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qu'il y fesait des progrès. Chaque jour affaiblissait les Français vainqueurs, et fortifiait les Autrichiens. Le prince Charles de Lorraine, frère du grand duc, était dans le milieu de la Bohême avec trente-cinq mille hommes tous les habitants étaient pour lui; il commençait à faire avec succès une guerre défensive, en tenant continuellement son ennemi en alarmes, en coupant ses convois, en le harcelant sans relâche de tous les côtés par des nuées de houssards, de croates, de pandours, et de talpaches. Les pandours sont des Sclavons qui habitent le bord de la Drave et de la Save; ils ont un habit long : ils portent plusieurs pistolets à la ceinture, un sabre et un poignard. Les talpaches sont une infanterie hongroise armée d'un fusil, de deux pistolets, et d'un sabre. Les croates, appelés en France cravates, sont des miliciens de Croatie. Les houssards sont des cavaliers hongrois, montés sur de petits chevaux légers et infatigables : ils désolent des troupes dispersées en trop de postes et peu pourvues de cavalerie. Les troupes de France et de Bavière étaient partout dans ce cas. L'empereur Charles VII avait voulu conserver avec peu de monde une vaste étendue de terrain, qu'on ne croyait pas la reine de Hongrie en état de reprendre; mais tout fut repris, et la guerre fut enfin reportée du Danube au Rhin. Le cardinal de Fleuri, voyant tant d'espérances trompées, tant de désastres qui succédaient à de si heureux commencements, écrivit au général de Kœnigseck une lettre qu'il lui fit rendre par le maréchal de Belle-Isle même : il s'excusait, dans cette lettre, de la guerre entreprise, et il avouait qu'il avait été

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entraîné au-delà de ses mesures. (11 juillet 1742) << Bien des gens savent, dit-il, combien j'ai été opposé « aux résolutions que nous avons prises, et que j'ai «< été en quelque façon forcé d'y consentir. Votre ex«< cellence est trop instruite de tout ce qui se passe, << pour ne pas deviner celui qui mit tout en œuvre « pour déterminer le roi à entrer dans une ligue qui «< était si contraire à mon goût et à mes principes. >>

Pour toute réponse, la reine de Hongrie fit imprimer la lettre du cardinal de Fleuri. Il est aisé de voir quels mauvais effets cette lettre devait produire : en premier lieu, elle rejetait évidemment tout le reproche de la guerre sur le général chargé de négocier avec le comte de Koenigseck, et ce n'était pas rendre la négociation facile que de rendre sa personne odieuse; en second lieu, elle avouait de la faiblesse dans le ministère, et c'eût été bien mal connaître les hommes que de ne pas prévoir qu'on abuserait de cette faiblesse, que les alliés de la France se refroidiraient, et que ses ennemis s'enhardiraient. Le cardinal voyant la lettre imprimée, en écrivit une seconde, dans laquelle il se plaint au général autrichien de ce qu'on a publié sa première lettre, et lui dit << qu'il ne lui écrira plus désormais ce qu'il pense. >> Cette seconde lettre lui fit encore plus de tort que la première. Il les fit désavouer toutes deux dans quelques papiers publics; et ce désaveu, qui ne trompa personne, mit le comble à ses fausses démarches que les esprits les moins critiques excusèrent dans un homme de quatre-vingt-sept ans, fatigué des mau

1 Lisez quatre-vingt-neuf ans; voyez mes notes, pages 37 et 66. B.

vais succès. Enfin, l'empereur bavarois fit proposer à Londres des projets de paix, et surtout des sécularisations d'évêchés en faveur d'Hanovre. Le ministère anglais ne croyait pas avoir besoin de l'empereur les obtenir. On insulta à ses offres en les rendant publiques, et l'empereur fut réduit à désavouer ses offres de paix, comme le cardinal de Fleuri avait désavoué la guerre.

pour

La querelle s'échauffa plus que jamais. La France d'un côté, l'Angleterre de l'autre, parties principales en effet sous le nom d'auxiliaires, s'efforcèrent de tenir la balance à main armée. La maison de Bourbon fut obligée, pour la seconde fois, de tenir tête à presque toute l'Europe.

