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SUR LES MÉMOIRES

DE JEAN DE

TROYES.

On connaît beaucoup d'éditions ou de réimpressions des Mémoires de Jean de Troyes: la première, formant un petit in-folio, est anonyme: elle n'est même marquée d'aucune date; on pourrait la placer dans les dernières années du 15e siècle. Elle porte pour titre : La chronique de très chrestien et très victorieux Loys de Valois, que Dieu absolve, unziesme du nom, avec plusieurs autres adventures advenues en ce royaulme de France comme és pays voisins, depuis l'an 1460. jusques en l'an 1483 inclusivement. L'ouvrage reparut en 1500 avec la deuxième partie de la Chronique Martinienne; en 1512, à la suite des chroniques de Monstrelet; en 1514, dans les grandes Chroniques de France. Réimprimés pour la cinquième fois à Paris, en 1529, ces mémoires furent donnés comme l'œuvre d'un greffier de l'Hôtel-de-Ville; dans la 6e édition publiée en 1558, on ne tint aucun compte de l'indication mise en avant par l'éditeur de 1529; on n'y trouve aucun nom d'auteur. Gilles Corrozet, dans son Trésor des Histoires de France, publié en 1583, et La Croix-du-Maine, dans sa Bibliothèque française, imprimée en 1584, rendirent enfin à ces mémoires, long-temps anonymes, le nom de leur auteur; cet auteur était Jean de Troyes. En 1611 et en 1620(1), l'œuvre de Jean de Troyes parut sous le titre de Chronique scandaleuse. Le texte de ces deux éditions avait été donné d'après l'original el revu sur des manuscrits dignes de foi; on le publiait en sa pureté tant pour le langage que pour l'histoire, non à moitié comme du Haillan (2) et quelques autres ont fail, mais entière et sans altération, portant sur le front la vérité. Jean Godefroy, dans son édition des Mémoires de Comines, publiée en 1713 à Bruxelles (5 vol. in-80), réimprimé avec des notes la Chronique scandaleuse; trente-quatre ans plus tard, Langlet-du-Fresnoy complétait sa publication de Comines par celle de Jean de Troyes (4 vol. in-46), qu'il faisait suivre d'extraits historiques d'un médiocre intérêt. Les premiers collecteurs des mémoires relatifs à l'histoire de France, réimprimèrent intégralement le travail de Langlet-duFresnoy. Nous croyons inutile de répondre aux érudits qui ont voulu attribuer à d'autres qu'à Jean de Troyes la Chronique scandaleuse; il n'y

(1) Avertissement des deux éditions de 1611 et 1620.

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aurait aucun intérêt bibliographique à répéter ici que Denys Hesselin, prévôt de Paris, et que Jean Castel, abbé de Saint-Maur, doivent être mis hors de cause dans cette question pleinement résolue. Les récits de Jean de Troyes se trouvent dans les grandes Chroniques de France, et quelques savants ont voulu conclure de là que la Chronique scandaleuse n'était point un ouvrage original; cela prouve seulement que les mémoires du greffier de l'Hôtel-de-Ville ont été reproduits dans ces vastes archives de notre histoire, comme d'autres chroniques ou récits contemporains; Jean de Troyes dit, en commençant, qu'il va escripre et faire mémoire de plusieurs choses advenues au royaulme de France el aultres royaul mes voisins, ainsi qu'il a pu s'en souvenir. Un homme qui parle ainsi n'a pas le projet de copier ce que d'autres ont dit avant lui. Le titre de Chronique scandaleuse donné aux Mémoires de Jean de Troyes, semble promettre des révélations d'un genre fort extraordinaire, et pourtant cette narration contemporaine ne renferme rien de très hardi, rien d'étrange. « L'auteur, dit Sorel (Bibliothèque française), est » un bon bourgeois qui parle naïvement; on >> rencontre dans son ouvrage des remarques >> assez curieuses sur ce qui s'est passé dans ce >> temps-là, comme pourroit faire un homme >> qui avoit connoissance de la surface des choses, >> sans pénétrer jamais jusqu'aux motifs et à leurs >> circonstances. » Les récits de Jean de Troyes sont écrits sous un point de vue tout particulier; ils nous disent simplement ce que Louis XI permettait qu'on sût de sa politique; c'est un journal où se trouve consigné le gros des faits, sans que le rédacteur s'inquiète d'expliquer le pourquoi et le comment de ce qui se passe. Aussi l'intérêt des Mémoires de Jean de Troyes consiste bien moins dans les faits politiques que dans la peinture des mœurs contemporaines et le récit de curieuses anecdotes. Nous ne savons rien sur la vie de l'auteur; Grosley, dans son Mẻmoire sur les Troyens célèbres, a beaucoup fouillé pour découvrir des détails biographiques sur l'auteur de la Chronique scandaleuse, mais ses recherches ne l'ont pas conduit à de. grands résultats ; il pense que le narrateur pour

