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seulement promis que la trève serait employée à préparer une paix qui rendrait Paris au roi.

Une précieuse lettre de Jeanne atteste qu'elle ne fut pas la dupe de ses ennemis. Elle écrit à ses « chers et bons amis les loyaux François de la cité de Reims » de ne point s'émerveiller si elle n'entre à Paris « si brièvement » qu'elle le devait faire; que le roi a fait trève de quinze jours, dont elle n'est point contente. « Je ne sais si je tiendrai ces trêves », ajoute-t-elle ; « et, si je les tiens, ce sera seulement pour garder l'honneur du roi... Et je tiendrai et maintiendrai ensemble l'armée du roi pour être toute prète au chef des dits quinze jours, s'ils (les Bourguignons) ne font la paix. « Écrit ce vendredi 5e d'août, emprès un logis sur champ ou (au) chemin de Paris'. »

Ce fier langage aide à comprendre et la jalousie du roi et la sourde rage des favoris.

L'armée anglaise, sur ces entrefaites, s'était portée vers Corbeil et Melun. Les Français avancèrent de Provins et de Brai jusqu'à Nangis, espérant y avoir bataille; mais ils n'eurent point de nouvelles de Bedford, qui, en ce moment, marchait sur Montereau. On ne pouvait se rapprocher de Paris sans franchir la Marne; l'armée se dirigea donc au nord, repassa cette rivière à ChâteauThierri, et entra en Valois. L'enthousiasme des populations, durant cette marche, apporta de grandes consolations au cœur de Jeanne, si douloureusement atteint par la défiance et l'ingratitude royales. A la Ferté-Milon, à Crespi en Valois, tout le peuple accourut au devant du roi, criant Noël, chantant Te Deum laudamus, et regardant et admirant la Pucelle comme l'ange de Dieu. Jeanne en versa des larmes de tendresse. Comme elle chevauchait entre l'archevêque de Reims et le bâtard d'Orléans: « En nom Dieu, dit-elle, voici un bon peuple! Plût au ciel que je fusse assez heureuse, quand je devrai mourir, que d'être ensevelie dans cette terre!- Jehanne, dit l'archevêque, savez-vous quand vous mourrez et en quel lieu? - Quand il plaira à Dieu, répondit-elle, car je ne sais pas plus que vous le temps ni le lieu. Et plùt à Dieu, mon créateur, que je pusse maintenant partir, abandonner les armes,

1. Procès, V, p. 140.

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DÉFI DE BEDFORD AU ROI.

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et retourner près de mes père et mère, garder leurs brebis et bétail avec ma sœur et mes frères, qui tant se réjouiroient de me voir.»

C'est la première fois qu'elle ait exprimé un regret de sa paix et de son obscurité! la première plainte de la femme, sous le terrible fardeau du Messie! La grandeur de l'œuvre n'accablait aucunement son génie; mais son cœur se déchirait aux épines que d'indignes mains semaient sur sa route. Ses vœux ne devaient point être exaucés! la libératrice de la France ne devait pas revoir le chaume paternel, ne devait pas mourir entourée d'un peuple affranchi et reconnaissant!...

Charles VII reçut à Crespi, le 11 août, une dépêche de Bedford, écrite à Montereau le 7. Le régent anglais, avec la dévote hypocrisie des Lancastre, reprochait à « Charles de Valois » de séduire et abuser « le simple peuple » en s'aidant de gens « superstitieux et réprouvés, comme d'une femme désordonnée et diffamée, étant en habit d'homme et gouvernement dissolu, et aussi d'un frère mendiant, apostat et séditieux2, tous deux, selon la sainte Écriture, abominables à Dieu. » Il prétendait avoir poursuivi << Charles de Valois de lieu en lieu sans l'avoir encore pu rencontrer », le sommait « d'avoir pitié du pauvre peuple chrétien, tant inhumainement traité et foulé à cause de lui, et de prendre, au pays de Brie ou en l'Ile-de-France, place aux champs convenable, à brief jour, pour procéder par bonnes voies de paix non feinte, corrompue, dissimulée, violée ni parjurée, comme fut à Montereau où faut Yonne, ou par journée de bataille, si l'on ne peut profiter au bien de paix3. » Suïvant un historien anglais (Hollinshed), Charles VII aurait répondu au héraut de Bedford: « Ton maître aura peu de peine à me trouver; c'est bien plutôt moi qui le cherche! »