Le cardinal de Fleuri, trop âgé pour soutenir un si pesant fardeau, prodigua à regret les trésors de la France dans cette guerre entreprise malgré lui, et ne vit que des malheurs causés par des fautes. Il n'avait jamais cru avoir besoin d'une marine: ce qui restait à la France de forces maritimes fut absolument détruit par les Anglais, et les provinces de France furent exposées. L'empereur que la France avait fait fut chassé trois fois de ses propres états.

Les armées françaises furent détruites en Bavière et en Bohême, sans qu'il se donnât une seule grande bataille; et le désastre fut au point, qu'une retraite dont on avait besoin, et qui paraissait impraticable, fut regardée comme un bonheur signalé. (Décembre 1742) Le maréchal de Belle-Isle sauva le reste de l'armée française assiégée dans Prague, et raLa sortie de Prague eut lieu dans la nuit du 16 au 17 décembre

1742. B.

mena environ treize mille hommes de Prague à Égra par une route détournée de trente-huit lieues, au milieu des glaces, et à la vue des ennemis. Enfin la guerre fut reportée du fond de l'Autriche au Rhin.

(29 janvier 1743) Le cardinal de Fleuri mourut au village d'Issi, au milieu de tous ces désastres, et laissa les affaires, de la guerre, de la marine, de la finance, et de la politique, dans une crise qui altéra la gloire de son ministère, et non la tranquillité de

son ame.

Louis XV prit dès-lors la résolution de gouverner par lui-même, et de se mettre à la tête d'une armée. Il se trouvait dans la même situation où fut son bisaïeul dans une guerre nommée, comme celle-ci, la guerre de la succession.

Il avait à soutenir la France et l'Espagne contre les mêmes ennemis, c'est-à-dire contre l'Autriche, l'Angleterre, la Hollande, et la Savoie. Pour se faire une idée juste de l'embarras qu'éprouvait le roi, des périls où l'on était exposé, et des ressources qu'il eut, il faut voir comment l'Angleterre donnait le mouvement à toutes ces secousses de l'Europe.

Voltaire mettait cette retraite de Prague au-dessus de la retraite des dix mille; voyez tome XXXII, page 502, et tome XXXIX, page 66, B.

CHAPITRE VIII.

Conduite de l'Angleterre, de l'Espagne, du roi de Sardaigne, des puissances d'Italie. Bataille de Toulon '.

On sait qu'après l'heureux temps de la paix d'Utrecht, les Anglais, qui jouissaient de Minorque et de Gibraltar en Espagne, avaient encore obtenu de la cour de Madrid des priviléges que les Français ses défenseurs n'avaient pas. Les commerçants anglais allaient vendre aux colonies espagnoles les nègres qu'ils achetaient en Afrique pour être esclaves dans le Nouveau-Monde. Des hommes vendus par d'autres hommes, moyennant trente - trois piastres par tête qu'on payait au gouvernement espagnol, étaient un objet de gain considérable; car la compagnie anglaise, en fournissant quatre mille huit cents nègres, avait obtenu encore de vendre les huit cents sans payer de droits; mais le plus grand avantage des Anglais, à l'exclusion des autres nations, était la permission dont cette compagnie jouit, dès 1716, d'envoyer un vaisseau à Porto-Bello.

Ce vaisseau, qui d'abord ne devait être que de cinq cents tonneaux, fut, en 1717, de huit cent cinquante par convention, mais en effet de mille par abus; ce qui fesait deux millions pesant de marchandises. Ces mille tonneaux étaient encore le moindre objet de ce

1 Ce sommaire est celui de l'exemplaire dont j'ai parlé. Dans toutes les éditions il y a : « Conduite de l'Angleterre. Ce que fit le prince de Conti " en Italie. » B.

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