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NOTICE

SUR

LES MANUSCRITS ET LES ÉDITIONS

DU TÉLÉMAQUE.

PAR

ARMI ceux qui ont écrit sur la bibliographie du Telemaque, la plupart n'ayant point été à portée de consulter les manuscrits, se sont bornés à comparer les éditions; quelques-uns ont compulsé le manuscrit original, mais n'ont pas connu les copies corrigées de la main de l'auteur; d'autres enfin s'en sont ordinairement rapportés à leurs devanciers, sans examiner à fond par eux-mêmes, si ce qui en avoit été dit est entièrement exact. Nous n'avons pas cru devoir faire comme ces derniers. Ayant observé, depuis le commencement de notre édition des OEuvres de Fénelon, avec quelle négligence ses autres écrits avoient été imprimés jusqu'ici, notre défiance a dû redoubler lorsqu'il s'est agi du Télémaque, surtout quand nous avons aperçu tant de discordance entre les éditions les plus accréditées. Il a donc été indispensable de collationner les manuscrits, de les comparer entre eux et avec les meilleurs imprimés. Quoique ce travail ait exigé un temps considérable, nous ne regrettons point celui que nous y avons employé, puisque nous en avons recueilli une multitude d'observations curieuses, et qui ont échappé aux éditeurs précédens. Nous allons en rendre compte, aussi brièvement que peuvent le comporter les différens détails dans lesquels nous devons entrer.

FENELON. XX.

a

Pour mettre un certain ordre dans ce que nous avons à
dire, nous parlerons en premier lieu des manuscrits du
Télémaque; 2o des éditions furtives et faites sans l'aveu
de l'auteur; 3° des éditions authentiques publiées depuis
sa mort; 4o des traductions; 5o enfin des critiques.

I. DES MANUSCRITS DU TÉLÉMaque.

Voltaire assure (1) que Fénelon « ne fit cet ouvrage,
» que lorsqu'il fut relégué dans son archevêché de Cam-
» brai. Plein de la lecture des anciens, ajoute-t-il, et né
» avec une imagination vive et tendre, il s'étoit fait un
» style qui n'étoit qu'à lui, et qui couloit de source avec
» abondance. J'ai vu son manuscrit original; il n'y a pas
» dix ratures. Il le composa en trois mois, au milieu de ses
» malheureuses disputes sur le quiétisme; ne se doutant
» pas combien ce délassement étoit supérieur à ses occu-
»pations. » On ne peut s'écarter davantage de la vérité,
que Voltaire le fait dans ce peu de lignes. D'abord on sait
positivement que Fénelon s'occupoit du Télémaque dès
1693 ou 1694, puisqu'il en communiqua le commence-
ment à Bossuet dans le temps de leur étroite liaison, qui
avoit souffert quelque altération dès le commencement
de 1695: et quant aux dix ratures du manuscrit original,
chacun peut se convaincre, soit par ses propres yeux, s'il
veut l'examiner à la Bibliothèque du Roi, soit seulement
par la description que nous en donnerons tout-à-l'heure,
combien l'assertion de Voltaire est dénuée de fondement. Un
Mémoire écrit de la propre main de Fénelon, donne, sur
la composition du Télémaque, des détails qui achèvent de
détruire ce qu'avance ici l'historien de Louis XIV. « C'est,
» dit Fénelon (2), une narration faite à la hâte, à morceaux
» détachés, et par diverses reprises: il y auroit beaucoup

(1) Siècle de Louis XIV, chap. xxx11; des Beaux-arts.

() Voyez l'extrait de ce Mémoire dans l'Hist. de Fénelon; liv. iv,
n, 5: tom. II, pag. 40, troisième édit.

