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de ce martyre. Ce défaut est d'autant plus regrettable, que les anatomistes admirent la parfaite correction des torses et des nus, que la couleur révèle un disciple de Rubens, et qu'on ne peut méconnaître la singulière énergie du dessin.

Le couronnement d'épines d'Abraham Janssens éclate dans toute sa vigueur au-dessus du Lucas; il s'arrête à moitié muraille pour faire place au chef-d'œuvre de notre meilleur peintre toulousain, - en dépit des trois Rivalz, au Saint Joseph du bon Subleyras. Celui-ci, en effet, résume dans ce tableau l'énergie et la correction de nos grands maîtres français; il y a un vague ressouvenir de Poussin, de Lesueur, de Michel-Ange peut-être, dans ce bon vieillard ému qui élève avec attendrissement vers le ciel l'enfant miraculeux, remis à sa garde jusqu'à l'heure où devait s'accomplir le drame de la rédemption. La Vierge, rejetée au deuxième plan dans un fond nébuleux, mérite moins nos suffrages; ses traits expriment bien la douceur, mais non la distinction qui convient à la mère de Dieu. Le Saint Joseph de Subleyras est une des œuvres qui pourraient le mieux justifier notre réputation de cité artistique.

La chasse d'Oudry nous fait passer des émotions religieuses aux enivrements champêtres et aux joies cynégétiques. Quel charme dans ce paysage! Quelle ardeur contagieuse dans ces chiens lancés, à travers la terre et l'onde, contre un animal qui déjà ne peut plus fuir! Ce tableau, un des plus précieux du Musée comme valeur vénale, a été sauf l'abus du bleu habilement éclairci par un travail de restauration qui accroît son effet.

Trois productions de notre école locale, Le Christ au tombeau, de Tournier, si célèbre par son effet de pieds, Le songe de saint Joseph de de Troy, et la grande toile de Rivalz, La fondation d'Ancyre, terminent, dans le nouveau classement, la série des œuvres anciennes. Le Rivalz, trop admiré peut-être à Toulouse, nous a paru, autant qu'on en peut juger de loin, rajeuni par quelques réparations partielles et par un vernissage général. Le groupe principal, où l'auteur s'est peint sous des traits de bonhomie sympathique, aurait gagné aux retouches, n'étaient les tons criards dont on a chargé les draperies. Le Tournier, avant comme après le déplacement, garde toute notre estime; c'est une bonne peinture, pleine d'énergie dans sa raide simplicité. Le corps du divin supplicié, entouré des saintes femmes aux longs voiles rigides, rappelle la

saveur archaïque des bas-reliefs et des croix bysantines de SaintSernin. Les esprits forts auraient grand tort en outre de taxer de puérilité l'admiration naïve de nos concitoyens pour le fameux effet de pieds; car, au dire des gens de l'art, ce cadavre et ces pieds qui tournent avec le spectateur, constituent un vrai prodige de perspective. Le songe de saint Joseph par de Troy est toujours bon de composition et de couleur; le front du messager divin est ridé d'un souffle surnaturel; son bras, jeté d'une façon toute magistrale, va droit au visionnaire qui tressaille à l'ouïe de la voix divine.

Fermez les yeux un moment; nous passons devant le Guillaume Tell de M. Vincent. Est-ce par le fait du peintre, ou par le fait des ans, que ce tableau a pris cette couleur abominable, ces tons fauves et roux, ces teintes verdâtres et livides qui font rêver à l'Eden sépulcral, où M. Beaudelaire, dans un élan réaliste, a placé les amours d'un crapaud noir et d'un cadavre vert? Je l'ignore. C'est dommage en vérité; car ce tableau a je ne dirai de la compas position mais de la mise en scène. Les personnages, ceux de droite surtout, ne manquent ni de vigueur ni de pose; Guillaume Tell lance vaillamment son coup de pied au tyran qui culbute d'une façon semi-tragique, semi-grotesque. Mais la couleur rend cette toile digne de figurer plutôt devant la porte d'une d'auberge suisse sous prétexte d'enseigne patriotique que dans un musée de grande ville. M. Vincent, qui florissait vers 1810, forme le trait-d'union entre les vieux maîtres et les peintres nouveaux qui occupent les dernières travées de la galerie. A sa suite, en effet, défilent M. Couture avec La soif de l'or, M. Verlat et son Tigre qui dévore sa proie avant d'avoir pris pied, M. Louis Boulanger et ses limpides, placides, lymphatiques et trop admirées Dames d'amour, et enfin, horrendum! La mort de la sœur de charité, déplorable peinture de paravent, on la copie, hélas! - dont je n'ai jamais voulu savoir l'auteur.

