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l'auteur critiqué, qui corrigea, dans la seconde édition d'Andromaque, quelques négligences de style, et laissa néanmoins subsister certains tours nouveaux, que Subligny mettoit au nombre des fautes de style, et qui, ayant été approuvés depuis comme tours heureux, sont devenus familiers à notre langue. Les critiques les plus sérieuses contre cette pièce tombèrent sur le personnage de Pyrrhus, qui parut au grand Condé trop violent et trop emporté, et que d'autres accusèrent d'être un malhonnête homme, parcequ'il manque de parole à Hermione. L'auteur, au lieu de répondre à une critique si peu solide, entreprit de faire dans sa tragédie suivante le portrait d'un parfaitement honnête homme. C'est ce que Boileau donne à penser quand il dit à son ami, en lui représentant l'avantage qu'on retire des critiques:

Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance;

Et ta plume peut-être aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.

La comédie des Plaideurs précéda Britannicus, et parut en 1668. En voici l'origine :

Mon père avoit enfin obtenu un bénéfice, puisque le privilège de la première édition d'Andromaque, qui est du 28 décembre 1667, est accordé au sieur Racine, prieur de l'Épinay titre qui ne lui est plus donné dans un autre privilège accordé quelques mois après, parcequ'il n'étoit déja plus prieur. Boileau le fut huit ou neuf ans; mais quand il reconnut qu'il n'avoit point de dispositions

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cueil en deux vol. in-12 de Dissertations sur plusieurs tragédies de Corneille et de Racine, publié par l'abbé Granet. Subligny donna des leçons de versification à la célébre comtesse de La Suze. On a de lui une traduction des fameuses Lettres portugaises, la Fausse Clélie, roman médiocre, et plusieurs opuscules pour et contre Racine.

pour l'état ecclésiastique, il se fit un devoir de remettre le bénéfice entre les mains du collateur; et pour remplir un autre devoir encore plus difficile, après avoir calculé ce que le prieuré lui avoit rapporté pendant le temps qu'il l'avoit possédé, il fit distribuer cette somme aux pauvres, et principalement aux pauvres du lieu rare exemple donné par un poëte accusé d'aimer l'argent.

:

Son ami eût imité une si belle action, s'il eût eu à restituer des biens d'église : mais sa vertu ne fut jamais à une pareille épreuve. A peine eut-il obtenu son bénéfice, qu'un régulier vint le lui disputer, prétendant que ce prieuré ne pouvoit être possédé que par un régulier : il fallut plaider; et voilà ce procès « que ni ses juges ni « lui n'entendirent », comme il le dit dans la Préface des Plaideurs. C'étoit ainsi que la Providence lui opposoit toujours de nouveaux obstacles pour entrer dans l'état ecclésiastique, où il ne vouloit entrer que par des vues d'intérêt. Fatigué enfin du procès, las de voir des avocats et de solliciter des juges, il abandonna le bénéfice, et se consola de cette perte par une comédie contre les juges et les avocats.

I

Il faisoit alors de fréquents repas chez un fameux traiteur où se rassembloient Boileau, Chapelle, Furetière, et quelques autres. D'ingénieuses plaisanteries égayoient ces repas, où les fautes étoient sévèrement punies. Le poëme de la Pucelle, de Chapelain, étoit sur une table, et on régloit le nombre de vers que devoit lire un coupable, sur la qualité de sa faute. Elle étoit fort grave quand il étoit condamné à en lire vingt vers; et l'arrêt

'C'étoit un cabaret à l'enseigne de la croix de Lorraine, place du cimetière saint Jean. Les cafés n'étoient point encore établis. C'est dans une de ces réunions que furent esquissés les premiers traits de cette plaisanterie de Chapelain décoiffé par La Serre, qui courut dans le public sans l'aveu des auteurs.

qui condamnoit à lire la page entière étoit l'arrêt de mort. Plusieurs traits de la comédie des Plaideurs furent le fruit de ces repas : chacun s'empressoit d'en fournir à l'auteur. M. de Brilhac, conseiller au parlement de Paris, lui apprenoit les termes de palais. Boileau lui fournit l'idée de la dispute entre Chicaneau et la Comtesse : il avoit été témoin de cette scène, qui s'étoit passée chez son frère le greffier, entre un homme très connu alors, et une comtesse, que l'actrice qui joua ce personnage contrefit jusqu'à paroître sur le théâtre avec les mêmes habillements, comme il est rapporté dans le Commentaire sur la seconde satire de Boileau 1. Plusieurs autres

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L'original de cette comtesse, dit un commentateur de Racine, étoit la comtesse de Crissé, plaideuse de profession, et qui avoit dissipé en mauvais procès une fortune considérable. Le parlement, d'après les demandes de la famille, lui fit défense d'intenter à l'avenir aucun procès sans avoir pris d'abord l'avis par écrit de deux avocats qui lui furent nommés par la cour. Cette interdiction de plaider la rendit furieuse, et elle passoit ses jours à tourmenter ses juges et ses avocats. Un jour qu'elle avoit été porter ses plaintes chez le greffier Jérôme Boileau, frère de Despréaux, elle y rencontra un cousin issu de germain de celui-ci, ancien président à la cour des monnoies, qui, ayant perdu tout son bien par mauvaise conduite, cherchoit les occasions de se rendre nécessaire. C'étoit le même homme qui, dans la satire III de Boileau, se trouve dépeint

Avec sa mine étique,

Son rabat jadis blanc, et sa perruque antique.