1. Déposition du comte de Dunois; Procès, t. III, p. 14. 2. Le cordelier Richard. A la nouvelle que frère Richard chevauchait avec les Arminaz, les gens de Paris, du moins les Bourguignons, avaient recommencé, en dépit de lui, les jeux de tables (dames), boules, dés et autres qu'il leur avait fait quitter ils laissèrent un mériau (merreau) d'étain, au nom de Jésus, qu'il leur avait fait prendre, et reprirent la croix bourguignonne de Saint-André. Journal du Bourgeois de Paris, ap. Collect. Michaud, 1re sér. t. III, p. 255.

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3. Monstrelet, 1. If, c. 55; ap. Procès, IV, 382. Berri, roi d'armes; ibid.,

Les outrages de l'Anglais avaient enfin ému quelque peu le roi, et il parut désirer la bataille. L'armée, à sa grande allégresse, avança vers Paris jusqu'à Dammartin, le 13 août, et y attendit l'ennemi. Bedford avait ramené ses troupes de Montereau au nord de Paris, et s'était établi dans un bon poste, à Mitri, entre Claic et Dammartin. Il resta sur la défensive, et le conseil de guerre ne fut point d'avis de l'attaquer dans ses lignes. Le roi se replia sur Crespi; la Pucelle et les principaux capitaines, avec une grosse bataille de 6,000 ou 7,000 hommes d'élite, poussèrent du côté de Senlis, jusqu'à Mont-Espilloi. Bedford vint couvrir Senlis, et se logea, avec 8,000 à 9,000 combattants', sur la petite rivière de Nonette, près de l'abbaye de la Victoire, entre Senlis et Mont-Espilloi. Le nom et les souvenirs de cette célèbre abbaye, fondée par Philippe-Auguste en mémoire de Bovines, semblaient d'un heureux augure pour les Français (14 août).

Le lendemain matin (15 août), les Français descendirent des hauteurs en bel ordre de bataille. Ils trouvèrent leurs ennemis couverts, en front, par des tranchées, des palissades, des lignes de chariots; en flancs, par des fossés, des haies et des halliers épais; sur les derrières, par un étang profond que forme la Nonette. Ils tâtèrent les Anglais par des escarmouches. Les Anglais ne sortirent qu'en petits détachements: le gros de l'armée garda son poste. Jeanne, alors, prit son étendard en main, se mit en tète de l'avant-garde et vint planter sa bannière devant le fossé des Anglais. Bedford ne bougea pas. Jeanne fit retirer l'avant-garde, et manda aux ennemis que, s'ils voulaient « saillir hors de leur place pour donner la bataille, nos gens se reculeroient et les laisseroient mettre en leur ordonnance. » Bedford ne répondit pas. On conçoit ce qu'il dut lui en coûter de n'oser répondre au défi d'une femme, et quel trésor de haine et de vengeance dut s'amasser dans cette âme superbe. Il eut la force de rester fidèle à son plan jusqu'au bout; il laissa sortir les plus braves de ses gens, tant qu'ils voulurent, pour escarmoucher et s'aguerrir à voir la terrible Pucelle en face; ces engagements s'accrurent jusqu'à devenir de

1. Il avait un assez bon nombre de Picards, et sept ou huit cents des gens du duc de Bourgogne, ce qui était une singulière façon, pour ceux-ci, d'observer la trêve.

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JOURNÉE DE MONT-ESPILLOI.

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petits combats assez meurtriers, car on n'y prenait personne à merci; mais toujours les Anglais, quand ils étaient trop pressés, se réfugiaient dans leurs lignes. Un incident signala une de ces passes d'armes. La Trémoille, voulant apparemment se réhabiliter dans l'esprit de l'armée, se risqua à faire le coup de lance. Son cheval s'abattit, et il courut grand risque de la vie; malheureusement il fut secouru à temps.

A la nuit tombante, les Français, voyant l'impossibilité d'avoir bataille, regagnèrent leur logis de Mont-Espilloi, et le roi, qui était venu entre Mont-Espilloi et l'abbaye de la Victoire avec l'arrière-garde, retourna à Crespi1.

