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pour Armagnac. On ne se contentait pas de confisquer, on pendait, on décapitait de part et d'autre bon nombre de gentilshommes et de « vilains ». Le caractère de la guerre devenait toujours plus atroce les deux partis se modelaient sur leurs chefs, tous deux également étrangers à l'esprit de la chevalerie; Jacqueville, l'ex-capitaine bourguignon de Paris, le camarade des écorcheurs, devenait le type de l'homme d'armes'. Si les gentilshommes se traitaient entre eux avec une brutalité sauvage, on peut juger de leur façon d'agir envers les classes inférieures : les campagnes se dépeuplaient de jour en jour; les plus forts et les plus courageux des paysans se faisaient brigands; les autres mouraient de faim ou s'expatriaient; tous les environs de Paris étaient ruinés, et la disette était affreuse dans cette capitale : le pain, la viande, le bois, tout manquait aux Parisiens.

Des malheurs plus grands encore que ceux de la guerre civile frappaient en ce moment la France: tandis que le nord et le centre du royaume subissaient les fureurs des factions, l'ouest était abandonné sans défense à l'invasion étrangère. Henri V avait remis le pied sur la terre de France pour ne plus la quitter: il était débarqué, « à grand puissance », à Toucques, près de Honfleur, le 1er août, et conquérait « à peu de peine » villes et forteresses, le comte d'Armagnac ayant appelé la plupart des garnisons de Normandie autour de Paris, afin de les employer contre le duc de Bourgogne. Les nobles de Normandie, divisés entre Armagnacs et Bourguignons, se défiaient les uns des autres et ne purent se concerter pour la défense de leur malheureux pays, abandonné des indignes chefs qui se disputaient les lambeaux de la France. Toucques et les châteaux des environs capitulèrent; les Anglais marchèrent sur Caen et emportèrent d'assaut cette grande ville: des milliers d'habitants furent expulsés comme à Harfleur, et leurs biens furent partagés entre les vainqueurs; le château, qui n'était défendu que par deux cents hommes d'armes, promit de se rendre s'il n'était secouru sous trois semaines personne ne songea à le

1. Jacqueville fit une fin digne de sa vie d'autres chevaliers bourguignons, qu'il avait gravement offensés, l'arrachèrent de l'église Notre-Dame de Chartres. et l'égorgèrent sur les degrés du portail, à quelques pas du logis de Jean-sansPeur, qui n'osa punir les assassins. Monstrelet, c. 188.

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CONQUÊTES DES ANGLAIS.

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secourir (8-28 septembre). Les habitants de Bayeux se soumirent au roi d'Angleterre par un traité qui leur conserva leurs biens, franchises et priviléges (29 septembre). Laigle se rendit le 13 octobre. Les Anglais conservaient cette sévère discipline qui avait assuré le succès de la campagne d'Azincourt: Henri V affectait de tels ménagements pour les prêtres qu'une foule de paysans se tonsurèrent afin de passer pour clercs. Les femmes et les propriétés étaient respectées dans tous les lieux qui reconnaissaient Henri V« roi de France et d'Angleterre ». Henri commençait déjà à organiser l'administration de « son pays de Normandie » : il établit, le 1er novembre, un trésorier de « la duché ». Presque toute la Normandie centrale était occupée avant la fin de l'automne le 16 novembre, le duc de Bretagne vint trouver Henri V à Alençon et conclut avec lui une trêve de six mois non-seulement pour la Bretagne, mais pour l'Anjou et le Maine, au nom du jeune roi de Sicile Louis III, fiancé à la fille du duc. Le duc de Bretagne, jugeant la cause de l'État désespérée et renonçant aux efforts qu'il avait tentés afin de le sauver, avait cru devoir suivre pour ses domaines et ceux de son futur gendre l'exemple donné par Jean-sans-Peur pour la Flandre et l'Artois. Henri V, assuré de n'être point inquiété sur ses deux flancs, poursuivit à loisir sa conquête.

