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Esculape, me guérirent, ou du moins me mirent dans l'état où vous me voyez. Je ne souffre plus; j'ai retrouvé toute ma vigueur: mais je suis un peu boiteux. Je fis tomber Pâris comme un timide faon de biche1 qu'un chasseur perce de ses traits. Bientôt Ilion fut réduite en cendres; vous savez le reste. J'avais néanmoins encore je ne sais quelle aversion pour le sage Ulysse, par le souvenir de mes maux; et sa vertu ne pouvait apaiser ce ressentiment; mais la vue d'un fils qui lui ressemble, et que je ne puis m'empêcher d'aimer, m'attendrit le cœur pour le père même.

1 un timide faon de biche, a timid fawn.' Biche, hind,' i.e. the female of the buck, in low Latin bicca or bissa, is derived from the Teutonic biz, a word frequently ap

plied in the Teutonic idioms to the female of certain animals. Hence biz in the Teutonic wolbiz, a she-wolf,' and the English word bitch.

LIVRE XIII.

Télémaque, pendant son séjour chez les alliés, trouve de grandes difficultés pour se ménager 1 parmi tant de rois jaloux les uns des autres. Il entre en différend avec Phalante, chef des Lacédémoniens, pour quelques prisonniers faits sur les Dauniens, et que chacun prétendait lui appartenir. Pendant que la cause se discute dans l'assemblée des rois alliés, Hippias, frère de Phalante, va prendre les prisonniers pour les emmener à Tarente. Télémaque, irrité, attaque Hippias avec fureur, et le terrasse dans un combat singulier. Mais bientôt, honteux de son emportement, il ne songe qu'au moyen de le réparer. Cependant Adraste, roi des Dauniens, informé du trouble et de la consternation occasionnés dans l'armée des alliés par le différend de Télémaque et d'Hippias, va les attaquer à l'improviste. Après avoir surpris cent de leurs vaisseaux, pour transporter ses troupes dans

leur camp, il y met d'abord le feu, commence l'attaque par le quartier de Phalante, tue son frère Hippias, et Phalante lui-même tombe percé de coups. Á la première nouvelle de de désordre, Télémaque, revêtu de ses armes divines, s'élance hors du camp, rassemble autour de lui l'armée des alliés, et dirige les mouvements avec tant de sagesse, qu'il repousse en peu de temps l'ennemi victorieux. Il eût même remporté une victoire complète, si une tempête survenue n'eût séparé les deux armées. Après le combat, Télémaque visite les blessés, et leur procure tous les soulagements dont ils peuvent avoir besoin. Il prend un soin particulier de Phalante, et des funérailles d'Hippias, dont il va lui-même porter les cendres à Phalante, dans une urne d'or.

PENDANT que Philoctète avait raconté ainsi ses aventures, Télémaque était demeuré comme suspendu et immobile. Ses yeux étaient attachés sur ce grand homme qui parlait. Toutes les passions différentes qui avaient agité Hercule, Philoctète, Ulysse, Néoptolème, paraissaient tour à tour sur le visage naïf de Télémaque, à mesure qu'elles étaient représentées dans la suite de cette narration. Quelquefois il s'écriait, et interrompait Philoctète sans y penser; quelquefois il paraissait rêveur comme un homme qui pense profondément à la suite des affaires. Quand Philoctète dépeignit l'embarras de Néoptolème, qui ne savait

1 pour se ménager, 'to conduct to the familiar term, 'to steer cauhimself cautiously,' or, according tiously.'

pas dissimuler, Télémaque parut dans le même embarras: et dans ce moment on l'aurait pris pour Néoptolème.

1

Cependant l'armée des alliés marchait en bon ordre contre Adraste, roi des Dauniens, qui méprisait les dieux, et qui ne cherchait qu'à tromper les hommes. Télémaque trouva de grandes difficultés pour se ménager parmi tant de rois jaloux les uns des autres. Il fallait ne se rendre suspect à aucun, et se faire aimer de tous. Son naturel était bon et sincère, mais peu caressant; il ne s'avisait guère de ce qui pouvait faire plaisir aux autres; il n'était point attaché aux richesses, mais il ne savait point donner. Ainsi, avec un cœur noble et porté au bien, il ne paraissait ni obligeant, ni sensible à l'amitié, ni libéral, ni reconnaissant des soins qu'on prenait pour lui, ni attentif à distinguer le mérite. Il suivait son goût sans réflexion. Sa mère Pénélope l'avait nourri, malgré Mentor, dans une hauteur et une fierté qui ternissaient tout ce qu'il y avait de plus aimable en lui. Il se regardait comme étant d'une autre nature que le reste des hommes; les autres ne lui semblaient mis sur la terre par les dieux que pour lui plaire, pour le servir, pour prévenir tous ses désirs, et pour rapporter tout à lui comme à une divinité.2 Le bonheur de le servir était, selon lui, une assez haute récompense pour ceux qui le servaient. Il ne fallait jamais rien trouver d'impossible quand il s'agissait de le contenter; et les moindres retardements irritaient son naturel ardent.

