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Il est vrai que toutes les tentatives n'ont pas été heureuses. Des voyages au bout du monde, pour constater une vérité que Newton avait démontrée dans son cabinet, ont laissé des doutes sur l'exactitude des mesures. L'entreprise du fer brut forgé, ou converti en acier, celle de faire éclore des animaux à la manière de l'Égypte dans des climats trop différents de l'Égypte, beaucoup d'autres efforts pareils, ont pu faire perdre un temps précieux, et ruiner même quelques familles. Mais nous avons dû à ces mêmes entreprises des lumières utiles sur la nature du fer et sur le développement des germes contenus dans les

historien de la nature en répandait le goût parmi les hommes de tous les états et de tous les pays. Les mathématiques ont fait par le génie des Bernouilli, des Euler, des Dalembert, et des La Grange, d'immenses progrès dont Newton et Leibnitz seraient eux-mêmes étonnés. Le calcul des probabilités, qui ne servaient presque dans le siècle dernier qu'à calculer les chances des jeux de hasard, a été appliqué à des questions utiles au bonheur des hommes.

Les principes généraux de la législation, de l'administration des états, ont été découverts, analysés, et développés dans un grand nombre d'excellents ouvrages.

L'art tragique enfin, perfectionné par M. de Voltaire, est devenu un art vraiment moral; il a fait du théâtre une école d'humanité et de philosophie.

Si nous examinons ensuite les progrès des arts, nous compterons au nombre des avantages du même siècle la perfection de l'art de construire les vaisseaux, la méthode de les doubler de cuivre; l'art d'instruire les muets et de les rendre en quelque sorte à la société; les secours établis pour les hommes frappés d'une mort apparente; l'art militaire enfin, dont le génie de Frédéric a fait en quelque sorte une science nouvelle.

Enfin nous avons vu tous les arts mécaniques, toutes les manufactures, toutes les branches de l'agriculture se perfectionner, s'enrichir de méthodes nouvelles, se diriger par des principes plus sûrs et plus simples, fruits d'une application heureuse des sciences à tous les objets de l'industrie humaine. K.

œufs. Des systèmes trop hasardés ont défiguré des travaux qui auraient été très utiles. On s'est fondé sur des expériences trompeuses, pour faire revivre cette ancienne erreur, que des animaux pouvaient naître sans germe. De là sont sorties des imaginations plus chimériques que ces animaux. Les uns ont poussé l'abus de la découverte de Newton sur l'attraction jusqu'à dire que les enfants se forment par attraction dans le ventre de leurs mères. Les autres ont inventé des molécules organiques. On s'est emporté dans ses vaines idées jusqu'à prétendre que les montagnes ont été formées par la mer; ce qui est aussi vrai que de dire que la mer a été formée par les montagnes.

I

Qui croirait que des géomètres ont été assez extravagants pour imaginer qu'en exaltant son ame on pouvait voir l'avenir comme le présent? Plus d'un philosophe, comme on l'a déjà dit ailleurs 2, a voulu, à l'exemple de Descartes, se mettre à la place de Dieu, et créer comme lui un monde avec la parole: mais bientôt toutes ces folies de la philosophie sont réprouvées des sages; et même ces édifices fantastiques, détruits par la raison, laissent dans leurs ruines des matériaux dont la raison même fait usage.

Une extravagance pareille a infecté la morale. Il s'est trouvé des esprits assez aveugles pour saper tous les fondements de la société en croyant la réformer.

* Maupertuis; voyez tome XXXIX, pages 486-87. B.

a Dans la Dissertation sur les changements arrivés dans notre globe (voyez tome XXXVIII, page 573); et dans la Dissertation du physicien de SaintFlour, qui fait partie des Colimaçons (voyez tome XLIV). R.

le tien et le mien

On a été assez fou pour soutenir que sont des crimes, et qu'on ne doit point jouir de son travail; que non seulement tous les hommes sont égaux, mais qu'ils ont perverti l'ordre de la nature en se rassemblant; que l'homme est né pour être isolé comme une bête farouche; que les castors, les abeilles, et les fourmis, dérangent les lois éternelles en vivant en république.

Ces impertinences, dignes de l'hôpital des fous, ont été quelque temps à la mode, comme des singes qu'on fait danser dans les foires.