» à corriger; de plus, l'imprimé n'est pas conforme à mon » original. J'ai mieux aimé le laisser paroître informe et dé» figuré, que de le donner tel que je l'ai fait. Je n'ai jamais » songé qu'à amuser M. le duc de Bourgogne, et à l'instruire » en l'amusant, sans vouloir jamais donner cet ouvrage au » public. Tout le monde sait qu'il ne m'a échappé que par » l'infidélité d'un copiste. » Mais si l'on pouvoit douter de la vérité de ce que dit Fénelon, qu'il a fait le Télémaque à morceaux détachés et par diverses reprises, l'aspect seul du manuscrit original suffiroit pour le prouver : et ce que nous dirons des copies achèvera la démonstration.

Le manuscrit original est composé de quatre cent cinquante-trois feuillets de papier à lettre in-4o, de deux grandeurs différentes. Le plus court finit au feuillet 229, par ces mots du livre xi (ou xIII), vers le milieu, qui s'est livré à eux pour toutes ses affaires. Il est tout écrit à mi-marge, de suite, et sans division de livres. Le commencement est d'une écriture assez fine; le caractère est plus gros vers le milieu, et continue ainsi jusqu'à la fin: mais la différence des plumes et de l'encre dont s'est servi l'auteur, se fait souvent apercevoir. Il y a un grand nombre de ratures et de surcharges entre les lignes; et sur la marge beaucoup d'additions, qui la couvrent quelquefois entièrement. On trouve dans ce manuscrit deux additions faites après coup; elles sont écrites à longues lignes. L'une, de quatre feuillets, au livre x (ou xII), entre les fol. 191 et 192, a été détachée d'une copie dont nous parlerons bientôt; l'autre, de neuf feuillets écrits et un blanc, est à la fin du livre xvii (ou XXIII), entre les fol. 431 et 432 (1).

(1) Le manuscrit original du Télémaque et celui de l'Examen de Conscience pour un Roi ont été donnés par la famille de Fénelon à la Bibliothèque du Roi, on ne sait pas bien à quelle époque; mais ce fut après la mort du marquis de Fénelon, arrivée le 11 octobre 1746. On les a reliés tous deux ensemble en maroquin rouge, et on a mis à la tête un assez beau portrait de Fénelon peint en miniature, sur vélin. La reliure ne remonte guère au-delà de 1780.

à

Dans l'état où est ce manuscrit, comme on ne pouvoit plus, en beaucoup d'endroits, y rien écrire ni corriger, Fénelon en fit tirer une copie. Elle est sur papier in-4o, pages pleines, en gros caractères, et d'une écriture fort nette (1). Cette copie, qu'on avoit réunie aux autres manuscrits destinés à servir pour l'édition des OEuvres de Fénelon, in-4°, commencée vers 1780, a été soustraite pendant la révolution. La Bibliothèque du Roi en a fait l'acquisition depuis quelques années. Celui qui la vendit l'attribuoit à un abbé Porée, qu'on dit avoir été secrétaire du prélat; mais c'est une supposition que l'examen de la copie dément tout-à-fait. Le copiste n'avoit d'autre mérite que son écriture: du reste, sans aucune teinture de la grammaire ni de l'orthographe; d'un esprit si bouché et d'une si crasse ignorance, qu'il a fait des fautes que le bon sens auroit dû lui faire éviter. Ainsi il a écrit présente pour persécute; s'emplissoient pour s'aplanissoient; farces pour faons; vaisseau pour ruisseau; tenir pour tarir; imiter pour irriter; demeurez pour devenez; plaie pour pluie. Ces exemples suffisent, sans citer des noms propres, qu'il a encore plus estropiés. De plus il a souvent omis des mots, et même des lignes entières; de sorte que l'auteur, n'ayant pas toujours son original sous les yeux quand il revoyoit cette copie, étoit obligé, pour rétablir le sens, de faire beaucoup de corrections, qui, quelquefois, donnent une leçon moins bonne que sa première composition.

Mais outre ces changemens nécessités par les fautes du copiste, Fénelon a fait sur cette copie une multitude de corrections et de courtes additions, pour perfectionner son ouvrage. Le nombre des unes et des autres s'élève à plus de sept cents. On doit surtout remarquer trois additions

(1) Nous avons de la même main la copie d'une partie du traité de l'Existence de Dieu, et de quelques autres écrits de l'archevêque de Cambrai.

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