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et de là passasmes à une autre ville qui se nomme Arobbe (4), qui est à dix milles de chastel l'Abbat. Et plusieurs autres petites villes passasmes au cousté de la marine de ladite Calabre, lequel seroit trop long à mettre par escript.

De là entrasmes dans le gouffre de Salerne, et toute la nuyt le passasmes à grant péril, et merveilleux dangier; car le vent estoit merveil leusement grant et la mer terrible, par telle façon qu'il n'y avoit marinier qui ne perdist son entendement, et furent fort esbahis du mauyais temps qui couroit. Mais nonobstant cela ledit prince faisoit tirer tousjours en avant pour

telionne passasmes pardevant une autre ville qui se nomme le Puissel. Cedit jour passasmes l'isle de la montaigne de Broguane, laquelle montaigne est fort haute, et y a au milieu un grant pertuis, dont incessament jour et nuyt en sort grant feu et flambe, et s'appelle ledit pertuis Bouche d'Enfer. Et de l'autre costé y a une autre isle nommée l'Ypre; et y a une très-grant cité qui tousjours a tenu le party du roy Ferrant; et de Ypre passasmes pardevant l'isle de Stangoul (1), où pareillement y a une autre grand montaigne, qui a au dessous ung autre grant pertuys, qui jour et nuyt jette feu et fumée et pierre, comme poussés, et pareillement s'ap-gaigner le port de Naples, pource que le roy Ferpelle Bouche d'Enfer; et de là allasmes passer pardevant une grand cité qui s'appelle Lamantie (2), et de Lamantie à Fumée-Frède, qui est à deux milles de Lamantine: et de là à Sainte

Lucite, qui est à dix milles de Fumée-Frède, et de Sainte-Lucite passasmes pardevant ville de Paule en Calabre; et est très-bonne ville environnée de boys de ung quartier, et de la mer l'autre, et en est natif le saint homme de Tours, et y faisoit sa résidence, quand le roy Louys que Dieu abseuble l'envoya quérir.

rant l'avoit mandé à toute diligence; car le marquis de Pescaire avoit esté tué devant SainteCroix d'un coup de trect d'arbalestre qu'il eut en la gorge. Et ledit marquis gouvernoit l'armée du roy Ferrant en son vivant, ainsi n'ousoit descendre, ne prendre port pour les ennemys.

Nous passasmes ledit gouffre de Salerne toute nuyt à grant dangier, qui dure quarante milles, et au saillir dudit gouffre allasmes au long de la coste de Malfe (5), et passasmes pardevant une ville qui s'appelle l'isle de Crape (6), et de là entrasmes au gouffre de Naples, et passasmes devant la ville de Masse; et de Masse passasmes devant une autre ville qui s'appelle Soriente; et de Soriente alasmes au port de Castelamer. De la ville de Capre jusques à Naples y a trente

De Paule alla ledit prince devant une autre ville nommée Fonescault qui est à six milles de Paule. Et de là allasmes devant une autre bonne ville nommée Cescaude, qui est à sept milles de Fonescault. Cedit jour passasmes pardevant une autre bonne ville nommée Noche-milles, trarò, là où se font naves et gallées; et est ladite ville à douze milles de Cescaude. Et cedit jour passasmes pardevant Belveder, qui est à dixhuit milles de Nochetraro; et de Belveder passasmes pardevant une autre ville, nommée Florelle, qui est à dix milles de Belveder; et toutes cesdites villes sont en Calabre au long du cousté de la marine. Et de là passasmes pardevant une autre ville nommée Lestalière, et de Lestalière allasmes passer pardevant la ville de Policastre; et y a de Lestalière jusqu'à Policastre quarante et cinq milles; et de Policastre passasmes devant Guamerode, et y a dix-huit milles. De Guamerode allasmes passer le pas de Palenode (3) et y a quinze milles de Guamerode.

Le samedy ensuivant, vingt-quatriesme jour du moys d'octobre, arriva le prince au port de Castelamer qui est à dix-huit milles de Naples, et là trouva l'armée des Vénissiens, qui estoient en nombre de vingt gallées, et des autres navires biscains et espaigneulx, deux naves, deux gallions et deux escorpions, qui le réveillirent à grand alégresse de coups de canon et de trompette à l'usance de la mer; et là surgit ledit prince, et y demoura toute la nuyt en attendant des nouvelles du roy Ferrant, qui estoit en champ au quartier de Nouchères, qui est à dixhuit milles de Naples, et le sieur prince de Bésilanne, et le sieur de Pressy, grand sénéchal du réaume, estoient au devant de lui.

