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en 1788, âgé de quarante ans, et n'ayant pour toute fortune que son amour du travail et les recommandations de quelques-uns de ses professeurs, tels que Chaptal, dont il s'était fait apprécier.

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M. L. de Sinner, qui a écrit dans la Biographie universelle une très-bonne notice sur Coray, nous dit : « La ré<<volution depuis longtemps menaçante était alors sur le point d'éclater. Coray ne prit aucune part active à ce << drame historique, et c'est même ici qu'il interrompt son << autobiographie littéraire pour ne la reprendre qu'aux « premiers jours de l'empire. Si quelques données four<< nies par ses ouvrages de 1799 à 1804 ne venaient combler «< cette lacune, nous en serions réduits aux conjectures « pour nous représenter quels furent durant ce long orage « et ses idées et ses travaux. »

Cette lacune a été en partie comblée en 1838 par la publication d'une correspondance que Coray entretint du 15 septembre 1788 au 23 janvier 1793, avec un de ses amis intimes de Smyrne. Cette correspondance grecque n'est pas, comme celle de Stamaty, qui vient d'être retrouvée, une correspondance diplomatique. Autant Stamaty court après les nouvelles pour les transmettre immédiatement à son prince, autant Coray se tient le plus qu'il peut éloigné du tumulte de la rue. Il lui est impossible néanmoins de rester étranger à ces grands événements, dont tout le monde recevait le contre-coup, et qui firent sur son esprit une profonde impression. Dans ces lettres, séparées quelquefois de plusieurs mois, Coray résume avec une grande précision les événements survenus dans l'intervalle, de manière à permettre à son ami d'en saisir l'enchaînement. Elles mériteraient d'être traduites en français, car elles apportent des documents très-sincères sur ces temps si diversement jugés.

Coray parle aussi dans presque toutes ses lettres des travaux qui l'occupaient alors, de son Hippocrate, de sa traduction de Théophraste et de ses relations avec les savants du temps, surtout avec Villoison.

Mais, ce qui nous rendra tout à fait l'image de ces années, qui furent pour Coray l'époque la plus douloureuse et la plus féconde à la fois de sa vie, c'est une volumineuse correspondance (cent lettres environ), dont les autographes ont été jusqu'à ce jour soigneusement conservés dans la famille d'un de ses plus intimes amis, et qui s'étend de 1790 à 1796.

En arrivant à Paris, Coray se lia surtout avec quelques médecins instruits, auxquels il avait été recommandé, et avec des hommes placés dans des situations diverses, mais que réunissait un commun amour de la langue grecque.

Le premier était Villoison, l'éditeur des scholies d'Homère, le compagnon de Choiseul-Gouffier dans son voyage d'Orient, qui travaillait avec une fougueuse ardeur à réunir les matériaux d'un grand ouvrage, qui n'a jamais vu le jour, sur la Grèce ancienne et moderne. Villoison avait conçu la plus vive admiration pour les ingénieuses corrections que Coray, grâce à son double savoir d'helléniste et de médecin, introduisait chaque jour dans le texte d'Hippocrate. Ayant des relations étendues avec les savants de toute l'Europe, Villoison faisait d'avance au futur éditeur une renommée dont Coray, qui avait horreur du bruit, se défendait le plus qu'il pouvait. Ces relations n'étaient pas. sans quelques nuages, et c'est probablement à Villoison que Coray fait allusion dans une de ses lettres, en parlant d'un ami qui n'aime en lui que le grec.

Clavier, le traducteur de la Bibliothèque d'Apollodore et de Pausanias, était alors un jeune magistrat qui jouissait d'une assez grande fortune, et était possesseur d'une belle bibliothèque classique. Il avait engagé Coray à venir demeurer dans son voisinage; il lui prêtait des livres et profitait de son savoir.

Pendant la tourmente révolutionnaire, Clavier s'était retiré dans une petite terre qu'il possédait près de Nemours (1), et y avait offert un asile à son ami, qui n'accepta

(1) Voici comme il donnait son adresse: Clavier, agriculteur à la Nozaye, par Nemours, département de Seine-et-Marne.

pas sans bien des hésitations, et regretta bientôt d'avoir cédé à ces amicales instances.

Coray était d'une excessive timidité, d'une sauvagerie même et d'une délicatesse peut-être un peu orgueilleuse, qui lui faisait repousser tout ce qui pouvait ressembler à de la protection et risquait de compromettre sa chère indépendance. Sa santé était épuisée par un travail excessif; sa sensibilité nerveuse était très-excitée; une inquiétude, une contrariété, lui donnait la fièvre, des insomnies. Il crachait le sang, croyait sa fin prochaine, chargeait ses amis de ses dispositions dernières, et rédigeait son épitaphe, qu'il refit quarante ans plus tard.