Le jour d'après (16 août), Bedford décampa et reprit par Senlis la route de Paris, renonçant à tenir la campagne, soit pour quelques alarmes sur les dispositions de la capitale, soit pour les mauvaises nouvelles qu'il recevait du côté de la Normandie. Au lieu de le suivre l'épée dans les reins, le roi rappela l'armée à Crespi, d'où il alla s'établir à Compiègne, qui venait de lui envoyer ses clefs (18 août). Senlis, sommé par un détachement français, se rendit « au roi et à la Pucelle ». Beauvais en fit autant, après avoir chassé son évèque Pierre Cauchon, qui se montrait « extrême et furieux pour le parti des Anglois », quoiqu'il fût natif des environs de Reims et dût sa mitre épiscopale au duc de Bourgogne et non aux étrangers. La soif de vengeance que la révolution de Beauvais alluma dans cette âme haineuse et dépravée ne contribua pas moins que l'ambition et la cupidité au rôle infâme que Cauchon accepta plus tard de ses maîtres.

Ces faciles succès ne doivent pas faire illusion sur la faute énorme ou plutôt sur le crime que commettaient le roi et ses conseillers en refusant d'écouter Jeanne et de pousser droit à Paris. C'était toujours le même système. La trêve de quinze jours avec les Bourguignons était expirée sans que le duc Philippe eût fait rendre Paris; mais les négociations continuaient; l'archevêquechancelier, Raoul de Gaucourt et d'autres membres du conseil

1. Perceval de Cagni, ap. Procès, t. IV, p. 22-23. Berri, roi d'armes, ibid. Jean Chartier, ibid. p. 80-84. Monstrelet, ibid. p. 386. Journal du

P. 47.

siége d'Orléans, ibid. p. 195. Le récit de Perceval est de beaucoup le plus digne de foi, ici comme partout.

étaient allés trouver Philippe à Arras, et l'archevêque avait fait au duc, de la part du roi, « offres de réparation plus qu'à la majesté royale n'appartenoit, excusant par sa jeunesse ledit roi de l'homicide jadis perpétré en la personne de feu le duc Jehan de Bourgogne; alléguant que lors, avec sa dite jeunesse, il étoit au gouvernement de gens qui point n'avoient de regard et considération au bien du royaume ni de la chose publique, et ne les eût pour ce temps osé dédire ni courroucer ». L'archevêque et ses collègues firent de grandes offres au duc, l'exil des auteurs ou complices du meurtre de Jean-sans-Peur; la dispense pour le duc, sa vie durant, de toute obligation de vassalité envers le roi; diverses cessions de territoire. Philippe les « ouït bénignement », dit Monstrelet. La majeure partie des conseillers du duc «< avoient grand désir et affection que les deux parties fussent réconciliées l'une avec l'autre ». C'était le vœu de la grande majorité des populations artésiennes et picardes, surtout des gens « de moyen et de bas état »; toutes les villes de la Somme « ne désiroient autre chose au monde que de recevoir le roi Charles à seigneur ». Les bourgeois picards « alloient en la ville d'Arras devers le chancelier de France impétrer en très grand nombre rémission, lettres de grâces, offices et autres mandements royaux, comme si le roi fût pleinement en sa seigneurie et de ce fussent acertenés (assurés) 2. »

Philippe, un moment, sembla près de signer le traité; mais deux de ses conseillers, l'évêque de Tournai3 et Hugues de Lannoi, accoururent de la part de Bedford pour « l'admonester de faire entretenir le serment qu'il avoit fait au roi Henri ». Ils obtinrent qu'on ne conclût rien et que le duc envoyât à son tour une ambassade au roi Charles afin de débattre plus amplement la paix générale. Gagner du temps, pour le parti anglais, c'était tout gagner.

Jeanne ne le sentait que trop, elle dont l'inspiration, dont l'infaillible instinct parlait plus haut que jamais. Elle se dévorait elle

1. Monstrelet, 1. II, c. 57.

2. Monstrelet, ibid.

3. Évêque sans diocèse; ses diocésains l'avaient chassé comme Cauchon. 4. Monstrelet, 1. II, c. 59.

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