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SUITE.

Décembre 1819

Après avoir traité de l'histoire, il conviendroit de parler des sciences; mais nous manquons de ce courage, si commun aujourd'hui, de raisonner sur des choses que nous n'entendons pas. Dans la crainte de prendre le Pirée pour un homme, nous nous abstiendrons. Néanmoins nous ne pouvons résister à l'envie de dire un mot d'un ouvrage de science que nous avons sous les yeux. Il est intitulé: de l'Auscultation médiate. Au moyen d'un tube appliqué aux parties extérieures du corps, notre savant compatriote breton, ledocteur Laënnec, est parvenu à reconnoître, par la nature du bruit de la respiration, la nature des affections du cœur et de la poitrine. Cette belle et grande découverte fera époque dans l'histoire de l'art. Si l'on pouvoit inventer une machine pour entendre ce qui se passé dans la conscience des hommes, cela seroit bien utile dans le temps où nous vivons. « C'est dans son « génie que le médecin deit trouver des remèdes, »> a dit un autre médecin dans ses ingénieuses Maximes; et l'ouvrage du docteur Laënnec prouve la justesse de cette observation. Nous pensons aussi, comme l'Ecclésiastique; « que toute médecine vient « de Dieu, et qu'un bon ami est la médecine du

« cœur. » Mais retournons aux choses de notre com

pétence.

M. de Bonald et M. l'abbé de La Mennais nous ont donné, dans le cours de cette année, le premier, des Mélanges philosophiques, politiques et littéraires; le second, des Reflexions sur l'état de l'Église de France. Nommer ces deux hommes supérieurs, c'est en faire l'éloge. Les royalistes, qui les comptent avec orgueil dans leurs rangs, les présentent à leurs amis et à leurs ennemis. Ils prouvent l'un et l'autre que les vrais talents sont presque toujours du côté de la vertu, et que la probité est une partie essentielle du génie.

On publie dans ce moment une édition complète des OEuvres de madame de Staël. Le temps où l'auteur de Corinne sera jugé avec impartialité n'est pas encore venu. Pour nous, que le talent séduit, et qui ne faisons point la guerre aux tombeaux, nous nous plaisons à reconnoître dans madame de Staël une femme d'un esprit rare; malgré les défauts de sa manière, elle ajoutera un nom de plus à la liste de ces noms qui ne doivent point mourir. Quand on a connu la fille de M. Necker, et toutes les agitations dont elle remplissoit sa vie, combien on est frappé de la vanité des choses humaines! Que de mouvement pour tomber dans un repos sans fin! que de bruit pour arriver à l'éternel silence ↳ Madame de Staël rechercha peut-être un peu trop des succès qu'elle éoit faite pour obtenir sans se donner tant de peires. Fi de la célébrité, s'il faut courir après elle! Le bonhomme La Fontaine

traita la gloire comme il conseille de traiter la fortune, il l'attendit en dormant, et la trouva le matin assise à sa porte.

Pour rendre madame de Staël plus heureuse, et ses ouvrages plus parfaits, il eût suffi de lui ôter un talent. Moins brillante dans la conversation, elle eût moins aimé le monde, qui fait payer cher les plaisirs qu'il donne, et elle eût ignoré les petites passions de ce monde. Ses écrits n'auroient point été entachés de cette politique de parti qui rend cruel le caractère le plus généreux, faux le jugement le plus sain, aveugle l'esprit le plus clairvoyant; de cette politique qui donne de l'aigreur aux sentiments et de l'amertume au style, qui dénature le talent, substitue l'irritation de l'amourpropre à la chaleur de l'âme, et remplace les inspirations du génie par les boutades de l'hu

meur.

Ce n'est pas sans un sentiment pénible que nous retrouvons cette politique dans un dernier ouvrage de M. Ballanche. Cet ouvrage, qui n'est qu'un simple dialogue entre un vieillard et un jeune homme, a quelque chose dans le style et dans les idées, de calme, de doux et de triste. Le début rappelle celui de la République, ou plutôt des Lois de Platon. Que l'auteur d'Antigone s'abandonne désormais à ses penchants naturels; qu'il apprécie mieux les trésors qu'il possède, et qu'il répande dans ses écrits la sérénité, la candeur, la tranquillité de l'âme O fortunatos..... sua si bona norint! Qu'il nous laisse à nous, tristes enfants des orages, le

soin d'agiter ces questions d'où sortent à peine quelques vérités arides; vérités qui souvent ne valent pas les agréables mensonges de ces romans dont nous allons parler.

ROMANS.

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Les peuples commencent par la poésie, et finissent par les romans : la fiction marque l'enfance et la vieillesse de la société. De tous les habitants de l'Europe, les François, par leur esprit et leur caractère, se prêtent le moins aux peintures fantastiques. Nos mœurs, qui conviennent aux scènes de la comédie, sont peu propres aux intrigues du roman, tandis que les mœurs angloises, qui se plient à l'art du roman, sont rebelles au génie de la comédie : la France a produit Molière, l'Angleterre Richardson. Faut-il nous plaindre ou nous féliciter de ne pouvoir offrir des personnages au romancier, et des modèles à l'artiste? Trop naturels pour les premiers, nous le sommes trop peu pour les seconds. Il n'y a guère que la mauvaise société dont on ait pu supporter le tableau dans les romans françois Manon Lescot en est la preuve. Madame de La Fayette, Le Sage, J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, ont été obligés, pour réussir, d'établir leurs théâtres, et de prendre leurs personnages hors de leurs temps et de leur pays.

Il est possible que l'influence de la révolution change quelque chose à ces vérités générales. Nous remarquons, en effet, que la société nouvelle, à mesure qu'elle présente moins de sujets à la comédie, fournit plus de matériaux au roman : ainsi

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