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encore par la force de leur esprit que par la droiture de leur cœur.

On a si rarement de pareils hommes et de pareils ouvrages à annoncer au public, qu'on nous pardonnera la longueur de cet extrait. Quand les clartés qui brillent encore sur notre horizon littéraire se cachent ou s'éteignent par degré, on arrête complaisamment ses regards sur une nouvelle lumière qui se lève. Tous ces hommes vieillis glorieusement dans les lettres, ces écrivains depuis longtemps connus, auxquels nous succèderons, mais que nous ne remplacerons pas, ont vu des jours plus heureux. Ils ont vécu avec Buffon, Montesquieu et Voltaire; Voltaire avoit connu Boileau; Boileau avoit vu mourir le vieux Corneille; et Corneille enfant avoit peut-être entendu les derniers accents de Malherbe. Cette belle chaîne du génie françois s'est brisée. La révolution a creusé un abîme qui a séparé à jamais l'avenir et le passé. Une génération moyenne ne s'est point formée enre les écrivains qui finissent et les écrivains qui commencent. Un seul homme pourtant tient encore le fil de l'antique tradition, et s'élève dans cet intervalle désert. On reconnoîtra sans peine celui que l'amitié n'ose nommer, mais que l'auteur célèbre, oracle 'du goût et de la critique, a déjà désigné pour son successeur. Toutefois, si les écrivains de l'âge nouveau, dispersés par la tempête, n'ont pu s'instruire auprès des anciennes autorités, s'ils ont été obligés de tirer tout d'eux-mêmes, la solitude et l'adversité ne sont-elles pas aussi de grandes

écoles. Compagnons des mêmes infortunes, amis avant d'être auteurs, puissent-ils ne voir jamais renaître parmi eux ces honteuses jalousies qui ont trop souvent déshonoré un art noble et consolateur ! Ils ont encore besoin d'union et de courage: les lettres seront long-temps orageuses. Elles ont produit la révolution, et elles seront le dernier asile des haines; révolutionnaires. Un demi-siècle suffira à peine pour calmer tant de vanités compromises, tant d'amours-propres blessés. Qui peut donc espérer de voir des jours plus sereins pour les muses? La vie est trop courte; elle ressemble à ces carrières où l'on célébroit les jeux funèbres chez les anciens, et au bout desquelles apparoissoit un tombeau.

ἐσηκεξύγον αἷον ὅσον, etc.

« De ce côté, dit Nestor à Antiloque, s'élève de << terre le tronc dépouillé d'un chêne; deux pierres <«<le soutiennent dans un chemin étroit; c'est une << tombe antique, et la borne marquée à votre

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Voltaire a dit: «Ou chantez vos plaisirs, ou <«< laissez vos chansons. » Ne pourroit-on pas dire avec autant de vérité : « Ou chantez vos malheurs, << ou laissez vos chansons ?>>

Condamné à mort pendant les jours de la terreur, obligé de fuir une seconde fois après le 18 fructidor, l'auteur du Printemps d'un proscrit est reçu, par des cœurs hospitaliers, dans les montagnes du Jura, et trouve dans le tableau de la nature à la fois de quoi consoler et nourrir ses regrets.

Lorsque la main de la Providence nous éloigne du commerce des hommes, nos yeux moins distraits se fixent sur le spectacle de la création, et nous y découvrons des merveilles que nous n'aurions jamais soupçonnées. Du fond de la solitud on contemple les tempêtes du monde, comme un homme jeté sur une île déserte se plaît, par une secrète mélancolie, à voir les flots se briser sur les côtes où il fit naufrage. Après la perte de nos amis,

si nous ne succombons pas à la douleur, notre cœur se replie sur lui-même; il forme le projet de se détacher de tout autre sentiment, et de vivre uniquement avec ses souvenirs. Nous sommes alors moins propres à la société, mais notre sensibilité se développe aussi davantage. Que celui qui est abattu par le chagrin s'enfonce dans l'épaisseur des forêts; qu'il erre sous leur voûte mobile; qu'il gravisse la montagne d'où l'on découvre des pays immenses, ou le soleil se levant sur les mers; sa douleur ne tiendra point contre un tel spectacle, non qu'il oublie ceux qu'il aima (car alors qui ne craindroit d'être consolé ?); mais le souvenir de ses amis se confondra avec le calme des bois et des cieux; il gardera sa douceur, et ne perdra que son amertume: heureux ceux qui aiment la nature; ils la trouveront, et ne trouveront qu'elle, au jour de l'adversité 1!

Ces réflexions nous ont été fournies par l'ouvrage aimable que nous annonçons. Ce n'est point un poëte qui cherche seulement la pompe et la perfection de l'art; c'est un infortuné qui s'entretient avec lui-même, et qui touche la lyre pour rendre l'expression de sa douleur plus harmonieuse; c'est un proscrit qui dit à son livre, comme Ovide au sien :

« Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à << Rome sans moi !..... Hélas! que n'est-il permis «à votre maître d'y aller lui-même! Partez, mais

Ce paragraphe est emprunté de l'Essai historique.

<< sans appareil, comme il convient au livre d'un "poëte exilé. >>

L'ouvrage, divisé en trois chants, s'ouvre par une description des premiers beaux jours de l'année. L'auteur compare la tranquillité des campagnes à la terreur qui régnoit alors dans les villes; il peint le laboureur donnant asile à des proscits:

Dans cet âge de fer, ami des malheureux,

Il pleure sur leurs maux, console leur misère,
Et comme à ses enfants leur ouvre sa chaumière,
Les bois qu'il a plantés, sous leurs rameaux discrets,
Dérobent aux méchants les heureux qu'il a faits.
Le pâle fugitif y cache ses alarmes,

Et loin des factions, loin du fracas des armes,
Pleure en paix sur les maux de l'État ébranlé.

La religion, persécutée dans les villes, trouve à son tour un asile dans les forêts, bien qu'elle y ait aussi perdu ses autels et ses temples.

Quelquefois le hameau que rassemble un saint zèle,
Au Dieu dont il chérit la bonté paternelle,
Vient, au milieu des nuits, offrir, au lieu d'encens
Les vœux de l'innocence et les fleurs du printemps.
L'écho redit aux bois leur timide prière.
Hélas! qu'est devenu l'antique presbytère,
Cette croix, ce clocher élancé dans les cieux,

Et du temple sacré l'airain religieux,

Et le saint du hameau dont le vitrau gothique

Montroit l'éclat pieux et l'image rustique?

Ces murs, où de Dieu même on proclamoit les lois,
D'un pasteur révéré n'entendent plus la voix.

Ces vers sont naturels et faciles. Quant aux sentiments du poëte, ils sont doux et pieux, et se

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