Cedit jour passasmes devant une ville nom- De la ville de Messine vint le prince avec ses mée Pichote, qui est à dix milles de Palenode, gallées en trente heures jusqu'au port de Na et de là allasmes passer à la couste de Exel-ples, là où il y a trois cens milles de l'ung à lente, là où il y a vingt milles de Pichote. Et de là passasmes une autre ville qui s'appelle le chastel de l'Abbat, qui est à dix milles de Exellente;

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l'autre.

Lendemain, qui fut le dimanche 25 du moys d'octobre, se leva ledit prince avec ses gallées,

(4) Agropoli.
(5) Amalfi.
(6) Caprée.

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et s'en alla à la rote de Naples, et passa devant | chal de Beaucaire, et plusieurs autres gens de la tour du Grec, et rencontra le capitaine Vil- bien avecques eulx s'en allèrent descendre au lemarin, qui venoit au devant de lui, sa galée port de Salerne, et à la ville, et se réalièrent fort parée, et principalement de banière et éten- avecques les autres François. Et tout cecy feirent dars, et entre les autres portoit trois banières nonobstant l'arrivée des ennemys, qui devant tout d'ung égal, d'une grandeur et d'une. eulx estoient jusques au nombre de trente gallées et vingt naves que barches.

La première estoit la banière du Pape, la seconde du roy de Castille, la tierce du roy Ferrant; et feist la révérence ledit capitaine au prince, et le prince lui feist grant recueil, car il estoit lieutenant général des gallées du roy d'Espaigne. Et de là allasmes surgir et jetter ancre en mer devant la ville de Naples, vis-à-vis de la Magdelaine, et là descendist ledit prince, et fut fort recueilly de coups de canon et de trompettes, et lui feist-on grand allégrie à la coustume du pays.

Cedit jour vint audevant dudit prince pour le recevoir en terre don Alfonse d'Arragon, son frère bastard, évesque, et don Jehan d'Arragon, son neveu, bastard du roy Alfonce, et des gens de la ville petite quantité; car le roy Ferrant avoit fait prendre des gentilshommes de ladite ville, et les avoit envoyés au chasteau de l'Iscle jusques au nombre de trente.

Dedans ledit port de Naples y avoit que naves, que gallées, de vingt-cinq à trente, sans l'armée des François, qui estoit sous le castel de Lone de quinze à seize voiles, que les ennemis tenoient assiégés.

Dedans le castel de Lone estoit Claude de Robodenges, qui point n'estoit comprins en la trève, et sans cesser tiroit tous les jours de l'artillerie. Mais ung peu de temps après le Chastelneuf fut rendu ; il print trève avec le prince pour deux moys, que en cas qu'il n'eust secours dedans ledit terme des deux moys, qu'il rendroit ladite place, car il avoit faulte de vivres, et bailla en ostage Jehan de La Vernade, qui avec lui estoit. Et à cette cause le prince luy faisoit bailler des vivres tous les jours. Les trèves de Chasteauneuf et de la ville furent rompus, pour ce que ceulx dudit chasteau retindrent le maistre justicier de la ville, qui leur porta des vivres: car il n'estoit pas connu pour ce faire, et y alloit à cautelle; et aussi pource que monsieur de Monpensier s'en estoit allé avecq l'armée de mer, dont ceulx de la ville en murmuroyent très-fort, et en furent moult malcon

tens.

Ung peu avant que monsieur de Monpensier partist de Chasteauneuf, le prince de Bésilanne, et le sieur de Pressy, grant sénéchal du réaume, vindrent accompagnez de cinq ou six milles hommes tant à pié que à cheval jusques à Nostre

Cedit jour laissa ledit prince le sieur de Lesparre et messire Guillaume de Villeneufve, et Pierre Fregouse, fils de messire Perrin Fre-Dame-de-Piédecrote, qui n'est qu'à une petite gouse de Gênes, et Gaspart de Girème, hommed'armes soubs la charge du roy d'Evitot, dedans la gallée Marquèse prisonniers, et là demourèrent ung moys sans descendre en terre. Ung peu de temps après le prince envoya ledit Pierre Fregouse au chasteau de l'Iscle prisonnier, pour le tenir plus seurement.

