Imágenes de página
PDF
ePub

d'Artois, un des plus hauts barons de France. » Moins de deux ans après, ce prince avait affaire à la justice du roi.

Il était l'arrière-petit-fils de Robert I, à qui son père, le roi Louis VIII, avait laissé l'Artois en apanage. Mais l'Artois était échu en 1302, selon la coutume locale, à Madame Mahaut, sa tante1. Robert avait revendiqué avec acharnement ce comté deux fois, d'abord à sa majorité en 1308, puis de nouveau en 1316, la Cour des pairs avait repoussé sa réclamation. Ces échecs ne l'avaient pas découragé. Enhardi par l'avènement de Philippe VI dont il avait épousé la sœur, Robert d'Artois se laissa entraîner dans toute sorte de pratiques mystérieuses et criminelles par une bande d'intrigants, que dirigeait une femme de mœurs douteuses, Jeanne de Divion. Jeanne avait été l'amie et la confidente de feu Thierri d'Hireçon, évêque d'Arras, conseiller tout-puissant de la comtesse Mahaut.

LE PROCÈS

A la cour solennelle d'Amiens, où Edouard III prêta l'hommage, Robert, avec le concours du célèbre avocat Guillaume du Breuil, EN RESTITUTION. avait demandé justice de la spoliation dont il se disait victime. Le roi, le 7 juin 1329, avait ordonné une enquête : cinquante-cinq témoins, subornés par Jeanne de Divion, déclarèrent avoir vu des titres qui établissaient sans conteste les droits de Robert sur l'Artois. Ces titres avaient-ils existé en effet? Madame Mahaut les avait-elle fait enlever de la cachette où l'on disait qu'ils avaient été déposés, et les avait-elle détruits? On ne le saura jamais.

Le procès en restitution de l'Artois fut ouvert devant le Parlement là Robert d'Artois présenta des titres que Jeanne de Divion avait fabriqués; elle en avait écrit le texte, puis elle avait ajouté des lacets de soie et des sceaux détachés de chartes anciennes. Aussitôt Madame Mahaut requit le roi de prononcer la saisie de ces pièces. Il fut fait droit à cette requête et l'affaire fut renvoyée à une autre journée. Mais Mahaut, qui, le 23 novembre 1329, se portait bien et avait dîné avec le roi, est prise, deux jours après, d'un mal inconnu; le 27 novembre, elle meurt. Quelques semaines après, mourait égale

LES FAUX.

[blocks in formation]

CONDAMNATION
DE ROBERT

D'ARTOIS.

ment sa fille et héritière, Jeanne de Bourgogne, veuve de Philippe V. On ne manqua pas de parler d'empoisonnement et d'accuser Robert. Les dispositions du roi de France devenaient visiblement hostiles à Robert. Le duc de Bourgogne, héritier de Mahaut et de Jeanne, était le frère de la reine, et Philippe VI était dominé par sa femme. D'autre part des indices graves furent recueillis. Les pièces produites au Parlement parurent suspectes. Enfin Jeanne de Divion arrêtée, avoua tout: elle raconta comment elle s'était procuré à Arras des lettres du comte Robert II pour exécuter les faux. Appelé devant Philippe VI, Robert s'obstina à soutenir l'authenticité de ses titres. Le 23 mars 1331, l'affaire revint devant le Parlement : Robert, après avoir vainement jeté son gant en gage de bataille, fut confondu; l'abbé de Cluni détacha les sceaux récollés et le roi lui-même lacéra les faux.

Les coupables furent châtiés avec une impitoyable rigueur. La Divion fut brûlée sur la Place aux Pourceaux le 6 octobre 1331. Des poursuites furent commencées contre Robert qui, dès le lendemain de la séance du Parlement, s'était enfui dans ses terres. Mais quand les sergents royaux arrivèrent à Conches pour notifier le premier ajournement, Robert n'y était plus. On saisit sa femme, qui, bien que sœur du roi, fut enfermée au Château-Gaillard. Quatre fois, le fugitif fut ajourné; il fit défaut. Le 8 avril 1332, dans une cour plenière tenue au Louvre devant le roi de Bohême, les princes du sang et neuf pairs du royaume, Philippe VI se leva et prononça le bannissement de Robert et la confiscation de ses biens. Montjoie, héraut d'armes de France, déchira l'écusson portant les armes du prince, pendant que le roi se couvrait le visage de ses mains. Robert d'Artois s'était réfugié en Brabant : il vécut là trois ans, caché, mais toujours agité, la raison ébranlée, dévoré d'une haine farouche contre le roi, la reine, le fils ainé du roi qu'il essaya de faire mourir par des pratiques de sorcellerie. Comme le duc de Brabant refusait de le livrer, une coalition fut organisée contre lui parmi les princes des Pays-Bas ses voisins; le duc, dont les terres furent ravagées à deux reprises, céda. Robert partit pour l'Angleterre où la reine, Philippa de Hainaut, puis Édouard III l'accueillirent avec grand honneur, comme un parent et une victime. Les procédures contre ses complices durèrent jusqu'en 1335. Enfin, en mars 1337, le roi le déclara criminel de lèse-majesté et ennemi mortel du roi et du royaume. Nous verrons en effet bientôt Robert d'Artois agir en ennemi mortel du roi et du royaume de France.