(2) Du Haillan, en 1584, avait donné les Mémoires de Jean de Troyes à la suite de son Histoire de France.

rait bien être fils de Jean de Troyes, grand-mat- | paré à celui d'un manuscrit du 15e siècle (1) qui

tre d'artillerie sous Charles VII; cette opinion est fort incertaine. Ce que nous savons de plus positif, c'est que l'auteur, à l'époque où il écrivit cette histoire, était, comme il le dit lui-même, au trentecinquiesme an de son âge. Le style de Jean de Troyes se distingue par une simplicité charmante et une élégance naïve. Nos prédécesseurs ont reproduit le texte de l'édition de 1611, après l'avoir com

présentait des passages inédits; nous nous en tenons à cette version. Nous avons laissé subsister quelques notes de Jean Godefroy. Nous renvoyons aux Mémoires de Comines pour certains faits inexactement rapportés dans la Chronique du greffier de l'Hôtel-de-Ville.

(1) Bibliothèque française, M. f'., no 9689.

LES CHRONIQUES

DU

TRES CHRESTIEN ET TRÈS VICTORIEUX

LOUYS DE VALOIS,

FEU ROY DE FRANCE (QUE DIEU ABSOLVE).

UNZIESME DE CE NOM ;

A VECQUES PLUSIEURS AULTRES ADVENTURES ADVENUES TANT EN CE ROYAULME DE FRANCE, COMME ÈS PAYS VOISINS, DEPUIS L'AN 1460 JUSQUES EN L'AN 1483 INCLUSIVEMENT.

PREMIÈRE PARTIE

veilles sont advenuës en tant de diversitez et façons estranges, que moult pénible chose auroit esté à moy, ou aultre, de bien au vray et au long escripre la vérité des choses advenuës durant ledit temps.

Et premièrement, touchant le faict et utilité de la terre durant ladicte année 1460. Au regard et tant que touche le terroüer et finaige du royaulme de France, il y creut compectamment de blez, qui furent bons et de garde, et et n'en fut point vendu au plus chier temps de ladicte année que vingt-quatre sols parisis le septier; mais il n'y creust que bien peu de fruict. Et au faict des vignes il y eut bien peu de vin, et par espécial en l'Isle de France, comme d'un muy de vin pour chascun arpent, mais il fut bien bon, et se vendit chier le vin crou ès bons terroüers d'entour Paris, comme de dix et unze escus chacun muy.

A l'honneur et loüange de Dieu nostre doulx rance, et adresser ce que y seroit mal mis ou Saulveur et Rédempteur, et de la bénoiste, glo-escript: car plusieurs desdites choses et merrieuse Vierge et pucelle Marie, sans le moyen desquels nulles bonnes œuvres ou opérations ne peuvent estre conduictes. Et pour ce aussi que plusieurs roys, princes, comtes, barons, prélats, nobles hommes, gens d'église, et aultre populace, se sont souvent délictez et délictent à ouyr et escouter des histoires merveilleuses, et choses advenues en divers lieux, tant de ce royaulme que d'aultres royaulmes chrestiens. Au trente cinquiesme an de mon aage me délectay en lieu passer temps et deschever (1) oysiveté à escripre et faire mémoire de plusieurs choses advenues au royaulme de France, et aultres royaulmes voisins, ainsi qu'il m'en est peu souvenir. Et mesmement depuis l'an 1460, que régnoit à roy de France Charles septiesme de ce nom, jusques au trespas du roy Louys unziesme de ce nom, fils dudit roy Charles, qui fut le pénultiesme jour du mois d'aoust, l'an 1483, combien que je ne vueille ne n'entens point les choses cy après escriptes estre appelées, dictes ou nommées chroniques, pource que à moy n'appartient, et que pour ce faire n'ay pas esté ordonné et ne m'a esté permis; mais seulement pour donner aucun petit passe-temps aux lisans, regardans, ou escoutans icelles. En leur priant humblement excuser et supployer à mon igno

(1) Eviter.

En ce temps fut faicte justice et grande exécution audit lieu de Paris, de plusieurs povres et indigentes créatures, comme de larrons, sacriléges, pipeurs et crocheteurs. Et pour lesdits cas plusieurs en furent batus au cul de la charrecte pour leurs jeunes âges et premier meffaict, et les aultres pour leur mauvaise coustume et persévérance furent pendus et estranglez au gibet de Paris, nommé Montigny, nouvelle créé et estably pour la grande vieillesse, ruyne et

décadence du précédent et ancien gibet nommé | Montfaulcon.