Le lundy ensuivant, 26 dudit moys d'octobre, partist ledit roy Ferrant de la ville de Naples, et alla à son champ, qui estoit à Cerne, et laissa le prince à Naples pour faire faire les approches contre le Chasteauneuf, et autres chouses nécessaires au fait de la guerre. En icelluy temps estoit le Chasteauneuf en trèves avecques le roy Ferrant, pour ce qu'il avoit faute de vivres, et estoit encore dedans monsieur de Monpensier, le prince de Salerne, et le sénéchal de. Beaucaire, et plusieurs autres gens de biens.

Ung peu de temps après, et croys que ce fut le 27 du moys d'octobre que l'armée de mer des François se leva, et s'en alla sous le chastel de Lone, là où elle estoit, et emmenèrent monsieur de Monpensier, le prince de Salerne, le séné

lieuë du Chasteauneuf, et menoient avec eulx grant force vivres pour avitailler ledit Chasteauneuf; mais pource que monsieur de Monpensier avoit desjà baillé les ostages pour avoir des vivres, leur entreprise fut rompuë, et s'en retournèrent. Et estoient lesdits ostages le sieur d'Alègre, frère dudit sieur de Pressy, le sieur de La Marche, le sieur de La Chapelle, et le seigneur de Roguebertin.

A l'occasion des ostaiges dessus nommez, ledit prince de Bésilanne et le sieur de Pressy s'en retournèrent, moult vertueusement sans rien perdre, fors que les victuailles, lesquels ne peurrent pas ramener avec eulx, pource que le roy Ferrant estoit sailly de la ville de Naples au devant de eulx, accompaigné de quinze à seize mille hommes tant à cheval que à pié, et les Françoys n'estoient pas cinq milles, comme vous ay cy devant dit.

Mais nonobstant le grant nombre qu'ils estoient, n'eust esté pour l'inconvénient qu'il en eust peu estre venu ausdits ostaiges, ils se fussent mis en leur debvoir de avictuailler ledit chas

teau, qui eust esté une très-grant, réputation | roy Ferrant, qu'il avoit par mer devant la ville

d'onneur et louange audit prince et au grant sénéchal, et à toute leur compaignie.

de Naples, à cause de la grand tourmente qui se mist sur la mer: car ils ne s'ouzoient mettre devant le molle, de peur de l'artillerie du chasteau, et alasmes tant de nuyt que de jour au port de Baye, et là surgismes naux, gallées,

tempeste si grande qu'elle tomba dedans une nave et tua deux hommes.

Le vendredy 8 du mois de novembre, le roy Ferrant feist donner le premier assault à la citadelle du Chasteauneuf de Naples, lui présent et le prince de Haultemore; là où il eust très-gallions, et gétismes ancre en mer, et fut la fort et asprement combatu, tant de ceulx de dedans que de ceulx de dehors; mais au long furent les ennemys rebutez bien et vertueusement par les François, à coups de lances à feu et de pigues, par telle façon qu'il y eut largement des ennemys morts et blessez, et des François n'y eust que deux blessez.

Tout cecy voyant, le roy Ferrant commanda faire sonner la retraite, laquelle chose fut faite promptement, pour ce qu'ils veoient qu'ils n'avoient pas du meilleur; car moult grand deffence faisoient les Françoys à bien garder leur brèches, et ainsy en demourèrent maistres pour le jour.

Le roy Ferrant se retira en son logis au chasteau de Capoane, fort desplaisant des gens qui avoient esté morts et blessez audit assault; et ordonna que on feist venir grand quantité de massons et autres maneuvriers, lesquels furent mis à miner ladite citadelle, et la minèrent plus de deux lances de parfont, et puis l'estansonnèrent sur pillotis, et boutèrent dedans grand force fagos et pouldre de canon, et quant la mine fut preste, le mandèrent dire ou roy Ferrant.

Le vendredy 28 du moys de novembre revint le roy Ferrant de son champ en la ville de Naples, pour faire mettre cedit jour le feu en la mine, et feist crier à l'assault, et les gens de tous coustez assaillirent la citadelle, et y eust merveilleusement combatu tant d'ung cousté que d'autre. Mais quand les estansons de ladite mine furent brûlez, ung grand quartier de la citadelle tomba, les François furent tout à descouverts, et furent fort esbahis, et leur fut force d'abandonner le combat, et de eulx retirer, car longue estoit leur retraite, et leur avoit-on rompu le grand pont, et aussi le pont de Paradis. Nonobstant tout cela ils s'en retirèrent bien et honestement par dedans les fossez, et à bien peu de perte.