P

[blocks in formation]

HILIPPE VI, dans les premières années de son règne, avait de grands desseins, un peu vagues d'ailleurs, et pouvait se croire assuré de grandes alliances.

De tous côtés, semblait-il, il avait des amis. Le comte de Savoie, le Dauphin de Viennois et le duc de Lorraine avaient combattu avec lui à Cassel. Robert d'Anjou, un Capétien, oncle du roi de France, tenait le comté de Provence et régnait à Naples. Dans sa jeunesse Philippe de Valois était descendu en Italie pour combattre, au nom du pape, les redoutables tyrans gibelins de Milan, les Visconti2; puis, séduit par l'esprit subtil de Galéas Visconti, il avait commencé avec son adversaire de la veille des relations que l'avenir devait rendre plus étroites. Au Nord, pour contraindre le duc de Brabant à abandonner Robert d'Artois, il avait trouvé très aisément le concours de l'évêque de Liège, de l'archevêque de Cologne, du marquis de Juliers, du comte de Gueldre, d'autres seigneurs encore. Le duc de Brabant lui-même devint à son tour allié du roi, et son fils aîné épousa une fille de France. Au mois de juin 1332, Philippe VI voyait tous ces princes, << dix-huit cents chevaliers, bannerets et autres des parties d'Allemagne », se réunir, « grande joie démenant », autour de lui à Royanlieu, près de Compiègne. Recherché par eux comme arbitre, il était assez heureux pour apaiser leurs querelles.

་་

Philippe pouvait compter aussi sur l'alliance du pape. Le roi et le pape étaient alors voisins; le Rhône seul les séparait. Par crainte des orages de la politique italienne, par préférence pour une vie moins solennelle et plus douce, Clément V était venu en mars 1309 séjourner à Avignon, cité vassale du comté de Provence, et enclavée dans le Comtat Venaissin, qui appartenait à la Papauté. C'était «< un nid à corneilles » au regard de Rome, mais une résidence tranquille, avec d'agréables villégiatures dans le Comtat. Avignon de plus était au passage des grandes routes du Nord et du Midi, en terre d'Empire, tout contre les domaines de la maison d'Anjou, qui était très dévouée à la Papauté, à proximité de l'Italie, à la porte du royaume de France. Il semble cependant que Clément V n'avait pas eu le

1. OUVRAGES A CONSULTER. A. Leroux, Recherches critiques sur les relations politiques de la France et de l'Allemagne de 1292 à 1378, 1882. P Fournier, Le Royaume d'Arles et de Vienne, 1891. De Puymaigre, Jean de Bohême en France, Revue des Questions historiques, LII, 1892. Th. Lindner, Deutsche Geschichte unter den Habsburgern und den Luxemburgern, I, 1888. Delaville-Le Roulx, La France en Orient au XIV siècle, I, 1886.

2. Voir Histoire de France, t. III, 2o partie, p. 294.

LES ALLIES

DE PHILIPPE VI.

LA PAPAUTÉ
A AVIGNON.

JEAN XXII.

LA MAISON

dessein formel de transférer la Papauté hors de Rome. Il ne crut pas engager l'avenir lorsqu'il s'installa modestement au couvent des Dominicains, dont il aimait le cloitre magnifique.

A sa mort en 1314, quand il s'était agi d'élire son successeur, les cardinaux s'étaient divisés en deux partis : d'un côté les Italiens, de l'autre les Languedociens ou les Provençaux; ils avaient passé plus de deux ans à se quereller sans arriver à une élection. Il avait fallu que le comte de Poitiers, - qui devint quelques jours après le roi Philippe V —, les tînt enfermés dans un couvent de Lyon pour les décider à élire pape, le 7 août 1316, un Français, natif de Cahors, qui prit le nom de Jean XXII. Le nouveau pape se fit couronner sur la terre du roi de France, à Lyon. Il montra son zèle pour la France dans ses trois premières promotions de cardinaux : en 1316, 1320 et 1327, il ne créa pas moins de vingt cardinaux français. Pour faire plaisir au roi de France, Jean XXII s'établit à demeure sur les bords du Rhône. Ancien évêque d'Avignon, il voulut faire de cette ville une nouvelle Rome. Installé au château épiscopal, il commença de grands travaux d'architecture et de peinture. Les églises d'Avignon furent réparées et agrandies, les châteaux pontificaux du Comtat embellis1.

