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duite, par la séduction aimable de son esprit, qu'on le vît à la tête des affaires. Ce fut le second précepteur qui gouverna la France: il ne prit point le titre de premier ministre, et se contenta d'être absolu. Son administration fut moins contestée et moins enviée

que

celle de Richelieu et de Mazarin, dans les temps les plus heureux de leurs ministères. Sa place ne changea rien dans ses mœurs. On fut étonné que le premier ministre fût le plus aimable et le plus désintéressé des courtisans. Le bien de l'état s'accorda longtemps avec sa modération. On avait besoin de cette paix qu'il aimait ; et tous les ministres étrangers crurent qu'elle ne serait jamais rompue pendant sa vie. Il haïssait tout système parceque son esprit était heureusement borné, ne comprenant absolument rien à une affaire de finances, exigeant seulement des sous-ministres la plus sévère économie; incapable d'être commis d'un bureau, et capable de gouverner l'état.

Il laissa tranquillement la France réparer ses pertes, et s'enrichir par un commerce immense, sans faire aucune innovation, traitant l'état comme un corps puissant et robuste qui se rétablit de lui-même.

Les affaires politiques rentrèrent insensiblement dans leur ordre naturel. Heureusement pour l'Europe

C'est encore dans cet exemplaire que se trouve la phrase qui termine l'alinéa, et qui n'avait pas encore paru. B.

a Dans quelques livres étrangers, on a confondu le cardinal de Fleuri avec l'abbé Fleuri, auteur de l'Histoire de l'Église, et des excellents discours qui sont si au-dessus de son histoire. Cet abbé Fleuri fut confesseur de Louis XV: mais il vécut à la cour inconnu ; il avait une modestie vraie, et l'autre Fleuri avait la modestie d'un ambitieux habile,

le premier ministre d'Angleterre, Robert Walpole, était d'un caractère aussi pacifique; et ces deux hommes continuèrent à maintenir presque toute l'Europe dans ce repos qu'elle goûta depuis la paix d'Utrecht jusqu'en 1733; repos qui n'avait été troublé qu'une fois par les guerres passagères de 1718 et de 1726: Ce fut un temps heureux pour toutes les nations qui, cultivant à l'envi le commerce et les arts, oublièrent toutes leurs calamités passées.

En ces temps-là se formaient deux puissances dont l'Europe n'avait point entendu parler avant ce siècle. La première était la Russie, que le czar Pierre-le-Grand avait tirée de la barbarie. Cette puissance ne consistait avant lui que dans des déserts immenses et dans un peuple sans lois, sans discipline, sans connaissances, tel que de tout temps ont été les Tartares. Il était si étranger à la France, et si peu connu, que, lorsqu'en 1668 Louis XIV avait reçu une ambassade moscovite, on célébra par une médaille cet événement, comme l'ambassade des Siamois.

Cet empire nouveau commença à influer sur toutes les affaires, et à donner des lois au Nord après avoir abattu la Suède. La seconde puissance, établie à force d'art, et sur des fondements moins vastes, était la Prusse. Ses forces se préparaient et ne se déployaient pas encore.

La maison d'Autriche était restée à peu près dans l'état où la paix d'Utrecht l'avait mise. L'Angleterre conservait sa puissance sur mer, et la Hollande perdait insensiblement la sienne. Ce petit état, puissant le peu d'industrie des autres nations, tombait en

par

décadence, parceque ses voisins fesaient eux-mêmes le commerce dont il avait été le maître. La Suède languissait; le Danemark était florissant; l'Espagne et le Portugal subsistaient par l'Amérique ; l'Italie, toujours faible, était divisée en autant d'états qu'au commencement du siècle, si on excepte Mantoue, devenue patrimoine autrichien.

La Savoie donna alors un grand spectacle au monde et une grande leçon aux souverains. Le roi de Sardaigne, duc de Savoie, ce Victor-Amédée, tantôt allié, tantôt ennemi de la France et de l'Autriche, et dont l'incertitude avait passé pour politique, lassé des affaires et de lui-même, abdiqua par un caprice, en 1730, à l'âge de soixante-quatre ans, la couronne qu'il avait portée le premier de sa famille, et se repentit par un autre caprice un an après. La société de sa maîtresse, devenue sa femme, la dévotion, et le repos, ne purent satisfaire une ame occupée pendant cinquante ans des affaires de l'Europe. Il fit voir quelle est la faiblesse humaine, et combien il est difficile de remplir son cœur sur le trône et hors du trône. Quatre souverains, dans ce siècle, renoncèrent à la couronne; Christine, Casimir, Philippe V, et Victor-Amédée. Philippe V ne reprit le gouvernement que malgré lui; Casimir n'y pensa jamais; Christine en fut tentée quelque temps par un dégoût qu'elle eut à Rome; Amédée seul voulut remonter par la force sur le trône que son inquiétude lui avait fait quitter. La suite de cette tentative est connue. Son fils, Charles-Emmanuel, aurait acquis une gloire au-dessus des couronnes, en remettant à son père celle qu'il tenait de lui,

si ce

père seul l'eût redemandée, et si la conjoncture des temps l'eût permis; mais c'était, dit-on, une maîtresse ambitieuse qui voulait régner, et tout le conseil a prétendu être 1 forcé d'en prévenir les suites funestes, et de faire arrêter celui qui avait été son souverain. Il mourut depuis en prison, en 1732. Il est très faux que la cour de France voulut envoyer vingt mille hommes pour défendre le père contre le fils, comme on l'a dit dans des mémoires de ce temps-là. Ni l'abdication de ce roi, ni sa tentative pour reprendre le sceptre, ni sa prison, ni sa mort, ne causèrent le moindre mouvement chez les nations voisines. Ce fut un terrible événement qui n'eut aucune suite 2. Tout

On lisait dans toutes les éditions : « le conseil fut forcé, » etc. Le texte que je donne est celui de l'exemplaire dont j'ai parlé dans ma Préface. B.