De Naples jusques au port de Baye il y a sept milles, et est ledit port bel et grant, et autrefois y a eu une très-grande cité, la plus grande du réaume ; et à cause de leur villain et grant péché de sodomye, ladite cité abisma et fondit dans la mer. Et encores y appèrent grandes tours, grans collisseaux et grands crottes, et dedans lesdites crottes y a encore bains, qui incessament sont chaulx ; et au plus près y a ung rochier là où sont les estuves continuellement chauldes, sans que homme ny femme y fasse ne feu ne flambe; lesdits bains sont si très-naturels, que autrefois les Romains y souloient venir eulx baigner et estuver pour la santé de leurs personnes; car ils guérissent de plusieurs grandes maladies; et y avoit autrefois en escript les maladies de quoy ils guérissoient; mais les médecins de Salerne vindrent rompre les écritures qui estoient pour notifier les maladies dequoy ils guérissoient, et ce feirent à cause que desdits bains ils pardoient leurs prattiques de médecine.

Auprès dudit port y a une ville nommée Pusol (1), là où il y a une montaigne vis-à-vis, qui s'appelle la Souffrière (2), là où se fait le souffre.

Le dimanche ensuivant, premier jour de novembre, feste de Tous-saints, se levèrent toutes les gallées, et s'en allèrent devant Naples, chargées de grans fagos, pour faire les repaires devant le Chasteauneuf de Naples ; et en passant devant ladite ville de Pusol, chargèrent grant force pierres et bombardes grosses et menuës, et le tout portasmes à Naples, et les deschargeas ́mes de nuyt, à cause de l'artillerie qui tiroit du chasteau sans cesser. Le seigneur de L'Esparre estoit dedans la gallée du prince, là où estoit messire Guillaume de Villeneufve continuellement.

Et par ainsi fut ladite citadelle prinse par les Le lundi ensuivant allasmes avecques la galennemys, qui grand perte fut pour les Fran- lées dudit prince, et les deux gallées de messire çois, car c'estoit le boulevart et la force dudit Saragousse, à l'isle de Iscle, remenasmes les chasteau, et à tant s'en retourna ledit roy Fer- naux avec nous, et barches, qui là estoient, rant en son champ. pource que les ennemis doubtoient que l'armée Le lundi ensuivant se leva toute l'armée du des François ne les allasse prendre ou brusler,

(1) Pouzzol.

(2) La Solfatara.

et les remocasmes avecques les gallées jusques au port de Castelamer, là où trouvasmes l'armée des Vénissiens jusques au nombre de vingt gallées, et le sieur Villemarin, cappitaine-général pour le Roy d'Espaigne, des gallées, accompaigné de trois gallées, et messire Francisque de Pau, accompagné de deux gallées, naux, barches, gallions, jusques au nombre de quarente, et deux escorpions; mais il est bien vray que lesdits naux estoient mal garnis de gens et de vivres.

Le mardi ensuivant ce, l'armée de Vénissiens et le cappitaine Villemarin, accompaigné de vingt-cinq gallées, allèrent au port de Baye, pource que l'on disoit que l'armée de France, qui estoit au port de Salerne, s'estoit levée et avoit fait voille pour aller avitailler le Chasteauneuf et chasteau de Lonc, et aussi qu'ils se doubtoient qu'ils n'allassent au port de Gaiette, laquelle chose ils feirent.

Et le mercredy ensuivant, feste de monsieur Saint-Martin, arrivèrent deux grosses naux génoisses devant le port de Baye, et là surgirent et gettèrent leurs ancres en mer sans entrer dedans ledit port, ne sans saluer l'armée, dont le général des Vénissiens, et le cappitaine Villemarin, et tous les autres patrons en furent fort esbahis, car ils ne savoient se c'estoit pour eulx ou contre eulx, attendu qu'ils n'avoient point salué l'armée, ne getté leur batteau dehors de leurs naux, à la coustume de la mer; et grant joye en eut le sieur de L'Esparre et ledit duc de Villeneufve, et les autres François, qui estoient prisonniers dedans lesdites gallées, cuidant que ce fût le secours de France, car assez suffisoit des deux naux pour recouvrer la ville de Naples pour l'eure; car les deux naux estoient belles et grandes, portant l'une trois milles bottes, et l'autre deux milles et cinq cens bottes ; et s'appelle l'une la nave Gallienne, et l'autre nave l'Espinole.

