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DU

SIÈCLE DE LOUIS XV.

CHAPITRE I.

Tableau de l'Europe après la mort de Louis XIV.

Nous avons donné avec quelque étendue une idée du siècle de Louis XIV, siècle des grands hommes, des beaux arts, et de la politesse : il fut marqué, il est vrai, comme tous les autres, par des calamités publiques et particulières, inséparables de la nature humaine; mais tout ce qui peut consoler les hommes dans la misère de leur condition faible et périssable semble avoir été prodigué dans ce siècle. Il faut voir maintenant ce qui suivit ce règne, orageux dans son commencement, brillant du plus grand éclat pendant cinquante années, mêlé ensuite de grandes adversités et de quelque bonheur, et finissant dans une tristesse assez sombre, après avoir commencé dans des factions turbulentes.

Louis XV était un enfant orphelin. (septembre 1715) Il eût été trop long, trop difficile, et trop dangereux, d'assembler les états-généraux pour régler les prétentions à la régence. Le parlement de Paris

~SIÈCLE DE LOUIS XV.

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l'avait déjà donnée à deux reines : il la donna au duc d'Orléans. Il avait cassé le testament de Louis XIII: il cassa celui de Louis XIV 2. Philippe, duc d'Orléans, petit-fils de France, fut déclaré maître absolu par ce même parlement qu'il envoya bientôt après en exil a.

(1715) Pour mieux sentir par quelle fatalité aveugle les affaires de ce monde sont gouvernées, il faut remarquer que l'empire ottoman, qui avait pu attaquer l'empire d'Allemagne pendant la longue guerre de 1701, attendit la conclusion totale de la paix générale pour faire la guerre contre les chrétiens. Les Turcs s'emparèrent aisément, en 1715, du Pélopo

I Marie de Médicis en 1610; voyez tome XVIII, page 170; et tome XXII, page 212; et Anne d'Autriche, voyez tome XIX, page 269; et tome XXII, page 253. B.

2 Voyez tome XXII, page 282 et suiv. B.

a

Après tous les absurdes mensonges qu'on a été forcé de relever dans les prétendus Mémoires de madame de Maintenon, et dans les notes de La Beaumelle, insérées dans son édition du Siècle de Louis XIV, à Francfort, le lecteur ne sera point surpris que cet auteur ait osé avancer que la grand'salle était remplie d'officiers armés sous leurs habits. Cela n'est pas vrai ; j'y étais; il y avait beaucoup plus de gens de robe et de simples citoyens que d'officiers. Nulle apparence d'aucun parti, encore moins de tumulte. Il eût été de la plus grande folie d'introduire des gens apostés avec des pistolets, et de révolter les esprits, qui étaient tous disposés en faveur du duc d'Orléans. Il n'y avait autour du palais où l'on rend la justice qu'un détachement des gardes françaises et suisses. Cette fable que la grand'salle était pleine d'officiers armés sous leurs habits est tirée des Mémoires de la régence et de la Vie de Philippe, duc d'Orléans, ouvrages de ténèbres, imprimés en Hollande, et remplis de faussetés.

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L'auteur des Mémoires de Maintenon avance que « le président Lubert, le étaient « premier président de Maisons, et plusieurs membres de l'assemblée,

prêts de se déclarer contre le duc d'Orléans.

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Il y avait en effet un président de Lubert, mais qui n'était que président aux enquêtes, et qui ne se mêlait de rien. Il n'y a jamais eu de premier

nèse, que le célèbre Morosini, surnommé le Péloponésiaque, avait pris sur eux vers la fin du dix-septième siècle, et qui était resté aux Vénitiens par la paix de Carlovitz. L'empereur, garant de cette paix, fut obligé de se déclarer contre les Turcs. Le prince Eugène, qui les avait déjà battus autrefois à Zenta, passa le Danube, et livra bataille près de Pétervaradin, au grand vizir Ali, favori du sultan Achmet III, et remporta la victoire la plus signalée (le 5 auguste 1716).

Quoique les détails n'entrent point dans un plan général, on ne peut s'empêcher de rapporter ici l'action d'un Français célèbre par ses aventures singulières. Un comte de Bonneval, qui avait quitté le service de France sur quelques mécontentements du ministère, major-général alors sous le prince Eugène,

président de Maisons. C'était alors Claude de Mesmes, du nom d'Avaux, qui avait cette place; M. de Maisons, beau-frère du maréchal de Villars, était président à mortier, et très attaché au duc d'Orléans. C'était chez lui que le marquis de Canillac avait arrangé le plan de la régence avec quelques autres confidents du prince. Il avait parole d'être garde des sceaux, et mourut quelque temps après. Ce sont des faits publics dont j'ai été témoin, et qui se trouvent dans les Mémoires manuscrits du maréchal de Villars.

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Le compilateur des Mémoires de Maintenon ajoute à cette occasion que, dans le traité de Rastadt, fait par le maréchal de Villars et le prince Eugène, «< il y a des articles secrets qui excluent le duc d'Orléans du trône. »> Cela est faux et absurde: il n'y eut aucun article secret dans le traité de Rastadt : c'était un traité de paix authentique. On n'insère des articles secrets qu'entre des confédérés qui veulent cacher leurs conventions au public. Exclure le duc d'Orléans en cas de malheur, c'eût été donner la France à Philippe V, roi d'Espagne, compétiteur de l'empereur Charles VI, avec lequel on traitait: c'eût été détruire l'édifice de la paix d'Utrecht auquel on donnait la dernière main, outrager l'empereur, renverser l'équilibre de l'Europe. On n'a jamais rien écrit de plus absurde.

se trouva dans cette bataille entouré d'un corps nombreux de janissaires; il n'avait auprès de lui que deux cents soldats de son régiment; il résista une heure entière; et ayant été abattu d'un coup de lance, dix soldats qui lui restaient le portèrent à l'armée victorieuse. Ce même homme, proscrit en France, vint ensuite se marier publiquement à Paris; et, quelques années après, il alla prendre le turban à Constantinople, où il est mort bacha.

Le grand-vizir Ali fut blessé à mort dans la bataille. Les mœurs turques n'étaient pas encore adoucies; ce vizir, avant d'expirer, fit massacrer un général de l'empereur qui était son prisonniera.

(1717.) L'année d'après, le prince Eugène assiégea Belgrade, dans laquelle il y avait près de quinze mille hommes de garnison: il se vit lui-même assiégé par une armée innombrable de Turcs, qui avançaient contre son camp, et qui l'environnèrent de tranchées : il était précisément dans la situation où se trouva César en assiégeant Alexie 1; il s'en tira comme lui : il battit les ennemis et prit la ville; toute son armée devait périr; mais la discipline militaire triompha de la force et du nombre.

(1718) Ce prince mit le comble à sa gloire par la paix de Passarovitz, qui donna Belgrade et Témesvar à l'empereur; mais les Vénitiens, pour qui on avait fait la guerre, furent abandonnés, et perdirent la Grèce sans retour.

a Il s'appelait Breûner (1763).

▾ Alesia Mandubiorum, Alise, aujourd'hui Sainte-Reine, gros bourg du département de la Côte-d'Or. CL.

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