Il s'avisa de vouloir donner des conseils à l'obstinée plaideuse, qui les écouta d'abord avec avidité, et les reçut avec quelque soumission; mais un malentendu qui survint entre eux dans la chaleur de la conversation, fit croire à la comtesse que le donncur d'avis avoit voulu l'insulter; elle chanGea aussitôt de ton, et l'accabla d'injures. Boileau, témoin de cette scène, ne laissa pas passer l'occasion de la faire mettre sur le théâtre. Dans le portrait de la femme de Dandin, qui

Eût du buvetier emporté les serviettes,

Plutôt que de rentrer au logis les mains nettes,

on eut en vue la femme du lieutenant-criminel Tardieu, si connue par

traits de cette comédie avoient également rapport à des personnes alors très connues; et par l'Intimé, qui, dans la cause du chapon, commence, comme Cicéron, pro Quintio: Quæ res duæ plurimum possunt... gratia et eloquentia, etc., on désignoit un avocat qui s'étoit servi du même exorde dans la cause d'un pâtissier contre un boulanger 1. Soit que ces plaisanteries eussent attiré des ennemis à cette pièce, soit que le parterre ne fût pas d'abord sensible au sel attique dont elle est remplie, elle fut mal reçue; et les comédiens, dégoûtés de la seconde représentation, n'osèrent hasarder la troisième. Molière, qui étoit présent à cette seconde représentation, quoiqu'alors brouillé avec l'auteur, ne se laissa séduire ni par aucun intérêt particulier, ni par le jugement du public: il dit tout haut, en sortant, que cette comédie étoit excellente, et que ceux qui s'en moquoient méritoient qu'on se moquât d'eux. Un mois après, les comédiens, représentant à la cour une tragédie, osèrent donner à la suite cette malheureuse pièce. Le roi en fut frappé, et ne crut pas déshonorer sa gravité ni son goût par des éclats de rire si grands, que la cour en fut étonnée.

Louis XIV jugea de la pièce comme Molière en avoit jugé. Les comédiens, charmés d'un succès qu'ils n'avoient pas espéré, pour l'annoncer plus promptement à l'auteur, revinrent toute la nuit à Paris, et allèrent le réveiller. Trois carrosses, pendant la nuit, dans une rue

son avarice sordide, sa rapacité scandaleuse, et sa fin tragique arrivée en 1665. (Anon.)

Voici une autre anecdote qui avoit beaucoup amusé le palais. Un avocat, nommé Montauban, connu par la longueur de ses plaidoyers, ayant un jour été interpellé par le premier président de répondre s'il seroit long, avoit répondu que oui; sur quoi le président, à ce que raconte Ménage, lui répliqua : « du moins vous êtes de bonne foi. » Cette anecdote a fourni un trait à la nouvelle pièce.

où l'on n'étoit pas accoutumé d'en voir pendant le jour, réveillèrent le voisinage1: on se mit aux fenêtres; et comme on savoit qu'un conseiller des requêtes avoit fait un grand bruit contre la comédie des Plaideurs, on ne douta point de la punition du poëte qui avoit osé railler les juges en plein théâtre. Le lendemain tout Paris le croyoit en prison, tandis qu'il se félicitoit de l'approbation que la cour avoit donnée à sa pièce, dont le mérite fut enfin reconnu à Paris.

L'année suivante, 1668, il reçut une gratification de douze cents livres, sur un ordre particulier de M. Colbert 2.

Britannicus, qui parut en 1669, eut aussi beaucoup de contradictions à essuyer, et l'auteur avoue dans sa préface qu'il craignit quelque temps que cette tragédie n'eût une destinée malheureuse 3. Je ne connois cepen

1 Racine logeoit alors à l'hôtel des Ursins dans la Cité. Peu après, il alla demeurer dans la rue des Marais, faubourg Saint-Germain. On a remarqué que son appartement a été successivement occupé par deux célébres actrices tragiques, mademoiselle Le Couvreur, et mademoiselle Clairon. Il est probable que Racine composa Athalie rue des Maçons-Sorbonne, où il demeuroit en 1691, époque où cette tragédie fut imprimée. * En voici la copie. « Maître Charles-le-Bégue, conseiller du roi, tré« sorier-général de ses bâtiments, nous vous mandons que des deniers de ⚫ votre charge de la présente année, même de ceux destinés par sa majesté pour les pensions et gratifications des gens de lettres, tant françois «qu'étrangers, qui excellent en toutes sortes de sciences, vous payiez ■ comptant au sieur Racine la somme de douze cents livres, que nous lui ⚫ avons ordonnée pour la pension et gratification que sa majesté lui a ac«cordée, en considération de son application aux belles-lettres, et des « pièces de théâtre qu'il donne au public. Rapportant la présente, et quittance sur ce suffisante, ladite somme de douze cents livres sera passée « et allouée en la dépense de vos comptes, par messieurs des comptes à » Paris; lesquels nous prions ainsi le faire sans difficulté. Fait à Paris, le » dernier jour de décembre 1668. COLBERT. LA MOTTE COQUART. » (L. R.) 3 Il y avoit à l'hôtel de Bourgogne un banc où les auteurs avoient cou

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