Or vint lendemain à matin que se leva la gallée du prince et allasmes voir lesdits naux ; et tout le long cria le commite de ladite gallée par deux fois : Qui vive, qui vive! et ceux des naux répondirent Saint-George et Frerre, Frerre; et tous ensemble commencèrent à crier derechief: Frerre, et tirèrent grans coups de canon, et trompette de sonner, et arborèrent grant quantité de bannières et estendars d'ung cousté et d'autre qui fut ung horrible dueil pour les Francoys.

Là descendit le patron de la gallée du prince, nommé Mathieu Corse, et ung gentilhomme nommé missire Francisque Corve; et allèrent tous deux dedans ladite nave pour sçavoir des nou

velles; et de là escripvirent au prince qui estoit à Naples fort esbahis, et la ville bien esmeue, cuidant que ces deux naves venissent pour le secours de France, car le chasteau de Lonc en avoit fait grand feu de joye, cuidant qu'ainsy fût.

Tout incontinant que le général des Vénissiens sceut les nouvelles, il vint devers les naves avecques toutes ses gallées, et renvoyèrent lesdites naves surgir auprès du chasteau de Lonc, donc les François qui dedans le chasteau estoient, en furent bien esbahis, quant ils veirent qu'ils estoient du party contraire, et aussi fut le Chasteauneuf.

Le lundi 6 du mois de novembre, vint monseigneur le prince en la gallée qui estoit à Marguillon, derrière le chasteau de Lonc, et là disna. Et aprés disner, à la requeste de monseigneur de L'Esparre, qui dedans la gallée estoit, feist appeller missire Guillaume de Villeneuve, et l'envoya quérir en soubte dedans l'esquandalar par le patron Mathieu Corse, et par son maistre d'oustel messire Vincent; et le feist mener devant le prince, et là ledit de Villeneufve fit la révérence au prince qui encore ne l'avoit voulu avoir.

Mais bien debvez sçavoir que en ladite révérence fut assez pitteuse, car ledit de Villeneufve avoit grant barbe grise, et le visaige bien nègre et fort défait, et bien pourrement vestu, et assez triste de sa personne, comme cellui qui avoit esté quatre moys en gallée prisonnier par force, et très-mal nourry; car la pluspart du temps ne mangeoit que biscuit, et la moitié de ses gens enchesnez et enfibrez, sans que ledit prince le voulsist veoir, ne parler à luy durant ce temps, ne souffrir qu'il descendist en terre, fors ung jour, qu'il le feist descendre à Tarente à la requeste de George de Silly, gouverneur de ladite ville, lequel promist sur sa foy rendre ledit Villeneufve landemain, laquelle chose il feit tout incontinent que la gallée vint le requérir.

Mais bien debvez sçavoir que à la descenduë que ledit de Villeneufve feist à la ville de Tarente, fut moult bien recueilli du gouverneur et de tous les gentilshommes qui avec luy estoient, pour l'onneur du roy de France, de Sécile et de Jérusalem, et aussy pour la pourreté en quoy ils vindrent, tant de vestement que de la personne. Car il y avoit plus de dix-huit jours qu'il n'avoit mangé pain ne beu que de l'eau de la pluye. Car biscuit et eaux leur estoient faillis, et ne povoient prendre eaux fresches à plus de dix milles de Tarente, pour la forte guerre que leur faisoit le gouverneur de ladite ville.

Pareillement fut bien recueilli ledit de Villeneufve par les Tarentins, pour l'onneur du Roy; car moult fidèles et bons Françoys estoient, et bien le montrèrent, quant le prince mettoit gens en terre; car ils estoient tousjours les premiers armez pour les combattre.

La cité de Tarente est une très-belle ville et grande, et y a très-fort chasteau, et encore seroit plus fort se il estoit parachevé du quartier de la ville; et est ladite ville et chasteau toute environnée de mer; et ne se peut assiéger ladite ville sans trois grans puissances de gens pour y mettre trois siéges, l'ung du quartier de la ville des Cortailles, et l'autre en l'isle de l'autre quartier vis-à-vis de ladite ville, sus le chemin de la ville de Massafre, et l'autre par mer; et l'un des siéges ne peut secourir l'autre.