La France était si acharnée contre elle-même qu'elle ne paraissait pas sentir les blessures que lui faisait son ennemi: Armagnacs et Bourguignons avaient bien autre chose en tête que de s'opposer aux Anglais; la présence des Anglais ne suspendait pas la guerre civile, même en Normandie; les Rouennais s'insurgèrent de nouveau, rappelèrent Alain Blanchard et les Bourguignons, et chassèrent du château de leur ville les gens d'Armagnac. Le connétable ne contenait Paris qu'en y concentrant toutes ses forces: une nouvelle conspiration fut ourdie pour introduire le duc Jean dans la capitale; elle avorta encore, et Jean s'en alla prendre ses quartiers d'hiver à Troies avec la reine. Isabeau décerna au duc de Lorraine l'épée de connétable, déclara les maltôtes et les autres

1. Quand il fut un peu plus avancé dans sa conquête, il abolit la gabelle du sel et la remplaça par un droit du quart de la valeur (4 mai 1418). Rymer, t. IX, p. 483

impôts abrogés, « hormis la gabelle du sel », cassa le parlement de Paris et la chambre des comptes, d'où Armagnac avait expulsé « les meilleurs hommes », et appela à Troies l'autre parlement établi d'abord à Amiens, ainsi qu'une nouvelle cour des comptes, où dominèrent les magistrats bannis de Paris. Au printemps suivant, une ordonnance de la reine, du 3 avril 1418, autorisa la réunion des États- Généraux du Languedoc; Armagnac avait fait donner le gouvernement de Languedoc et de Guyenne au vicomte de Lomagne, son fils aîné, et avait interdit les réunions annuelles des Trois États, pour pouvoir taxer ces pays à sa fantaisie : l'entrée de cinq cents lances bourguignonnes dans le Languedoc détermina une insurrection à peu près générale; les trois quarts de la province « se tournèrent bourguignons » et chassèrent les alliés et les officiers d'Armagnac.

Rien n'ébranlait l'opiniâtreté du connétable; il avait retourné contre le duc de Bourgogne la bulle d'excommunication des compagnies appliquée naguère aux « Orléanois » (Juvénal); il profita de l'éloignement du duc Jean pour reprendre Montlhéri, Étampes, Chevreuse, et repousser les bandes bourguignonnes qui ravageaient les environs de Paris. Il entreprit de recouvrer Senlis. Le båtard de Thian, capitaine de Senlis, promit de se rendre s'il n'était secouru en dedans le 19 avril, et livra des otages au comte d'Armagnac. A la nouvelle du siége de Senlis, l'héritier de Bourgogne, le jeune comte Philippe de Charolais avait assemblé les États de Picardie et d'Artois à Arras: il obtint un subside des 'bonnes villes, convoqua le ban des deux provinces à Amiens, et envoya au secours de Senlis huit mille combattants. L'armée picarde se présenta devant Senlis le 19 avril, dans la journée : le siége était levé; dès le point du jour, le comte d'Armagnac avait sommé la ville de se rendre; le bâtard de Thian ayant répondu que l'heure n'était pas encore passée, Armagnac fit couper la tête à quatre des otages et battit en retraite sur Paris, abandonnant ses bagages aux assiégés. Le capitaine de Senlis ne demeura point en reste de barbarie avec Armagnac : il décapita seize prisonniers, en pendit deux et noya deux femmes (Monstrelet).

Toute la France se partageait entre Armagnacs et Bourguignons « le père étoit bandé contre le fils, le frère contre le

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GUERRE CIVILE ET ÉTRANGÈRE.

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frère, en cette maudite querelle », et cependant « le roi d'Angleterre toujours conquêtoit et prenoit places, et ne rencontroit résistance, sinon d'aucunes gens de bonne volonté ». L'hiver n'avait point interrompu les progrès des Anglais : Henri V avait partagé son armée en quatre divisions, qui opéraient simultanément depuis la rive gauche de la Seine jusqu'à la pointe du Cotentin et à la frontière de Bretagne. La ville et le château de Falaise capitulèrent (1er février); puis Vire, Coutances, Carentan, Saint-Lô, Saint-Sauveur, Pontorson et Évreux ouvrirent successivement leurs portes, de la fin de février au 20 mai 1418. Dans la plupart des capitulations, il était convenu que ceux des assiégés qui ne prêteraient pas serment à Henri V s'en iraient avec leurs biens meubles plusieurs places toutefois furent obligées de se livrer à discrétion. Henri, dans ce dernier cas, prenait à merci le plus grand nombre des habitants et faisait trancher la tête à quelquesuns, « pour l'exemple » : il les traitait en rebelles et en criminels de lèse-majesté. Presque partout, les populations tentaient cependant une résistance digne d'un meilleur sort: Henri V essayait en vain de réveiller les vieilles traditions normandes en faveur du sang de Rollon; les Normands ne subissaient qu'avec désespoir la conquête anglaise.

