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Nous irons nous enfonçant de plus en plus dans la barbarie. Tous les genres sont épuisés : les vers, on ne les aime plus; les chefs-d'œuvre de la scène nous ennuieront bientôt; et, comme tous les peuples dégénérés, nous finirons par préférer des pantomimes et des combats de bêtes aux spectacles immortalisés par le génie de Corneille, de Racine et de Voltaire. Nous avons vu à Athènes la hutte d'un santon sur le haut d'une corniche du temple de Jupiter olympien; à Jérusalem, le toit d'un chevrier parmi les ruines du temple de Salomon; à Alexandrie, la tente d'un Bédouin au pied de la colonne de Pompée; à Carthage, un cimetière des Maures dans les débris du palais de Didon ainsi finissent les empires.

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Nous l'avouerons : nous nous sommes arrêté, avec un plaisir qui n'étoit pas sans un mélange de quelque peine, aux Annales littéraires; nous nous sommes souvenu des temps où nous combattions nous-même en faveur de la monarchie avec les seules armes qui nous étoient alors permises, où nous cherchions à réveiller la religion dans le cœur des François, pour leur faire jeter un regard sur le passé, pour les disposer à s'attendrir sur les cendres de leurs pères, pour leur rappeler qu'il existoit encore des rejetons de ces rois sous lesquels la France avoit joui de tant de bonheur et de tant de gloire. L'auteur des An

nales annonça ces ouvrages, fruit du malheur plutôt que du talent en relisant ce qu'il vouloit bien dire de nous, en nous reportant à ces jours de jeunesse, d'amitié et d'étude, nous nous surprenons à les regretter; nous en étions alors à l'espérance.

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L

'ESPRIT philosophique qui a dénaturé notre littérature a surtout corrompu notre histoire; prenant les mœurs pour des préjugés, il a substitué des maximes à des peintures, une raison absolue à cette raison re

lative qui sort de la nature des choses, et qui forme le génie des siècles.

Ce même esprit, en examinant les hommes, ne les mesure que d'après ses règles : il les juge moins d'après leurs actions que d'après leurs opinions. Il y a tels personnages auxquels il ne pardonne leurs vertus qu'en considération de leurs erreurs.

Ces réflexions ne sont point applicables à l'auteur de l'Essai sur la vie de M. de Malesherbes. M. le comte de Boissy-d'Anglas se connoît en courage et en sentiments généreux : il seroit pourtant à désirer qu'il eût commencé son ouvrage par un morceau moins propre à réveiller l'esprit de parti. Pourquoi tous ces détails sur les souffrances des protestants? Si c'est une in-. struction paternelle que l'auteur adresse à ses enfants, elle est trop longue; si c'est un traité historique, il est trop court. L'histoire veut surtout qu'on ne dissimule rien, et qu'une partie du tableau ne soit pas plongée dans l'ombre, tandis que l'autre reçoit exclusivement la lumière. M. le comte de Boissy-d'Anglas gémit sur les proscriptions des calvinistes et les lois cruelles dont ils furent frappés. Il n'y a pas un honnête homme qui ne partage son indignation; mais pourquoi ne dit-il pas que les protestants de Nîmes avoient égorgé deux fois les catho

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liques, une première fois en 1567, et une seconde fois en 1569, avant que les catholiques eussent, en 1572, massacré les protestants 1? Il s'élève contre l'Apologie de Louis XIV sur la révocation de l'édit de Nantes ; mais cette Apologie est pourtant un excellent morceau de critique historique. Si l'abbé de Caveyrac soutient que la journée de la Saint-Barthélemi fut moins sanglante qu'on ne l'a cru, c'est qu'heureusement ce fait est prouvé. Lorsque la bibliothèque du Vatican étoit à Paris (trésor inappréciable auquel presque personne ne songeoit ) j'ai fait faire des recherches; j'ai trouvé sur la journée de la Saint-Barthélemi les documents les plus précieux. Si la vérité doit se rencontrer quelque part, c'est sans doute dans des lettres écrites en chiffres aux souverains pontifes, et qui étoient condamnées à un secret éternel. Il résulte positivement de ces lettres que la Saint-Barthélemi ne fut point préméditée; qu'elle ne fut que conséquence soudaine de la blessure de l'amiral, et qu'elle n'enveloppa qu'un nombre de victimes, toujours beaucoup trop grand sans doute, mais

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1 Les protestants de Nîmes avoient égorgé deux fois les catholiques, et, à la Saint-Barthélemi, les catholiques de la même ville refusèrent de massacrer les protestants. Je pourrois en dire davantage, si je voulois parler du commencement de la révolution.

TOME XXI.

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