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«passe dans le secret de notre cœur est souvent ce qu'il « observe avec plus d'attention.

«Il est infiniment jaloux de sa gloire, mais il sait mieux «que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a «<peut-être faits si grands qu'afin que nos respects l'honodrassent davantage; et si nous manquons de remplir en «cela ses desseins, peut-être qu'il nous laissera tomber «dans la poussière de laquelle il nous a tirés.

«Plusieurs de mes ancêtres, qui ont voulu donner à «leurs successeurs de pareils enseignements, ont attendu « pour cela l'extrémité de leur vie; mais je ne suivrai pas «<en ce point leur exemple. Je vous en parle dès cette «heure, mon fils, et vous en parlerai toutes les fois que «j'en trouverai l'occasion. Car, outre que j'estime qu'o: «ne peut de trop bonne heure imprimer dans les jeunes « esprits des pensées de cette conséquence, je crois qu'il «se peut faire que ce qu'ont dit ces princes dans un état << si pressant ait quelquefois été attribué à la vue du péril «où ils se trouvoient; au lieu que, vous en parlant main<«<tenant, je suis assuré que la vigueur de mon âge, la li«<berté de mon esprit, et l'état florissant de mes affaires, <<ne vous pourront jamais laisser pour ce discours aucun << soupçon de foiblesse ou de déguisement. >>

C'étoit en 1661 que Louis XIV donnoit cette sublime leçon à son fils.

DES

LETTRES ET DES GENS DE LETTRES;

RÉPONSE

A UN ARTICLE INSÉRÉ DANS LA GAZETTE DE FRANCE,

DU 27 AVRIL '.

Mai 1808.

La Défense du Génie dụ Christianisme est jusqu'à présent la seule réponse que j'aie faite à toutes les critiques dont on a bien voulu m'honorer. J'ai le bonheur ou le malheur de rencontrer mon nom assez souvent dans des ouvrages polémiques, des pamphlets, des satires. Quand la critique est juste, je me corrige; quand le mot est plaisant, je ris; quand il est grossier, je l'oublie. Un nouvel ennemi vient de descendre dans la lice. C'est un chevalier béarnois. Chose assez singulière, ce chevalier m'accuse de préjugés gothiques, et de mépris pour les lettres! J'avoue que je n'entends pas parler de sang-froid de chevalerie, et quand il est question de tournois, de défis, de castilles, de pas d'armes, je me mettrois volontiers comme le seigneur don

Cet article est de M. de Baure, auteur d'une Histoire du Béarn, et beau-frère de M. le comte Daru.

Quichotte à courir les champs pour réparer les torts. Je me rends donc à l'appel de mon adversaire. Cependant, je pourrois refuser de faire avec lui le coup de lance, puisqu'il n'a pas déclaré son nom, ni haussé la visière de son casque après le premier assaut; mais comme il a observé religieusement les autres lois de la joute, en évitant avec soin de frapper à la tête et au coeur, je le tiens pour loyal chevalier, et je relève le gant.

Cependant, quel est le sujet de notre querelle? Allons-nous nous battre, comme c'est assez l'usage entre les preux, sans trop savoir pourquoi? Je veux bien soutenir que la Dame de mon cœur est incomparablement plus belle que celle de mon adversaire. Mais si par hasard nous servions tous deux la même Dame? C'est en effet notre aventure. Je suis au fond du même avis, ou plutôt du même amour que le chevalier béarnois, et, comme lui, je déclare atteint de félonie quiconque manque de respect pour les muses.

Changeons de langage, et venons au fait. J'ose dire que le critique qui m'attaque avec tant de goût, de savoir et de politesse, mais peut-être avec un peu d'humeur, n'a pas bien compris ma pensée.

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Quand je ne veux pas que les rois se mêlent des tracasseries du Parnasse, ai-je donc infiniment tort? Un roi sans doute doit aimer les lettres, les cultiver même, jusqu'à un certain degré, et les protéger dans ses États; mais est-il bien nécessaire qu'il fasse des livres ? Le juge souverain peut-il,

sans inconvénients, s'exposer à être jugé ? Est-il bon qu'un monarque donne, comme un homme ordinaire, la mesure de son esprit, et réclame l'indulgence de ses sujets dans une préface? Il me semble que les dieux ne doivent pas se montrer si clairement aux hommes : Homère met une barrière de nuages aux portes de l'Olympe.

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Quant à cette autre phrase, un auteur doit être pris dans les rangs ordinaires de la société. J'en demande pardon à mon censeur; mais cette phrase n'implique pas le sens qu'il y trouve. Dans l'endroit où elle est placée 1, elle se rapporté aux rois, uniquement aux rois. Je ne suis point assez absurde pour vouloir que les lettres soient abandonnées précisément à la partie non lettrée de la société. Elles sont du ressort de tout ce qui pense; elles n'appartiennent point à une classe d'hommes particulière; elles ne sont point une attribution des rangs, mais une distinction des esprits. Je n'ignore pas que Montaigne, Malherbe, Descartes, La Rochefoucault, Fénelon, Bossuet, La Bruyère, Boileau même, Montesquieu et Buffon, ont tenu plus ou moins à l'ancien corps de la noblesse, ou par la robe, ou par l'épée; je sais bien qu'un beau génie ne peut déshonorer un nom illustre; mais, puisque mon critique me force à le dire, je pense qu'il y a toutefois moins de péril à cultiver les muses dans un état obscur que dans une condition éclatante. L'homme sur qui rien n'attire les regards, expose

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' Voyez l'article sur les Mémoires de Louis XIV.

peu de chose au naufrage. S'il ne réussit pas dans les lettres, sa manie d'écrire ne l'aura privé d'aucun avantage réel, et son rang d'auteur oublié n'ajoutera rien à l'oubli naturel qui l'attendoit dans une autre carrière.

Il n'en est pas ainsi de l'homme qui tient une place distinguée dans le monde, ou par sa fortune, ou par ses dignités, ou par les souvenirs qui s'attachent à ses aïeux. Il faut qu'un tel homme balance long-temps avant de descendre dans une lice où les chutes sont cruelles. Un moment de vanité peut lui enlever le bonheur de toute sa vie. Quand on a beaucoup à perdre, on ne doit écrire que forcé pour ainsi dire par son génie, et dompté par la présence du dieu fera corda domans. Un grand talent est une grande raison, et l'on répond à tout avec de la gloire. Mais si l'on ne sent pas en soi ce mens divinior, qu'on se regarde bien alors de ces démangeaisons qui nous prennent d'écrire.

Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête homme,
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur
Celui de ridicule et misérable auteur.

Si je voyois quelque Du Guesclin rimailler sans l'aveu d'Apollon un méchant poëme, je lui crierois: « Sire Bertrand, changez votre plume pour l'épée « de fer du bon connétable. Quand vous serez sur « la brèche, souvenez-vous d'invoquer, comme votre « ancêtre, Notre-Dame Du Guesclin. Cette muse n'est << pas celle qui chante les villes prises, mais c'est « celle qui les fait prendre. >>

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