Imágenes de página
PDF
ePub

cine renonça à la poésie, et termina en 1667 sa carriere dramatique par la tragédie de PHEDRE. Il avoit pour cette piece une prédilection fondée sur d'assez fortes raisons: il disoit même que s'il avoit produit quelque chose de parfait, c'étoit PHEDRE. Pour moi il me semble que cette perfection qu'il cherchoit, et dont personne n'a plus approché que lui, se trouve d'une maniere plus sensible et plus frappante dans IPHIGÉNIE, quoique le caractere de Phedre, que Voltaire appelle « le chef-d'œuvre de l'esprit humain, et «<le modele éternel, mais inimitable, de quiconque voudra jamais écrire en vers»,soit incontestablement le plus tragique et le plus sublime qu'il y ait au théâtre.

[ocr errors]

"

Racine fut reçu à l'académie française en 1673, et y remplaça la Mothe le Vayer. Quelques années après il fut nommé avec Boileau historiographe du roi. M. de Valincour prétend avec beaucoup de vraisemblance << qu'après avoir long-temps essayé ce travail, ils sentirent qu'il étoit tout-à-fait opposé à << leur génie ». C'est que pour bien écrire l'histoire il ne suffit pas d'être bon poëte; il faut un talent peutêtre aussi rare, et que le premier ne suppose pas, celui de bien écrire en prose: il faut de plus une grande connoissance des hommes, qui ne s'acquiert point dans le silence de la retraite, une longue expérience que rien ne peut suppléer, et qui tient à un courant subtil des choses de la vie bien observées ; un grand fonds d'idées, d'instruction, de raison, de philosophie; avantages qui se trouvent rarement réunis : en un mot, il faut avoir le mérite de Tacite ou de Voltaire, qui, dans deux genres très distincts, et en prenant chacun une route aussi diverse que le caractere de leur esprit et la nature des objets dont ils se sont occupés, ont laissé à la postérité les deux plus beaux modeles d'histoire qui existent dans aucune langue et chez aucun peuple, et les deux seuls

entre lesquels il soit permis de balancer, et très difficile de choisir.

Plusieurs anecdotes de la vie de Racine, ses épigrammes, et sur-tout la préface de la premiere édition de BRITANNICUS, où il tourne finement en ridicule, mais avec une ironie très amere, la plupart des pieces de Corneille, décelent en lui cet esprit caustique et ce caractere irascible qu'Horace attribue à tous les poëtes, qu'il appelle si plaisamment une race colere. La religion, vers laquelle Racine tourna d'assez bonne heure toutes ses pensées, avoit modéré son penchant pour la raillerie; et, ce qui étoit peutêtre plus difficile encore, parceque le sacrifice étoit plus grand et plus pénible pour l'amour-propre, elle avoit éteint en lui la passion des vers et celle de la gloire, la plus forte de toutes dans les hommes que la nature a destinés à faire de grandes choses: mais elle n'avoit pu affoiblir son talent pour la poé. sie. Douze années presque uniquement consacrées aux devoirs de la piété, dont le sentiment tranquille et doux étoit devenu un besoin pour lui et remplissoit son ame tout entiere, ne lui avoient rien fait perdre de ce génie heureux et facile qu'on remarque dans tous ses ouvrages : il suffit, pour s'en convainde lire avec attention les deux dernieres pieces qu'il fit, à la sollicitation de madame de Maintenon, pour les demoiselles de Saint-Cyr.

cre,

ESTHER fat représentée par les jeunes pensionnaires de cette maison, que l'auteur avoit formées à la déclamation. Madame de Sévigné fait mention, dans une de ses lettres, des applaudissements que reçut cette tragédie, qu'elle appelle UN CHEF-D'OEUvre de Racine. « Ce poëte s'est surpassé, dit-elle ; «< il aime Dieu comme il aimoit ses maîtresses; il est << pour les choses saintes comme il étoit pour les pro« fanes : tout est beau, tout est grand, tout est écrit avec dignité.

[ocr errors]

QUE,

On est d'abord un peu étonné de cette admiration exagérée que madame de Sévigné montre ici pour ESTHER, après avoir parlé si froidement, pour ne pas dire si dédaigneusement, d'ANDROMAde BRITANNICUs, de BAJAZET, de PHEDRE, etc. pieces très supérieures à ESTHER. Mais lorsqu'on se rappelle que, fidele à ce qu'elle appeloit ses vieilles admirations, elle écrivoit à sa fille que «< Racine n'iroit pas loin, et que le goût en passeroit comme celui du café», on ne voit plus dans la critique comme dans l'éloge que le même défaut de tact et de jugement.

