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souverains. Ils étaient infirmes et prisonniers, et vous ne les avez pas visités. Et alors qu'ils aspiraient à la vraie liberté qui convient à des hommes et à des enfants de Dieu, vous les avez déçus, vous les avez emprisonnés davantage encore, nivelés et moulés dans vos institutions soi-disant égalitaires; vous leur avez enlevé la dignité de leur àme, leur conscience, leur caractère, pour en faire des esclaves, presque des choses, rouages inconscients du mécanisme social organisé par vous, pour vous, contre eux et contre moi.

En vérité, je vous le dis, quand vous avez agi de la sorte à l'égard de ces petits, c'est moi que vous avez affamé, isolé, trompé, empoisonné, méprisé, exploité, rendu esclave. Vous m'avez voulu mettre à mort en voulant tuer leurs âmes, à qui mon sang avait rendu la vie. Pour eux, que vous avez séduits, je serai indulgent. Pour vous je serai sans miséricorde. Allez, maudits, allez au feu éternel.

Ainsi le Christ aura sa revanche; et à ceux qui comme lui auront été sur la terre injustement jugés et condamnés, ce sera une légitime jouissance d'assister à cette solennelle réhabilitation.

Mais ce serait pour eux une bien plus belle vengeance, et une bien plus désirable satisfaction, s'ils pouvaient dès maintenant voir ces malheureux, se juger eux-mêmes, se repentir et réparer leurs fautes en se soumettant eux et les sociétés qu'ils gouvernent à Jésus-Christ, Roi et souverain Sei. gneur. Au lieu d'être les fléaux de l'humanité ils en deviendraient les sauveurs en la faisant rentrer dans l'orde voulu par Dieu. Car Dieu veut que l'humanité soit soumise à JésusChrist; que l'humanité vive de Jésus-Christ et pour lui, qu'elle vive de son amour et de son cœur; qu'elle accepte ses doctrines et sa direction; qu'elle le glorifie par son obéissance; et que sous ce chef parfait elle poursuive régulièrement ses destinées jusqu'à la suprème béatitude de la fin dernière.

Telle est la volonté de Dieu. Si les hommes, par leur malice et pour leur malheur, empèchent cette volonté d'être effectuée dans la vie présente, elle le sera infailliblement dans la vie future. Car la Providence divine ne peut être frustrée de son but. Il faut que la sainte Eglise atteigne sa forme définitive, et que Jésus-Christ règne : Oportet illum regnare. L'abbé L. PETIT

MISSION DES FF. MM. CAPUCINS

EN MESOPOTAMIE

(Suite) (1)

VI

La moderne Malatia, ville de l'Arménie seconde ou mineure, est située non loin des ruines de l'ancienne Mélitène, où le christianisme florissant des les temps apostoliques fournit à l'Eglise, pendant les premiers siècles, tant de martyrs et d'illustres confesseurs de la foi. Mélitène, garnison d'une légion romaine, reçut de l'empereur Trajan le titre de métropole. Elle donna le jour à saint Polyeucte, premier martyr de l'Arménie, à saint Méléce le Grand, très célèbre Evêque d'Antioche, à Saint-Euthyme, Archimandrite de la Palestine; saint Cyrille de Jérusalem assista au Concile tenu à Mélitène, vers la moitié du IVe siècle et dont les actes sont perdus (2).

Les familles chrétiennes du rite arménien de la moderne Malatia ont toutes suivi le schisme jusqu'à une époque assez récente; s'il ne fut pas le premier à rallumer en cette ville le flambeau de la foi catholique (3), l'abbé Léonce Korkoruni fut à coup sur le premier continuateur de cette magnifique entreprise. Après avoir ramené au sein de l'Eglise catholique un nombre considérable de ces familles, l'abbé Korkoruni fut sacré Evèque de Malatia. Peu s'en fallut que la discorde ne se glissàt au milieu de ce troupeau. Différents motifs y contribuèrent, en particulier le caractère personnel

(1) Voir le fascicule de septembre 1900.

(2) Sozomène.

(3) Le premier fut le prêtre Giovanni Ulughian, qui avait abjuré le Schisme. Il fut aidé dans cette œuvre de la conversion de ses compatriotes de Malatia et de Karput par l'appui moral de M. Mil agent consulaire de France.

du Prélat et la préférence exclusive qu'il accorda dans les affaires administratives à la famille Kondilek. Plusieurs ayant sérieusement menacé de passer au protestantisme, Mer Korkoruni adressa d'instantes supplications au Délégué apostolique, Nicolas Castelles, le priant d'envoyer des Missionnaires Capucins à qui l'on confierait les familles chancelantes dans la foi. Le P. Ange de Villarubbia lui fut donc envoyé en 1867; il eut pour successeur, quelques mois plus tard, le P. Nicolas de Nicosie, à qui la Mission de Malatia doit sa fondation définitive.

Monseigneur, paraît-il, se repentit d'avoir appelé les Missionnaires et de pénibles questions furent soulevées, dont le débat dura jusqu'en 1882. Cette année-là, la Sacrée Congrégation coupa court à toute controverse ; les quinze familles, confiées dans le principe aux Missionnaires par l'Evêque, demandèrent et obtinrent de passer définitivement sous la juridic

tion des Latins.

Le 26 juillet de la même année, il parut un décret viziriel - qui le provoqua? on n'en sait rien, en vertu duquel les catholiques latins orientaux de Malatia et de Mardin, étaient soumis, sous le rapport civil et religieux, aux ordinaires d'Orient, vu que la Sublime Porte ne reconnaissait pas l'existence légale des communautés religieuses du culte latin. De là de nouveaux ennuis pour les Missionnaires et pour les fidèles.