Ceux qui l'auraient vu ainsi dans son naturel auraient jugé qu'il était incapable d'aimer autre chose que luimême, qu'il n'était sensible qu'à sa gloire et à son plaisir; mais cette indifférence pour les autres et cette attention continuelle sur lui-même ne venaient que du transport continuel où il était jeté par la violence de ses passions. Il avait été flatté par sa mère dès le berceau, et il était un

1 mais peu caressant, but little disposed to oblige.' Caresser, 'to caress,' 'to fawn,' expresses here the act of behaving courteously to others, with those outward forms of politeness and attention which are the national characteristics of every

well-bred Frenchman. The word can be understood much easier than it can be literally translated into English.

2 et pour rapporter tout à lui comme à une divinité, and refer every thing to him as a divinity.'

grand exemple du malheur de ceux qui naissent dans l'élévation. Les rigueurs de la fortune, qu'il sentit dès sa première jeunesse, n'avaient pu modérer cette impétuosité et cette hauteur. Dépourvu de tout, abandonné, exposé à tant de maux, il n'avait rien perdu de sa fierté; elle se relevait toujours comme la palme souple se relève sans cesse d'elle-même, quelque effort qu'on fasse pour l'abaisser.

Pendant que Télémaque était avec Mentor, ces défauts ne paraissaient point, et ils se diminuaient tous les jours. Semblable à un coursier fougueux qui bondit dans les vastes prairies, que ni les rochers escarpés, ni les précipices, ni les torrents n'arrêtent, qui ne connaît que la voix et la main d'un seul homme capable de le dompter, Télémaque, plein d'une noble ardeur, ne pouvait être retenu que par le seul Mentor. Mais aussi un de ses regards l'arrêtait1 tout à coup dans sa plus grande impétuosité: il entendait d'abord ce que signifiait ce regard; il rappelait d'abord dans son cœur tous les sentiments de vertu. La sagesse

rendait en un moment son visage doux et serein. Neptune, quand il élève son trident, et qu'il menace les flots soulevés, n'apaise point plus soudainement les noires tempêtes.

Quand Télémaque se trouva seul, toutes ses passions, suspendues comme un torrent arrêté par une forte digue, reprirent leur cours: il ne put souffrir l'arrogance des Lacédémoniens, et de Phalante qui était à leur tête. Cette colonie, qui était venue fonder Tarente, était composée de jeunes hommes nés pendant le siége de Troie, qui n'avaient eu aucune éducation: leur naissance illégitime, le déréglement de leurs mères, la licence dans laquelle ils avaient été élevés, leur donnaient je ne sais quoi de farouche et de barbare. Ils ressemblaient plutôt à une troupe de brigands qu'à une colonie grecque.

Phalante, en toute occasion, cherchait à contredire Télémaque; souvent il l'interrompait dans les assemblées,

1 Mais aussi un de ses regards l'arrêtait, but then one of his looks could check him.' Aussi is sometimes used alone as a conjunction

in similar sentences. Ces dentelles sont belles, aussi coûtent-elles beaucoup, these laces are fine, but then they are dear.'

méprisant ses conseils comme ceux d'un jeune homme sans expérience: il en faisait des railleries, le traitant de faible et d'efféminé ;1 il faisait remarquer aux chefs de l'armée ses moindres fautes. Il tâchait de semer partout la jalousie, et de rendre la fierté de Télémaque odieuse à tous les alliés.

Un jour, Télémaque ayant fait sur les Dauniens quelques prisonniers, Phalante prétendit que ces captifs devaient lui appartenir, parce que c'était lui, disait-il, qui, à la tête de ses Lacédémoniens, avait défait cette troupe d'ennemis; et que Télémaque, trouvant les Dauniens déjà vaincus et mis en fuite, n'avait eu d'autre peine que celle de leur donner la vie et de les mener dans le camp. Télémaque soutenait, au contraire, que c'était lui qui avait empêché Phalante d'être vaincu, et qui avait remporté la victoire sur les Dauniens. Ils allèrent tous deux défendre leur cause dans l'assemblée des rois alliés. Télémaque s'y emporta jusqu'à menacer Phalante; ils se fussent battus sur-le-champ, si on ne les eût arrêtés.

Phalante avait un frère nommé Hippias, célèbre dans toute l'armée par sa valeur, par sa force, et par son adresse. Pollux, disaient les Tarentins, ne combattait pas mieux du ceste; Castor n'eût pu le surpasser pour conduire un cheval; il avait presque la taille et la force d'Hercule. Toute l'armée le craignait; car il était encore plus querelleur et plus brutal qu'il n'était fort et vaillant. Hippias, ayant vu avec quelle hauteur Télémaque avait menacé son frère, va à la hâte prendre les prisonniers pour les emmener à Tarente, sans attendre le jugement de l'assemblée. Télémaque, à qui on vint le dire en secret, sortit en frémissant de rage. Tel qu'un sanglier écumant, qui cherche le chasseur par lequel il a été blessé, on le voyait errer dans le camp, cherchant des yeux son ennemi, et branlant le dard dont il le voulait percer. Enfin il le rencontre; et, en le voyant, sa fureur se redouble. Ce n'était plus ce

1 le traitant de faible et d'efféminé, pointing him out as a feeble and effeminate youth.'

2 sur is used idiomatically with certain verbs, in the sense of 'from.'

Prendre sur l'ennemi, faire sur l'ennemi quelques prisonniers, &c. Ayant fait sur les Dauniens quelques prisonniers, having taken some Daunians prisoners.'

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