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moment de loisir, ils obtiendroient de lui quelqu'écrit où se retraçassent les grandes pensées qui le nourrissoient.

Ses occupations scientifiques et littéraires n'étoient plus, depuis assez long-temps, que le délassement des travaux du commerce. Le spectacle de l'un des plus grands marchés de l'europe n'avoit pu frapper ses regards sans l'intéresser vivement. Il approfondit la théorie de cette science; il en examina les moindres effets; il suivit jusqu'à ses derniers. anneaux cette chaîne qui lie tous les peuples de la terre; il apprit l'art de mouvoir utilement ce levier dont l'effort remue les deux mondes. La pratique et l'expérience succédèrent à l'ob servation et aux études spéculatives. Il fut bientôt en état de diriger un établissement encore, il est vrai, à sa naissance, mais qui peutêtre n'en exigeoit que plus de prudence et de talens. Des circonstances extraordinaires laissèrent bientôt sans chefs une maison à qui plus d'un siècle de considération et de splendeur avoit donné les relations les plus étendues: l'administration lui en fut confiée, et telle fut, l'importance de ses services et la réputation qu'ils lui acquirent, qu'ils lui valurent l'associa→ tion, et qu'elle répandit un nouveau lustre

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sur l'établissement qui l'adopta. L'ami de son enfance, qui, depuis long-temps à la tête de ce comptoir, y avoit mérité, à plus d'un titre, l'estime et la confiance publiques, disoit : « je me flatte de l'avoir bien » et méthodiquement montré; mais, ajoutoit-il, » l'élève a étrangement dévancé son profes» seur. >>> Cet élève étoit devenu, depuis six ans, l'oracle de la place, et il n'y avoit aucune affaire délicate sur laquelle il ne fût consulté.

Il présida le tribunal et fut secrétaire de la chambre de commerce, à la réunion de Gènes à la France. Se tenant en arrière plus que personne, et ne demandant rien pour lui-même, il obtint également la confiance publique et celle des dépositaires du pouvoir suprême, chargés d'opérer la réunion, et se trouva, dans ce moment extrêmement difficile, l'intermédiaire entre l'autorité et le commerce: il instruisit ceux qui ne savoient pas; guida ceux qui se perdoient dans la nouveauté du labyrinthe; fit vouloir ceux qui ne vouloient pas, et contribua, par une douce influence, à commencer de plier un peuple étranger devenu français, aux idées, aux usages, aux lois de sa nouvelle patrie,

Ces utiles services ne sont pas restés sans récompense: ils valurent à M. Griolet, pendant sa vie, les témoignages les plus honorables de l'estime de ce grand dignitaire de l'empire (1), moins éminent par son rang que par ses lumières et sa vertu, et dont la mission à Gènes fut le gage le plus assuré de la sollicitude impériale pour le bonheur de cette contrée; et, après sa mort, ils furent glorieusement attestés par le monument que la chambre de commerce a consacré à sa mé) moire. (2)

Ne semble-t-il pas, en contemplant l'étendue et la variété des études, des travaux, des servi ces dont ma foible voix vient de rappeler le souvenir, que j'aie retracé l'histoire d'une longue vie qu'absorbèrent, sans la moindre distrac

(1) S. A. S. Mgr. Lebrun, archi-trésorier de l'Empire., (2) Son portrait a été placé dans le lieu des séances de la chambre du commerce, avec cette inscription : J. M. A. GRIOLET

Domo et Academia Nemausensi

prærepto post kalend. martii
a. M DCCCVI. ætat. suæ XLIII
Quindecim viri mercaturæ genuensis
Titulum D. D.

Collegæ integerrimo

Juris et Commercii peritissimo.

tion, les veilles les plus laborieuses? Hélas! M. Griolet avoit à peine atteint l'âge de quarante-trois ans, quand la mort le frappa, et il ne se priva jamais des douceurs de la socié té: il quittoit son cabinet pour aller rafraîchir son esprit dans le monde; et le savant et le philosophe surent sacrifier aux grâces. Que lui a-t-il manqué pour se faire un nom célèbre? la volonté de paroître sur un plus grand théâ→ tre, oui cette volonté seule; car il possé» doit tous les talens nécessaires pour réussir » dans les affaires, soit publiques soit parti» culières, et un génie si sublime, un cou» rage si ferme, que par-tout il se seroit in» failliblement élevé par son mérite. » (1)

Cette indifférence pour la gloire et pour la fortune sembloit avoir tourné au profit des. sentimens généreux dont son cœur étoit plein: elle y laissa plus de place à ceux de l'amitié, de la reconnoissance et de la nature. Avec quelle tendre sollicitude il s'occupa sans cesse de sa famille, d'une sœur chérie et d'un frère qui depuis quinze ans n'a pas quitté ses drapeaux, qui compte autant de cicatrices qu'il

(1) Tit. Liv. lib. XXXIX, 40.

à vu de combats, et qui, emporté par son bouillant courage, tomba une fois entre les mains de l'ennemi! Ses amis n'éprouvèrent de sa part ni moins d'attachement ni moins de zèle, et la plus noble délicatesse présida toujours aux services qu'il leur rendit.

Mais, qu'étoit-il besoin, pour l'intéresser de tenir à lui par les liens du sang ou de l'affection? Quel malheureux implora jamais vainement ses secours? Et combien de fois n'allèrent-ils pas au-devant de l'infortune timide? Que ne m'est-il permis de révéler les secrets de sa bienfaisance, de la sensibilité de son ame et de son active philantropie !

Sa philosophie étoit dans son cœur non moins que dans son esprit : elle consistoit dans la vérité et dans la vertu, dans la pratique du bien et dans le mépris des préjugés; et je craindrois que du fond de sa tombe sa voix ne m'accusat d'une lâche réțicence, si je craignois d'avouer qu'il fut l'un des partisans les plus déclarés de cette philosophie tant calomniée du XVIIIe siècle. A ses yeux l'ignorance et la mauvaise foi pouvoient seules imputer les désas tres et les forfaits de la révolution à une doctrine qui repousse avec horreur les barbares qui prétendirent l'honorer par les plus exécrables fu

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