Les calamités nationales parurent enfin produire quelque impression sur les deux partis. Armagnac n'osa s'opposer à ce qu'on ouvrit des négociations. Le roi, le dauphin et le grand conseil, d'un côté, la reine et le duc de Bourgogne, de l'autre, envoyèrent des plénipotentiaires au village de la Tombe, entre Montereau et Brai-sur-Seine, et deux cardinaux dépêchés par le pape Martin V, élu récemment au concile de Constance, interviurent efficacement dans les pourparlers; un traité de paix fut conclu le 23 mai : toutes condamnations et confiscations devaient être révoquées de part et d'autre; les villes et châteaux, restitués à leurs seigneurs, et la reine et le duc de Bourgogne réintégrés au conseil royal avec tous les princes du sang. Isabeau et Jean-sans-Peur ratifièrent sans difficulté ces conventions: la plupart des membres du grand conseil et les principaux bourgeois de Paris montraient

1. v. les capitulations dans Rymer, t. IX, p. 543-589.

un vif désir de voir le roi sceller le traité : le dauphin y consentait. Paris se sentait déjà renaître. Le connétable, le chancelier Henri de Marle et le prévôt Tannegui Duchâtel accusèrent de trahison ceux qui conseillaient cette paix, et rompirent tout (Monstrelet, c. 194).

La mesure était comblée : le pauvre peuple, qui venait de subir les angoisses du froid et de la faim durant un hiver prolongé jusqu'en avril, avait salué avec transport le printemps et la paix : une rage indicible le saisit contre les hommes impitoyables qui immolaient sa dernière espérance à leurs intérêts et à leurs passions. Des bruits étranges et sinistres redoublaient la fureur populaire on disait qu'Armagnac, «ce diable sous une peau d'homme », s'apprêtait à massacrer « tous ceux qui n'étoient pas de sa bande », à tuer les hommes et à noyer les femmes; qu'il vendrait la ville au roi d'Angleterre, s'il ne la pouvait plus tenir contre les Bourguignons. Les Parisiens s'excitaient les uns les autres à ne pas attendre qu'on vint les égorger dans leurs logis. Armagnac n'avait plus auprès de lui que trois mille de ses Gascons et quelques autres mercenaires; l'insuffisance de ses forces l'avait obligé de réorganiser la milice bourgeoise, bien qu'avec toutes sortes de restrictions et de précautions. Il eût fallu dès lors ménager et regagner cette milice; mais Armagnac n'essaya même pas de contenir l'insolence brutale de ses gens d'armes, les femmes ne pouvaient faire quelques pas hors des murs de la ville sans être exposées aux derniers outrages; les bourgeois étaient sans cesse vexés, insultés, spoliés; une vengeance particulière précipita la catastrophe.

Un jeune homme appelé Perrinet-le-Clerc, fils d'un riche marchand de fer du Petit-Pont, ayant été injurié et battu par «aucuns serviteurs des principaux du conseil du roi », et n'ayant pu obtenir justice du prévôt Tannegui, s'était lié d'intelligence avec les agents secrets du parti bourguignon. Son père, un des quarteniers, avait en garde les clefs de la porte Saint-Germain (ou porte de Bussi) : dans la nuit du 29 au 30 mai, Perrinet déroba les clefs sous le chevet du vieillard et courut avec plusieurs de ses amis à la porte Saint-Ger.nain, dont le guet était gagné : le sire de l'Ile-Adam, capitaine de Pontoise pour Jean-sans-Peur,

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