Maintenant, me direz-vous: Où donc est le San Diego de Murillo? Ah! j'en sais bien le cadre béant, là-haut sous le Caravage, mais le logis est inhabité; le Murillo est en cours de réparation, — ne dites pas de profanation. - Et le Pérugin? Le Pérugin, on l'a fiché contre le fameux paravent, dont il est sans contredit le plus bel ornement; mais je crains que l'évêque d'Hippone ne pleure longtemps la pré

tendue jeunesse qu'on lui a infligée. Les roses ne siéent pas aux vieillards. Et Les huit capitouls de Chalette? Et le Canaletto? Je n'ai pas su les apercevoir. Mais, en revanche, j'atteste que l'Alexandre et Appelles de M. Langlois, toujours croustillant et galeux, brille de son éclat de carton, immédiatement au-dessus de la statue de M. Renoir; j'affirme que la Gargouille de M. Clément Boulanger pousse au noir d'une façon extravagante, que la Bataille de Polotsk de M. Langlois menace de s'incendier, et qu'enfin, le paysage de M. Giroux garde précieusement sa couleur giroflée. De MM. Isabey et Gérôme je donnerai, au contraire, de bonnes nouvelles; ce sont là des peintres trop solides pour avoir rien à redouter d'un déplacement. Le phare de Boulogne a monté un étage sans rien perdre de sa vigueur; il nous apparaît toujours sous ces tons chauds et colorés qui font de cette marine une des meilleures du célèbre artiste. Le Gérôme n'est pas sorti de la galerie supérieure ; il n'a fait que passer d'une muraille à l'autre; il va sans dire que dans ce trajet, il n'a rien perdu de ses qualités natives.

Apprenons enfin aux visiteurs qui voudraient s'enquérir de tous les tableaux de genre, que l'administration, pendant la fermeture de la petite galerie, en a tapissé le fameux paravent. C'est contre les parois de ce meuble encombrant que les amateurs retrouveront, mais ne reconnaîtront pas peut-être, tant ils font là mauvaise figure, -La sorcière de Brascassat, le divin portrait de Gros, quelques Wouwermans ou pseudo-Wouwermans, les portraits de Largillière et généralement toutes les toiles de chevalet. Espérons que ces exilés ne feront pas là un long séjour, et, qu'une fois les travaux de restauration et d'aménagement terminés, ils regagneront leur patrie première. En reprenant ses hôtes légitimes, la galerie du cloître débarrassera la vieille nef des Augustins de l'odieux parasite contre lequel, en sortant, nous ne pouvons nous défendre de lancer une dernière malédiction.

Emile VAISSE.

LETTRES, PARISIENNES.

Sommaire.

La souscription Lamartine. Les malheurs du Réveil. — Le théâtre du Prince-Impé

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A M. le Directeur de la REVUE DE L'ACADÉMIE DE TOULOUSE.

Avril 1858.

MONSIEUR,

Lorsque, le mois dernier, nous déplorions l'acharnement avec lequel certaines gens tourmentent M. de Lamartine, au moment même où le malheur devrait le rendre inviolable, cet homme illustre se voyait noblement vengé par l'opinion publique. Les Mâconnais, fiers à juste titre de leur immortel compatriote, organisaient une souscription destinée à assurer un repos honorable à la vieillesse du poète, et le Gouvernement s'empressait d'autoriser cette souscription. Dans une lettre bien sentie, M. le Ministre de l'Intérieur rendait une éclatante justice au génie littéraire, au caractère et à la vie politique du grand écrivain, du grand orateur, qui est une

des gloires de la France, et qui, dans une journée mémorable, a sauvé la société à lui tout seul, par un sublime effort d'éloquence et de courage. L'Empereur, enfin, voulait être inscrit le premier en tête de cette souscription qui, partie du trône, pénètrera dans les plus humbles villages et deviendra nationale. En voilà plus qu'il n'en faut, n'est-ce pas, pour faire oublier au moins rancunier des poètes les attaques de quelques envieux?

Le Réveil n'est pas heureux: rien ne lui réussit, et il éprouve du désagrément, même de la part de ses trop zélés rédacteurs. Il n'est pas jusqu'à l'édifiant M. Barbey-d'Aurevilly, l'espoir, le Tu Marcellus eris du Réveil, qui n'attire des camouflets au saint journal où s'est abritée sa conversion. On avait espéré que ce néophyte, dirigé par deux chrétiens de la force de MM. Veuillot de l'Univers, et Granier, de Cassagnac (Gers), rachèterait ses erreurs passées et désavouerait la littérature risquée de son âge tendre. Mais le jeune M. Barbey n'a pas renoncé à ses œuvres, en renonçant à Satan et à ses pompes, et voici qu'il donne une seconde édition de sa Vieille Maîtresse, un roman dont la forme amphigourique ne dissimule pas suffisamment le fond graveleux. Consulté par M. Barbey, M. Veuillot a eu beau faire retentir les colonnes du Réveil de ses homélies, il a obtenu à grand'peine la suppression d'une certaine préface sur la théorie du roman au point de vue catholique, dans laquelle préface l'auteur cherchait à prouver que rien n'est plus chrétien que les tableaux anacréontiques dont fourmille son livre. M. Barbey semble appartenir à la nombreuse famille des gens qui demandent des conseils, avec l'intention de les suivre, dans le cas seulement où le donneur d'avis approuverait leurs projets. Aussi, la Vieille Maîtresse a-t-elle paru quand même à la librairie Michel Lévy, en un volume dont le prix modique — 4 franc — aidera le poison à se répandre.

M. H. Rigault, un de nos critiques les plus écoutés, a profité de l'occasion pour disséquer l'oeuvre de M. Barbey, et pour en offrir aux lecteurs du Journal des Débats quelques échantillons fortement épicés; mais M. Rigault et les Débats sont véhémentement soupçonnés de philosophie, on le sait, et il n'est pas étonnant qu'ils prennent à partie la pieuse rédaction du Réveil. Ce qui est plus grave pour M. Granier de Cassagnac, c'est de voir un journal, dont personne ne contestera les convictions religieuses, la Gazette

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