Elles ont été poussées jusqu'à ce point incroyable de démence, qu'un je ne sais quel charlatan sauvage a osé dire, dans un projet d'éducation *, « qu'un roi << ne doit pas balancer à donner en mariage à son fils « la fille du bourreau, si les goûts, les humeurs, et <«< les caractères, se conviennent.»> La théologie n'a pas été à couvert de ces excès des ouvrages dont la nature est d'être édifiants, sont devenus des libelles diffamatoires, qui ont même éprouvé la sévérité des parlements, et qui devaient aussi être condamnés par toutes les académies, tant ils sont mal écrits.

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1J.-J. Rousseau, dans son Discours sur les fondements de l'inégalité. B. a Ces propres paroles se trouvent dans le livre intitulé Émile, tome IV, page 178.—Voici le texte d'Émile, livre V: « Il y a une telle convenance de goûts, d'humeurs, de sentiments, de caractères, qui devrait engager un père sage, fût-il prince, fût-il monarque, à donner, sans balancer, à son «< fils la fille avec laquelle il aurait toutes ces convenances, fût-elle née dans << une famille déshonnête, fût-elle la fille du bourreau. » Voyez les OEuvres complètes de J.-J. Rousseau, avec notes, par V. D. Musset-Pathay, 1823, tome IV, page 317. B.

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* Le 24 septembre 1756 la chambre des vacations rendit un arrêt portant défense de publier et d'imprimer un mandement de l'archevêque de

Plus d'un abus semblable a infecté la littérature; une foule d'écrivains s'est égarée dans un style recherché, violent, inintelligible, ou dans la négligence totale de la grammaire. On est parvenu jusqu'à rendre Tacite ridicule1. On a beaucoup écrit dans ce siècle; on avait du génie dans l'autre. La langue fut portée, sous Louis XIV, au plus haut point de perfection dans tous les genres, non pas en employant des termes nouveaux, inutiles, mais en se servant avec art de tous les mots nécessaires qui étaient en usage. Il est à craindre aujourd'hui que cette belle langue ne dégénère par cette malheureuse facilité d'écrire que le siècle passé a donnée aux siècles suivants; car les modèles produisent une foule d'imitateurs, et ces imitateurs cherchent toujours à mettre en paroles ce qui leur manque en génie. Ils défigurent le langage, ne pouvant l'embellir. La France surtout s'était distinguée, dans le beau siècle de Louis XIV, par la perfection singulière à laquelle Racine éleva le théâtre, et par le charme de la parole, qu'il porta à un degré d'élégance et de pureté inconnu jusqu'à lui. Cependant on applaudit après lui à des pièces écrites aussi barbarement 2 que ridiculement construites.

Paris (Beaumont), du 19 du même mois, daté de Conflans où le prélat était exilé depuis le 2 décembre 1754; voyez ci-dessus, pages 345, 349, 352, etc. et tome XXVIII, pages 164-165. B.

La Bletterie; voyez, dans les Poésies mélées, tome XIV, l'épigramme qui commence par ce vers:

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C'est contre cette décadence que l'académie française lutte continuellement; elle préserve le bon goût d'une ruine totale, en n'accordant du moins des prix qu'à ce qui est écrit avec quelque pureté, et en réprouvant tout ce qui pèche par le style. Il est vrai que les beaux-arts, qui donnèrent tant de supériorité à la France sur les autres nations, sont bien dégénérés; et la France serait aujourd'hui sans gloire dans ce genre, sans un petit nombre d'ouvrages de génie, tels que le poëme des quatre Saisons, et le quinzième chapitre de Bélisaire, s'il est permis de mettre la prose à côté de la plus élégante poésie. Mais enfin la littérature, quoique souvent corrompue, occupe presque toute la jeunesse bien élevée : elle se répand dans les conditions qui l'ignoraient. C'est à elle qu'on doit l'éloignement des débauches grossières, et la conservation d'un reste de la politesse introduite dans la nation par Louis XIV et Louis XIV et par sa mère. Cette littérature, utile dans toutes les conditions de la vie, console même des calamités publiques, en arrêtant sur dés objets agréables l'esprit qui serait trop accablé de la contemplation des misères humaines.

Par Saint-Lambert. B.

2 Par Marmontel. B.

FIN

DU PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV.

SIÈCLE DE LOUIS XV.

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