Loys et Georges. Ledict messire Loys fut marié avec dame Margarite d'Ambayse, fille dudict feu messire Loys d'Ambayse, vicomte de Thouars et seigneur d'Ambayse, Montrichard et Blère. Et au regard dudict messire Georges, ce fut ung hardy chevallier, qui fist de grans services au roy Loys unziesme, filz dudict roy Charles VII, à la conqueste de la

duché de Bourgongne, duquel pays fut gouverneur. It estoit seigneur de Cran, laquelle seigneurie luy estoit venue à cause de ceulx de Cran, dont j'ay parlé cy-dessus. Aussi fut seigneur de Lisle-Bouchart, et mourut sans hoyrs procréez de sa chair.

CHAPITRE II.

La nativité de messire Loys de La Trémoille; de ses meurs puérilles, et comment il y fut nourry.

Quelque temps après le mariage de monsieur Loys de La Trimoille et de madame Margarite d'Ambayse, son espouse, elle fut enceincte du premier de ses enfans masles; et lorsque le souleil, qui est le cueur du ciel et l'œil du monde, repousoit en son trosne et siége de Libra, qui fut le vingtiesme jour de septembre de l'an 1460, ouquel an toute la monarche des Gaules estoit eureuse de paix, et habondoit en toutes bonnes fortunes, par les disposicions fatalles qui, soubz les bannières du roy Charles septiesme de ce nom, surnommé le Bien Fortuné, avoyent chassé et mis hors son royaulme de France, les anciens ennemys de l'honneur françoys, usurpateurs de leurs seigneuries et envieux de leurs redoutables ceptres et couronnes, celle illustre dame Margarite d'Ambayse enfanta d'ung beau filz; ce fut nostre chevallier sans reproche, duquel j'entends principallement escripre, et fut nommé Loys, sur les fons de baptesme. Son naistre engendra toutes manières de joys, lyesses et consolacions en la maison de monsieur son père et de tout son très-noble parentaige, parce que, par son excellente beaulté, doulceur et bénignité enfantine, donnoit jà ung espoyr aux cler-voyans qu'il seroit chevallier d'excellente vertuz, et que ce seroit la précieuse pierre Trimoillaise et Ambasienne, en laquelle reluyroit le cler et immaculé nom de ces deux anciennes maisons d'une aultre part les astronomes expérimentez disoyent que, veu le jour de sa nativité, il seroit appellé, par la disposition des corps célestes, au service des Roys, en leurs affaires civilz et pugniques, où il acquerroit honneur de inextimable louange, et prandroit alliance par mariage avec le sang royal.

Toutes ces choses donnèrent, oultre l'instinct de nature, une merveilleuse affection de le faire songneusement alaicter et nourrir, jusques à ce qu'il eust passé son enfance, combien que durant ce temps madame Margarite d'Ambaise, sa mère, eût de monsieur de La Trimoille, son

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