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Avril 1819.

M. Prévôt a pris la vue de Jérusalem du haut du couvent de Saint-Sauveur. On découvre de ce point la ville entière et le cercle presque complet de l'horizon. Cet horizon embrasse, à l'orient et au midi, le chemin de Bethléem, les montagnes d'Arabie, un coin de la mer Morte et la montagne des Oliviers; au nord et à l'ouest, les montagnes de Sichem ou de Naplouse, le chemin de Damas, et les montagnes de Judée sur la route de Jaffa.

Tous ces lieux, ainsi que les plus petits détails de Jérusalem, sont décrits dans l'Itinéraire, et peuvent servir d'explication au Panorama. Qu'il me soit permis seulement de rappeler le tableau général de la ville, en priant le lecteur d'observer deux choses :

1° Mon point de vue, pris de la montagne des Oliviers, est conséquemment tout juste à l'opposé du point de vue de M. Prévôt : dans le Panorama, la montagne des Oliviers est en face; dans ma description, c'est Jérusalem qu'on a devant soi.

2o Je me trouvois en Judée au mois d'octobre; le soleil étoit ardent; les cieux étoient devenus d'airain; les montagnes étoient arides, sèches et brûlées. M. Prévôt a vu Jérusalem en hiver, par un temps pluvieux et sombre, ce qui convient égale

ment à la tristesse du site et des souvenirs. A ces petites différences près, les deux tableaux ont l'air d'avoir été calqués l'un sur l'autre. Voyez donc la description extraite de l'Itinéraire.

Telle est aujourd'hui Jérusalem, et telle la représente le Panorama. Compagnon naturel de tous les voyageurs, m'associant en pensée à leurs périls et à leurs travaux, j'admire trop les arts, j'aime trop les muses pour ne pas me faire un devoir de recommander à la France les talents qui la peuvent honorer. Soyons reconnoissants envers l'homme courageux qui a immolé à son art sa santé, son repos et sa fortune. Ce n'est encore là que le moindre des sacrifices de M. Prévôt: il a eu le malheur de perdre son neveu. Ce jeune peintre, de la plus belle espérance, vrai martyr des arts, est mort à la vue de la Grèce, et son corps a été abandonné aux flots de cette mer qui baigne la patrie d'Apelles. Ainsi toutes les peines sont pour les voyageurs, tous les plaisirs pour nous qui profitons du voyage: nous allons au bout de la terre sans quitter notre patrie. Après tout, c'est toujours là qu'il en faut revenir; et, quand on a vu toutes les villes du monde, on trouve encore que celles de son pays sont des plus belles : c'étoit l'opinion de Montaigne.

«Je responds, dit-il, ordinairement à ceux qui « me demandent raison de mes voyages: Je sais « bien ce que je fuis, mais non pas ce que je cher«che. Si on me dit que, parmy les estrangers, il y « peut avoir aussi peu de santé, et que leurs mœurs

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« << ne sont pas mieux nettes que les nostres, je responds que c'est tousjours gain de changer un mauvais estat à un estat incertain, et que les maux << d'autruy ne nous doivent pas poindre comme les « nostres. Je ne veux pas oublier cecy: que je ne « me mutine jamais tant contre la France que je «ne regarde Paris de bon œil: elle a mon cœur « dès mon enfance, et m'en est advenu comme des choses excellentes. Plus j'ay veu depuis d'autres «villes belles, plus la beauté de cette cy peut et gaigne sur mon affection. Je l'ayme tendrement «jusques à ses verrues et à ses taches. Je ne suis «François que par cette grande cité, grande en « peuples, grande en félicité de son assiette, mais « surtout grande et incomparable en variété et di«versité de commodités; la gloire de la France est « l'un des plus nobles ornements du monde. Dieu << en chasse loin nos divisions! >>

SUR

LE VOYAGE AU LEVANT,

DE M. LE COMTE DE FORBIN.

Mai 1819.

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M. le comte de Forbin, dans son Voyage au Levant, réunit le double mérite du peintre et de l'écrivain : l'ut pictura poesis semble avoir été dit

pour lui. Nous pouvons affirmer que, dessinés ou écrits, ses tableaux joignent la fidélité à l'élégance. Nous avons vu quelques lieux qu'il n'a point visités, comme Sparte, Rhodes et Carthage; mais il a parcouru à son tour des ruines qui ont échappé à nos observations, telles que celles de Césarée, d'Ascalon et de Thèbes. A cela près, notre course, quasi la même, a été accomplie dans le même espace de temps. Plus heureux que nous seulement, M. le comte de Forbin avoit un pinceau pour peindre; et nous, nous n'avions qu'un crayon: un roi légitime lui a donné de grands vaisseaux pour le transporter en haute mer; et nous, nous possédions

peine la petite barque d'Horace pour raser la terre, biremis præsidio scapha. Nous sommes forcé d'envier au voyageur jusqu'au château dont il s'est défait pour subvenir aux frais de la route: quant à nous, on avoit eu soin de nous laisser à vendre que nos coquilles de pèlerin.

MÉLANGES LITTÉRAIRES,

20

M. le comte de Forbin s'embarqua à Toulon le 22 août 1817, sur la division navale composée de la frégate la Cléopátre, de la corvette l'Espérance, des gabarres la Surveillante et l'Active. Il avoit pour compagnons de voyage: M. l'abbé de Janson, missionnaire, M. Huyot, architecte, M. Prévôt, auteur de beaux Panoramas, et l'infortuné M. Cochereau, peintre et neveu de M. Prévôt. La flotte se trouva le jour de la Saint-Louis à la vue de la côte de Tunis. « M. l'abbé de Janson célébra la messe sur le gaillard « d'arrière. Vingt et un coups de canon et des cris « de vive le roi! saluèrent le rivage où saint Louis « rendit à Dieu sa grande âme. Ce noble souvenir frappa tout l'équipage. Quel rapprochement, en « effet, quel spectacle que celui de ce désert qui fut jadis témoin du deuil des lis, et qui conserve au«jourd'hui les ruines de Carthage 1!»

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Otez la religion de ce beau tableau, que restera-t-il ? Quelques ruines muettes et la poussière d'un roi.

Le 30 août, près la côte de Cérigo, mourut le jeune Cochereau, qui avoit entrepris le voyage plein de joie et d'ardeur 2. Dans les projets de la vie on oublie trop facilement cet accident de la mort qui abrége tous les projets. C'est pourquoi les hommes ont raisonnablement fixé la patrie au lieu de la naissance, et non pas à celui de la mort, toujours incertain:

Lyrnessi domus alta, solo Laurente sepulcrum.

'Voyage dans le Levant, pag. 5.

2. Idem, pag. 6.

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