Devenu le voisin du roi de France, le pape échangea désormais avec lui de bons offices. Le roi de France obtenait à son gré des nominations de cardinaux et d'évêques, des collations de bénéfices pour ses protégés, et fort régulièrement de très lucratives décimes sur les revenus du clergé. Le pape espérait l'appui du roi dans les luttes acharnées qu'il soutenait alors contre Louis de Bavière en Allemagne et contre le parti gibelin dans le Nord de l'Italie. Ainsi commença « la captivité d'Avignon » qui mit la papauté sous la main du roi de France, et qui devait amener de si grands désordres dans l'Eglise.

Très étroite semblait également l'amitié du roi de France et de DE LUXEMBOURG. la maison de Luxembourg, qui possédait le royaume de Bohême et s'était déjà poussée jusqu'à l'Empire. L'empereur Henri VII avait été un prince tout français. Son fils, Jean de Luxembourg, roi de Bohême, avait assisté au couronnement du roi de France Charles IV, que sa sœur Marie épousa en 1322. Le roi Jean avait envoyé à Paris son fils Wenceslas pour y apprendre les manières courtoises; Wenceslas y resta et fut fiancé à la sœur de Philippe de Valois; il changea même son nom en celui de Charles, que portait le roi de France. L'avènement des Valois resserra encore cette amitié des deux maisons. Le roi Jean de Bohême était au couronnement de Phi

1. Faucon, Les Arts à la cour d'Avignon, sous Clément V et Jean XXII, Mélanges d'archéologie et d'histoire de l'Ecole de Rome, 1884.

2. Voir Histoire de France, t. III, 2o partie, p. 316.

lippe VI et à l'ost de Cassel; il avait assisté à la condamnation de Robert d'Artois, et à la cérémonie de l'hommage prêté par Edouard III, comme s'il eût été le témoin indispensable de tous les grands faits du nouveau règne. Les deux rois avaient les mêmes goûts: autant que Philippe VI, le roi de Bohême était chevaleresque et fastueux; c'était « le plus noble et le plus gentil en largesse qui régnât à ce temps ». Mais, comme ses domaines étaient médiocres et que son royaume de Bohême ne lui rapportait guère, il était grand emprunteur et mauvais payeur. Cependant son ambition était sans limites. Villani l'appelle « il Boemino povero di moneta e cupido di signoria », le Bohémien pauvre d'argent et avide de seigneurie. Il avait l'imagination grandiose, toujours quelque vaste projet en tête et quelque chimérique négociation en train. Il devait rester fidèle à Philippe VI jusqu'à la mort.

On aurait pu croire que ces relations et ces alliances entraîneraient la politique de Philippe VI du côté de l'Italie ou de l'Allemagne. Vers 1330, le roi, comme s'il voulait intervenir activement dans les affaires italiennes, se fit accorder par le pape le droit d'occuper Parme, Modène et Reggio. Il correspondait avec les principales villes lombardes. Quelques années après, il acheta de Jean de Bohême la ville et la seigneurie de Lucques. Peut-être songeait-il, comme le croit Villani, à un établissement en Italie. Entre temps, il se laissa entraîner un instant dans une de ces belles combinaisons qu'ébauchait si volontiers l'esprit fécond du roi de Bohême : Philippe devait recevoir le royaume d'Arles pour prix du concours qu'il apporterait à Jean dans l'acquisition de la Couronne impériale. Mais aucun de ces projets n'eut de suite pratique. Très vite l'imagination du roi de France avait dépassé le royaume d'Arles et les plaines lombardes. Comme ses prédécesseurs, il rêvait d'une croisade.

Depuis 1330 il s'y préparait. Au commencement de l'hiver de 1331, Pierre de la Palu, patriarche de Jérusalem, revenant d'une ambassade auprès du soudan d'Egypte, émut profondément le roi et son entourage, en décrivant les misères des chrétiens et l'obstination du soudan. Tous ceux qui l'écoutèrent, furent « d'un accord d'aller outre mer pour recouvrer la Sainte Terre ». Le pape prit l'affaire en mains et la prédication commença.

Philippe VI, donnant l'exemple, reçut la croix le 25 juillet 1332 à Melun. Le 2 octobre, il tint une grande assemblée de prélats, de nobles et de députés des villes où il annonça son prochain départ et organisa la régence. Un an après, le 1er octobre 1333, au Pré-auxClercs, sur un grand échafaud, Pierre Roger, archevêque de Rouen, prêcha de nouveau « du saint voyage d'Outre-mer ». Des seigneurs se

PROJETS SUR

L'ITALIE ET LE ROYAUME D'ARLES.

PROJET

DE CROISADE.

« AnteriorContinuar »