En arrivant chez Clavier, près duquel il croyait continuer paisiblement ses études, il trouva la petite maison. remplie d'hôtes auxquels Clavier, consultant son cœur plus que sa bourse, dans un temps où toutes les fortunes étaient anéanties par la dépréciation des assignats, avait offert également un refuge. Le beau-frère de Clavier céda à Coray la chambre qu'il occupait; mais cette chambre était froide, humide et sans feu; on ne pouvait y travailler. Le cabinet de Clavier était le lieu de réunion de toute la maison. Coray, plus souffrant que jamais, craignant d'être à charge à ses hôtes, et ne pouvant continuer loin de Paris. les collations de manuscrits qu'il avait commencées pour des savants étrangers et qui l'avaient fait vivre jusqu'alors, écrivait par tous les courriers à son plus intime ami, à Chardon de la Rochette, confident de ses peines comme de ses travaux littéraires. Il le supplie de lui trouver à Paris une chambre garnie, dût-elle coûter 25 fr. par mois, bien que ce fût beaucoup pour ses moyens, mais où il puisse reprendre ses travaux au milieu de ses livres. Il le prie de vendre, n'importe à quel prix, quelques meubles qu'il avait laissés à Paris, de lui acheter des éditions dont il a besoin, de presser l'impression des livres de médecine dont il avait commencé la publication à Montpellier et à Paris, et de trouver un éditeur pour son Théophraste. D'autres fois il oublie tous ces soucis et communique à

son savant ami des conjectures, des corrections qui se présentaient en foule à son esprit dès qu'il ouvrait un livre grec. Quelquefois enfin, à l'occasion de son pays, loin duquel il vit, parce qu'il ne veut pas se soumettre au despotisme turc, mais qu'il aime avec passion, il écrit alors des pages qui font entrevoir l'affranchissement de la Grèce, dont il fut un des plus fervents apôtres, et qu'il eut la consolation de voir se réaliser en partie avant de fermer les yeux. Presque toutes ces lettres touchent à des sujets littéraires. Un certain nombre des corrections qu'il soumet avec une grande modestie à la critique judicieuse de son ami ont peut-être trouvé place dans ses éditions de la Bibliothèque grecque ou dans les publications des hellénistes, auxquels il les communiquait volontiers; il nous semble cependant, d'après une première inspection, qu'il y en a bon nombre dont on n'a pas encore profité.

Quant aux détails intérieurs de sa vie, qui peuvent sembler parfois bien mesquins, ils font ressortir la grandeur du caractère de l'homme, et rappellent quelques passages des lettres si touchantes qu'à la même époque un autre savant encore obscur, mais depuis célèbre, Ampère, écrivait à sa femme. Cette lutte journalière contre les difficultés de la vie, auxquelles tous deux furent en butte, et dont ils triomphèrent à force d'abnégation et de courage, sont un enseignement salutaire pour les jeunes gens qui se laissent trop souvent décourager par des obstacles bien moins grands.

L'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, qui a fait connaître, l'an passé, quelquesunes des lettres de Stamaty, admet cette année quelquesunes de ces lettres de Coray à Chardon de la Rochette. Si elles sont accueillies avec la faveur que nous semble mériter un nom si grand parmi les Grecs et les hellénistes, et un si beau caractère, nous nous proposons d'en insérer un plus grand nombre dans les annuaires suivants, à moins qu'un éditeur ne se présente pour une édition intégrale.

I (1).

Mon cher ami, je vous renvoie par Thomas votre Saumaise, en me réservant de vous le redemander au besoin. Je suis encore fort loin de commenter les Aphorismes, dans lesquels d'ailleurs il y a fort peu de chose à dire relatif à la critique. Je vous envoie de même 27 fr. pour que vous ayez la complaisance de m'acheter les ouvrages de Lennep, ou me laisser ceux que vous m'avez déjà envoyés, ce qui revient au même. Vous m'avez affligé avec le prix de 50 fr. pour Du Cange, d'autant plus que depuis quelque temps je m'occupe de recherches sur notre langue moderne. J'attendrai que mon libraire me donne quelque argent, et alors je verrai si j'aurai assez de courage de me décider à un prix si exorbitant.

Mon nom est : CORAY Doctoris Medici Monspeliensis, et rien de plus. C'en est même trop. "Eppwoo!

II.

Quoique j'aie la fièvre, mon cher ami, il faut bien que je satisfasse votre curiosité. Le nominatif est Aixμaviñ Κοραής, et le génitif Διαμαντῆ Κοραή. C'est un nom anomale de la famille de ceux dont Gaza rapporte des exemples, ó Пoons τou Пoo. Quant à Coray, j'ai trouvé que mon père, qui faisait le commerce de la Hollande, signait de cette façon; car en hollandais cela se prononce comme Coraï en trois syllabes, et non en deux, comme Tournay en fran

(1) Dans cette publication de lettres autographes, on a cru devoir respecter scrupuleusement le texte original, même quand il offrait des négligences et des traits d'incorrection, d'ailleurs bien pardonnables à un étranger écrivant en notre langue. L'adresse, au verso de ce premier billet est: Τῷ Σοφῷ Ῥοχετίῳ. Les autres portent ordinairement: Τῷ Σοφοτάτῳ La Rochette.

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