Et si fauldroit pour tout le moins que à chacun siége y eust sept ou huit milles combatans, car ils saillioient des habitans de ladite ville cinq ou six milles hommes à cinq coups pour une saillie. Ledit chasteau estoit très-bien pourvu de blez, de vin, de mil, de chair, de poudres et de toutes choses nécessaires pour la provision d'une telle place, et principalement des gens de bien, qui estoient avec ledit gouverneur, qui moult bien les sçavoit traitter et conduire.

Quant vint lendemain que la gallée vint quérir ledit de Villeneufve, sachez pour tout vray, que piteux fut le congié que ledit gouverneur et gentils-hommes, et les gens de bien de ladite ville, prindrent dudit de Villeneufve, à l'entrée qu'il feist dedans la gallée de la pitié qu'ils avoient car il n'y avoit homme, tant du chasteau que des gens de bien de la ville, qu'ils ne luy dépertissent de leurs biens pour vivre dedans ladite gallée; et bien besoing en avoit, pource que en ladite n'avoit mangé plus de huict jours avecques herbes et olives verdes, et estoient bien mal fournis d'eaue, comme vous ay dit par cy-devant. Et à tant s'en ala en la gallée, et les Tarentins tous ensemble se prindrent à crier: France, France! comme bons et loyaux Françoys qu'ils estoient. Cedit jour que le prince envoya quérir ledit de Villeneufve en la gallée, présent le seigneur de Lesparre, et le capitaine Villemarin, capitaine-général de toutes les gallées du roy d'Espaigne, ledit prince dit audit de Villeneufve qu'il estoit fort esbahis de quoy il ne luy avoit voulu rendre et bailler le chasteau de Trane entre ses mains, attendu que par plusieurs fois l'en avoit fait requérir et principalement par son maistre d'oustel, missire Vincent; et aussy que luy-mesme y estoit venu une autre fois en per

sonne; et qu'il luy voulsist mieux avoir fait comme les autres cappitaines, qui leur avoient rendu leurs places par composition, leurs personnes, et leurs gens, et leurs bagues sauves, et qu'ils les envoyroit tous en seureté jusques au port de Marseilles ou d'Aiguemortes.

Ledit de Villeneufve répondit au prince qu'il ne luy voulsist déplaire; car il n'eust pas fait son debvoir de luy rendre une telle place sans le commandement du Roy son souverain seigneur, de qui il l'avoit en garde; et qu'il eût mieux aimé y mourir que de lui avoir fait cette grande faulte et lascheté.

Et alors lui respondit ledit prince, qu'il avoit entendu que ledit de Villeneuve l'avoit voulu bailler entre les mains des Vénissiens, et qu'il en estoit bien esbahis. Ledit de Villeneufve lui respondit, sauvant son honneur, que jamais ne l'avoit pensé ne voulu faire; et que s'il l'eust voulu bailler entre les mains des Vénissiens ladite place, qu'ils lui eussent donné très-volontiers dix milles ducas, de laquelle chose il n'avoit garde; car il le monstra bien à la parfin.

Et lors ledit de Villeneufve dit au prince, présens les dessus nommés, le seigneur de l'Esparre, et le cappitaine Villemarin et plusieurs autres gens de bien, que s'il y avoit Vénissiens ou autre homme, de quelque langue qui fût, qui voulsist dire ne maintenir qu'il eust voulu bailler, ne rendre ladite place à homme du monde, que faulsement et mauvaisement ils avoient manti, sauvant l'onneur du prince, et que avecques son bon congié et licence, il estoit prest et appareillé de le combattre l'espée au poing dedans ladite poupe de la gallée, et de l'en faire dédire par sa gorge, que faulsement et mauvaisement l'avoit dit; et sus cela ledit de Villeneufve en jetta son gage de bataille ou milieu de la poupe de la gallée, présent ledit prince, le seigneur de l'Esparre, le cappitaine Villemarin, et le cappitaine Francisque de Pau, et plusieurs autres gens de bien qui présens estoient.

et

Alors le seigneur Villemarin et le cappitaine Francisque de Pau dirent au prince que autresfois ils avoient veu et cogneu ledit de Villeneufve aux guerres de Castalongne, là où tousjours avoit esté renommé homme de bien, attendu qu'il faisoit l'offre de vouloir prouver de sa personne, que ledit prince se devoit tenir pour excusé, et pour content, laquelle chose il feist, oyant les chouses dessusdites, et que nullui ne disoit à l'encontre, nonobstant que les Vénissiens fussent présens, et à tant le prince s'en retourna à la ville, et le seigneur de L'Es

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