2 Victor Amédée avait un fils aîné qui, rempli de qualités aimables, en fesait espérer de brillantes. Il mourut à dix-sept ans. Sa mort plongea son père dans un désespoir qui fit craindre pour sa vie. Cependant son courage triompha de sa douleur. Il s'occupa de son second fils, que jusque là il avait négligé, et traité même avec dureté, parceque l'extérieur peu avantageux de ce prince l'humiliait, et que sa douceur et sa timidité naturelles, qualités trop opposées au caractère impétueux du roi Victor, lui paraissaient annoncer un défaut d'activité et de courage. Il donna cependant tous ses soins à l'instruction de ce fils, le seul qui lui restât; sans cesse il l'occupait à passer en revue ou à faire manœuvrer ses régiments, à lever le plan de toutes ses places; il lui fit apprendre tous les détails des manufactures établies dans ses états, lui développa tous ses projets de finance et de législation, les motifs de ce qu'il avait fait, le succès heureux ou malheureux de toutes ses tentatives pour rendre son pays florissant; et lorsqu'il le crut assez instruit, il le fit travailler avec lui dans toutes les affaires, n'en décidant aucune qu'après l'avoir discutée avec le prince Charles. Mais il continuait de le traiter avec la même dureté, ne lui laissant aucune liberté; pas même, après son second mariage, celle de vivre à son gré avec sa femme. Vers la fin de 1729 Victor forma le projet d'abdiquer; il croyait son fils en état de gouverner: l'Europe était en paix. L'on pouvait espérer que cette paix durerait quelques *années; et il ne voulait pas exposer son état à n'avoir pour chef, pendant

ce qu'on peut dire, c'est qu'il est triste princes chrétiens que Mahomet second ait

pour les rendu la

la guerre qu'il prévoyait pour un temps plus éloigné, qu'un jeune prince encore sans expérience, ou un vieillard abattu par l'âge et par les infirmités. Il ne se trouvait plus ni la mème activité pour le travail, ni la mème netteté d'esprit; il sentait qu'il n'avait plus la force de dompter son hu

meur.

Il avait toujours mené une vie simple, se montrant supérieur à l'étiquette de la grandeur, comme au faste et à la mollesse. Il imagina qu'il coulerait des jours tranquilles dans sa retraite avec la marquise de Saint-Sébastien, dame d'honneur de la princesse de Piémont, qu'il prit la résolution d'épouser. Il n'avait jamais été son amant, et elle avait quarante - cinq ans, mais souvent trompé par des femmes, il avait des preuves de la vertu de madame de Saint-Sébastien, et avait pris insensiblement du goût pour elle dans de fréquents tête-à-tête, où ils examinaient ensemble les plus secrets détails du ménage du prince, sur lesquels un violent desir d'avoir de la postérité donnait au roi Victor une curiosité singulière. Il ne mit point madame de Saint-Sébastien dans la confidence de son abdication, l'épousa en secret le 12 auguste 1730, et abdiqua le 3 septembre, ne se réservant qu'une pension de cinquante mille écus.

Il recommanda à son fils le prince de Saint-Thomas, ancien ministre, sujet fidèle, et bon citoyen; Rebender, général allemand, qu'il venait de faire maréchal; et le marquis d'Ormea, alors ambassadeur à Rome. D'Ormea était un homme sans naissance, que Victor-Amédée, qui lui trouvait de l'adresse, avait tiré de la misère. Ce ministre lui avait rendu le service de terminer des différents avec la cour de Rome, qui avaient duré une grande partie de son règne, et d'obtenir d'elle un concordat plus favorable que Victor n'eût pu l'espérer. Il ne savait pas que d'Ormea ayant prodigué l'argent au cardinal Coscia (Cuisse), qui gouvernait Benoît XIII, Coscia avait fait lire un concordat au pape, et lui en avait fait signer un autre. Le marquis d'Ormea, rappelé de Rome, et placé dans le ministère, forma dès son arrivée le projet d'ètre le maître. Il craignait peu les autres ministres, qu'il parvint bientôt à rendre suspects ou inutiles; mais le roi Victor était un obstacle à son ambition; on lui envoyait tous les jours un bulletin qui renfermait la note de tout ce que les différents bureaux avaient fait, et dans les affaires importantes, son fils paraissait ne décider que d'après lui.

L'hiver qui suivit son abdication, le roi Victor eut une attaque d'apoplexie dont il resta défiguré. Son fils n'alla point le voir parceque lui-même s'y opposa; mais il lui écrivit pour l'engager à choisir sa retraite en Piémont,

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