Audit temps fut faict mourir et enfouye toute vive audit lieu de Paris, une femme nommée Perrette Mauger, pour occasion de ce que ladicte Perrette avoit fait et commis plusieurs larrecins, et en ce faisant par long-temps continué, et aussi favourisé et recellé plusieurs larrons, qui aussi faisoient et commectoient plusieurs et divers larrecins audit lieu de Paris, lesquels larrecins pour lesdits larrons vendoit et distribuoit, et l'argent que de ce elle recepvoit, en bailloit et délivroit ausdits larrons leur portion, et pour elle en retenoit son butin. Pour lesquels cas et aultres par elle confessez fut condamnée par sentence donnée du prévost de Paris, nommé messire Robert Destouteville, chevalier, à souffrir mort et estre enfouye toute vive devant le gibet, et tous ses biens acquis et confisquez au Roy de laquelle sentence et jugement elle appella formellement en la cour de parlement, pour révérence duquel appel fut différé à exécuter. Et après que par ladicte court le procez d'icelle eut esté veu et visité fut dit par arrest d'icelle, et en confermant ladicte sentence, que ladicte Perrette avoit mal appellé et l'amanderoit, et que ladicte sentence seroit exécutée : ce qui fut dit à icelle Perrette, laquelle déclaira lors qu'elle estoit grosse, parquoy fut de rechief différé de l'exécuter. Et fut faict visiter par ventrières et matrosnes, qui rapportèrent à justice qu'elle n'estoit point grosse. Et incontinent ledit rapport fait fut envoyée exécuter aux champs devant ledit gibet, par Henry Cousin, exécuteur de la haulte justice audit lieu de Paris.

René de Cecille et de Ihérusalem, et du prince de Galle leur fils. Et print ledit populaire pour leur capitaine le comte de Warwich, qui estoit capitaine de Calais, pour et au lieu de Richard duc d'Yorth, qui vouloit et prétendoit à estre roy dudit royaulme, qui maintenoit à luy duyre et compecter ledit royaulme d'Angleterre, comme prouchain héritier de la lignée et du cousté du roy Richard. Et peu de temps après ledit duc d'Yorth qui avoit après luy grand nombre de populaires en armes, se misrent aux champs et vindrent en un parc où estoit illec ledit roy Henry avec plusieurs ducs, princes, et aultres seigneurs, aussi tous en armes. Et auquel parc y avoit huit entrées, qui estoient gardées par huit barons dudit royaulme, qui tous estoient traistres audit roy Henry. Lesquels huit barons, quant ils sceurent venir le duc d'Yorth devers ledit parc, le laissèrent entrer en icelluy avec le comte de Warwich et autres, qui vindrent tout droit où estoit ledit roy Henry, lesquels ils prindrent et saisirent. Et incontinent ce fait, vindrent tuer plusieurs princes et aultres grands seigneurs de son sang qui estoient autour de luy. Et ces choses faictes ledit comte de Warwich print ledit Henry et l'amena tout droit en la ville de Londres, et portoit l'espée nuë devant ledit Henry comme son connestable. Et quand icelluy roy Henry de Lancastre fut audit lieu de Londres, il le mena tout droit devant la tour dudit Londres, dedans laquelle tour estoient quatre barrons dudit pays pour ledit Henry. Ausquels ledit Henry et Warwich parlèrent par belles paroles, les tirèrent hors de la tour, après ce qu'ils leur prosmirent qu'ils ne auroient nul mal de leurs personnes, et qu'ils les asseuroient lesquels soubs umbre

Merveilles advenues au royaulme d'Angleterre de leurs dictes promesses yssirent hors de la

en ladicte année.

En ce temps passa la mer en Angleterre un légat de Rome, légat de par le Pape, qui illec prescha le peuple du pays. Et par espécial en la ville de Londres, maistresse ville dudit royaulme, là où il fist plusieurs remonstrances aux habitans dudit lieu et aultres d'environ, contre et au préjudice du roy Henry d'Angleterre, lesquelles remonstrances le cardinal d'Yorth qui accompagnoit ledit légat après ladicte exposition par lui exposée en leur langage. Et tantost après ladicte exposition faite, ledit peuple qui estoit assez de légière créance se esmeut pour faire guerre allencontre dudit roy Henry de Lancastre et de la Royne (1) sa femme, fille du roy

(1) Marguerite d'Anjou.

dicte tour. Et ainsi qu'on menoit lesdits quatre barons après ledit Henry et Warwich, plusieurs de ladicte ville de Londres s'esmurent et vindrent tuer l'un desdits quatre barons, nommé le seigneur Descalles, et luy baillèrent plusieurs coups orbes. Et le lendemain ils firent escarteller lesdits aultres barons devant ladicte tour de Londres, nonobstant lesdictes promesses ainsi à eux faictes. Et s'y fie qui vouldra.

Audit temps advint en la cité de Paris un grant débat entre les gens et officiers du Roy en sa chambre des aides à Paris, et un des bedeaux de l'Université d'icelle ville, pour un exploict fait par icelluy bedeau à l'encontre de deux conseillers de ladicte chambre des aydes, pour lequel exploict ledit bedeau fut constitué prisonnier en la conciergerie du Palais-Royal audit lieu de Paris. Dont ceulx de ladicte Uni

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