Quoiqu'ESTHER offre de très beaux détails soutenus de ce style enchanteur qui rend la lecture de Racine si délicieuse, il faut avouer que les applications particulieres et malignes que les courtisans firent de plusieurs vers de cette tragédie à certains évènements du temps contribuerent beaucoup au grand succès qu'elle eut à la cour: mais le public, qui jugeoit la piece en elle-même, et dans l'opinion duquel ces applications, bonnes ou mauvaises, ne pouvoient ajouter à l'ouvrage ni une beauté ni un défaut, ne lui fut pas aussi favorable qu'on l'avoit été à Versailles, et l'on convient généralement aujourd'hui que le public eut raison.

Deux ans après, Racine, flatté d'avoir réussi dans un genre dont il étoit l'inventeur, et qui peut-être avoit senti renaître en lui le desir si naturel et si utile de la gloire, traita dans les mêmes vues le sujet d'ATHALIE. Mais le long silence qu'il s'étoit imposé, et qui auroit dû lui faire pardonner sa réputation, n'avoit pu encore désarmer l'envie: tous les ressorts les plus actifs, et dont l'effet est le plus sûr lorsqu'on veut nuire, furent mis en mouvement; et l'on parvint enfin à jeter dans l'esprit de madame de Maintenon des scrupules qui firent supprimer les

spectacles de Saint-Cyr; et ATHALIE n'y fut point représentée. Racine la fit imprimer en 1691; mais elle trouva peu de lecteurs. On se persuada qu'une piece faite pour des enfants n'étoit bonne que pour eux; et les gens du monde, qui craignent l'ennui autant que la douleur, et qui, moins par défaut de lumieres que d'application, n'ont guere en général d'autres sentiments que ceux qu'on leur inspire, suivirent le torrent, et continuerent à dépriser ATHALIE sans l'avoir lue.

Racine, étonné que le public reçût avec cette indifférence un ouvrage qui auroit suffi pour l'immortaliser, s'imagina qu'il avoit manqué son sujet; et il l'avouoit sincèrement à Boileau, qui lui soutenoit au contraire qu'ATHALIE étoit son chef-d'œuvre : Je m'y connois, lui disoit-il, et le public y reviendra ». La prédiction de Boileau s'est accomplie, mais si long-temps après la mort de Racine, que ce grand homme n'a pu ni jouir du succès de sa piece, ni même le prévoir.

«

Cette nouvelle injustice du public, qui venoit de commettre un second crime envers la poésie et le bon goût, détermina enfin Racine à ne plus s'occuper de vers, et à renoncer pour jamais au théâtre. Il étoit né très sensible; et cette extrême mobilité d'ame, qui donnoit à la fortune et aux évènements tant de moyens divers de le tourmenter et de le rendre malheureux, devint en effet pour lui une source de peines. « Quoique les applaudissements que j'ai recus, disoit-il, m'aient beaucoup flatté, la moindre critique, quelque mauvaise qu'elle ait été, m'a toujours causé plus de chagrin que toutes les louanges ne m'ont fait de plaisir ». Un homme du génie le plus fécond, le plus original et le plus universel qu'il y ait jamais eu, et qui a d'ailleurs beaucoup d'autres rapports avec Racine, auroit pu faire le même aveu.

La sensibilité de Racine se portoit sur tous les objets; elle abrégea même ses jours. Il avoit fait, dans les vues de madame de Maintenon, et pour répondre à la confiance qu'elle lui témoignoit, un projet de finances dont l'objet étoit de proposer un plan de réforme et de législation qui pût soulager la misere du peuple. Louis XIV surprit ce projet entre les mains de madame de Maintenon, et blâma hautement le zele inconsidéré de Racine. « Parcequ'il sait faire parfaitement des vers, dit le roi, croit-il tout savoir? et parcequ'il est grand poëte, veut-il être ministre » ? Racine auroit mieux fait sans doute, pour sa gloire et pour son repos, de donner au public une bonne tragédie de plus, que de s'occuper à écrire des lieux communs plus ou moins éloquents sur des matieres qu'il n'avoit pas étudiées, et sur lesquelles, avec beaucoup de connoissances et une longue expérience, il est si facile et si ordinaire de se tromper. Mais la vanité lui fit un moment illusion: son amour-propre fut flatté que madame de Maintenon l'eût choisi pour porter la vérité, ou ce qu'il prenoit pour elle, aux pieds du trône; et l'espoir si séduisant et si doux de devenir l'instrument du bonheur du peuple, après avoir été si long-temps celui de ses plaisirs, lui ferma les yeux sur les dangers de sa complaisance.

Cependant madame de Maintenon lui fit dire de ne pas paroître à la cour jusqu'à nouvel ordre. Dès ce moment Racine ne douta plus de sa disgrace. Accablé de mélancolie, et portant par-tout le trait mor tel dont il étoit atteint, il retourna quelque temps après à Versailles: mais tout étoit changé pour lui, ou du moins il le crut ainsi ; et Louis XIV un jour ayant passé dans la galerie sans le regarder, Racine, qui n'étoit pas, dit Voltaire, aussi philosophe que bon poëte, en mourut de chagrin (1) après avoir

(1) Le 21 avril 1699.

« AnteriorContinuar »