Pour en finir avec toutes les plaintes et toutes les récriminations, l'auteur de ce récit persuada à Ms Korkoruni, au mois d'août 1883, d'accepter un accommodement dans l'intérêt commun des âmes. Celui-ci lui remit un document qu'il devait soumettre à l'approbation du Cardinal préfet de la Propagande. Porteur de cette pièce, il vint à Rome et fut chargé par le Cardinal Siméoni, d'heureuse mémoire, d'étudier la question. Le 25 janvier 1884, il présenta un rapport à la Sacrée Congrégation. Après avoir exposé les faits, il relevait les inconvénients du passage au rite latin, pour ceux qui se convertiraient dans la suite. Mais il demandait en même temps que, dans certains cas, ils eussent la faculté d'être agrégés par les missionnaires à l'Eglise catholique, sans toutefois changer de rite. Sujets de droit de leurs Or

dinaires respectifs, ils seraient seulement administrés de fait par la Mission latine. Les choses se passaient ainsi dans les lieux où il n'y avait pas de prètres de leur rite et où l'administration provisoire des Latins ne les soustrayait pas à leur juridiction respective. La réponse de la Sacrée Congrégation (1 juin 1885) traça sous ce rapport une règle pratique et sure. A partir de ce moment, il y eut chaque année à Malatia quelques conversions et aujourd'hui la paroisse de la mission compte environ 350 àmes, reconnues par un décret spéciale du Saint-Siège (1894) comme appartenant au rite latin depuis la promulgation de la Constitution Apostolique «Orientalium dignitas Ecclesiarum.

L'église de Malatia fut construite en 1884. Elle était fréquentée par les dissidents eux-mêmes, avides d'entendre l'éloquente parole du P. Apollinaire de Tretto, (1) qui fut curé de cette station pendant vingt ans. Cette église, la résidence des Missionnaires et les écoles avoisinantes ont été réduites en cendres pendant le pillage de 1895. Ce pillage et les massacres qui l'accompagnèrent donnèrent lieu, comme ailleurs du reste, à d'horribles scènes de dévastation et de sang.

Auparavant déjà, Malatia qu'enrichissent ses produits et son commerce, avait été le point de mire de la jalousie des Tures. Ils ne voyaient pas sans déplaisir la prospérité des Arméniens, qui aspiraient à l'autonomie. C'était là, pour eux, un grand sujet d'épouvante. Dans l'espace de quelques années, les vastes bazars de Malatia furent incendiés à deux reprises par les Turcs, dont le but était d'appauvrir les chrétiens. Peu de temps après ces désastres, c'est-à-dire au mois de mars 1893, de formidables tremblements de terre ruinèrent plusieurs quartiers de la ville et des centaines de victimes furent ensevelies sous les murailles des maisons écroulées. Ces quartiers désolés s'étaient à peine relevés de leurs ruines, que les ordres du massacre édictés par le gouvernement remplirent de nouveau la malheureuse cité d'épouvante et de carnage.

(1) Ce religieux et ses compagnons, P. Louis Antoine d'Orgueil et Fr. Isidore ont été, en 1893, l'objet d'une tentative criminelle inspirée par la vengeance. On mit du poison dans leur soupe et leur vie fut gravement compromise. Il leur est toujours resté de cet empoisonnement un malaise dont ils n'ont pu se débarrasser.

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Malatia est située au fond d'une onduleuse vallée. Les montagnes voisines la ceignent comme d'une couronne et d'innombrables sources d'eau vive arrosent cette terre d'une étonnante fertilité. Des jardins potagers et des vergers, plantés de peupliers, de muriers et d'abricotiers (1) et d'arbres fruitiers de toute espèce entourent les maisons isolées les unes des autres et donnent à cette cité les airs riants d'une ville grandiose. Les pillards Turcs, venus par milliers, pour voler, tuer, incendier, eurent beau jeu à travers les jardins, les vergers, les plantations, les bosquets, et les haies. Cinq cents maisons chrétiennes et des plus belles devinrent la proie des flammes, une fois que leurs habitants eurent été dépouillés et mis à mort. Plus de mille personnes furent tuées; les blessures ou l'épouvante en fit mourir un grand nombre et ceux qui survécurent furent réduits à la misère noire.

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Le gouverneur de Malatia, exécuteur implacable des ordres et des intentions de son propre gouvernement, trahit son obligation de protéger les Missionnaires, qui n'étaient point ses sujets. Les bandes dévastatrices des Kurdes s'approchaient menaçantes: les PP. Célestin de Desio, Benoit de Mezeré et F. Isidore d'Alatri, après avoir dans ce pressant danger, consommé les saintes espèces en viatique, sortirent de chez eux à la garde de Dieu. Le long de la route, ils eurent à subir toute sorte d'insultes. On les relégua dans la caserne militaire avec quantité d'autres chrétiens, et ils coururent le danger d'y mourir de faim. On, avait, paraît-il, formé le projet de se débarrasser d'eux sur l'avis d'un seigneur turc. Voici en quels termes il avait formulé son sentiment : « Il faut mettre à mort ces Français, ils sont les seuls étrangers qui puissent mettre l'Europe au courant de nos faits et gestes. » Mais Dieu veillait à la conservation de ses serviteurs.

L'Ambassadeur français à Constantinople, l'énergique M. Cambon, se rappela en ces jours que la France avait des Missionnaires à protéger à Malatia. Par dépêche télégraphique, il demanda compte au brutal gouverneur de sa conduite envers les Missionnaires, ses protégés. Celui-ci

(1) L'abricotier est un arbre originaire de Mélitène. Le parfum et la délicatess de son fruit font qu'il est très recherché dans les provinces de Tempire.

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