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Gerson sut éviter et condamna les excès où s'étaient laissé entraîner les mystiques allemands et flamands. On lui a attribué l'Imitation de Jésus-Christ, mais son amour divin est moins exalté, moins brùlant, plus pratique, plus séculier que celui du ou des mystérieux

auteurs de ce livre.

L'éloquence religieuse et politique trouva naturellement carrière dans les grands conflits qui troublèrent l'Église et l'État. Les belles << propositions » faites, soit à l'Université, soit dans les assemblées du clergé et les conciles, soit devant les papes et les rois, par Pierre d'Ailli, Gerson, Courtecuisse, Fillastre, Boisratier, étaient fort admirées des contemporains: elles sont savantes et pathétiques, mais trop longues, trop subtiles, trop encombrées d'érudition. Jean Petit a pourtant de la verve, comme on l'a vu', et les discours de Guillaume Fillastre sur le Schisme ont une sincérité triviale et une bonhomie qui reposent de l'éloquence apprêtée. Eustache de Pavilli et le maître des Mathurins, que les Parisiens aimaient tant à entendre au commencement du xve siècle, avaient sans doute les mêmes qualités. Mais les plus remarquables « propositions » du temps furent celles de Gerson, où les sentiments les plus purs et les plus hautes pensées alternent avec les paradoxes, l'allégorie et l'érudition avec des détails d'une extrême familiarité.

DISCOURS ET SERMONS.

La prédication ordinaire a laissé peu d'œuvres intéressantes, en LA PREDICATION. dehors des sermons de Gerson, qui ont été pour la plupart prononcés dans son église de Saint-Jean de Grève ou dans d'autres paroisses de Paris. Il prêcha souvent aussi devant le roi et sa cour; mais il n'aimait pas cette prédication solennelle. A vrai dire, pourtant, ses prònes ne different guère de ses sermons d'apparat. La langue est plus simple, le développement moins préparé; mais ce sont les mêmes procédés, le même abus de l'allégorie, le même étalage d'érudition. De loin en loin, au milieu de bizarreries, la prière monte avec une simplicité et une ferveur admirables. Les longues allégories, où Gerson se complaisait, donnaient parfois à ses prédications une allure dramatique : son sermon devenait une sorte de mystère.

La littérature politique, très abondante, inspirée d'Aristote, s'enveloppa volontiers aussi d'allégories. Le cadre le plus goûté fut celui du songe, d'ordinaire dialogué. Il y eut des songes de toute espèce. Le Songe du Vieux Pèlerin de Philippe de Mézières, écrit en 1389, est une œuvre confuse et originale. On y trouve un peu de tout, de la géographie, de l'histoire, des anecdotes, une description de la pêche au hareng dans la mer du Nord, une description d'horloge italienne, 1. Voir plus haut, p. 354.

LITTÉRATURE

POLITIQUE.

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LE SONGE
DU VERGER.

HONORÉ BONET.

et, au second et au troisième « quartier », le tableau vivant des abus qui s'étaient introduits dans le gouvernement et dans les mœurs, enfin des conseils très précis à l'adresse du jeune Charles VI.

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Dans le Songe du Verger, écrit pour Charles V en latin, puis traduit en français et augmenté, l'auteur — sans doute encore Philippe de Mézières raconte une vision qui lui est venue « en son dormant tout éveillé ». Il se crut transporté en un verger « plein de roses et de fleurs et de plusieurs autres délices ». Là, il vit le roi en sa majesté royale, ayant à ses côtés deux reines très nobles et très dignes c'étaient la Puissance spirituelle et la Puissance séculière. Gémissant et pleurant, elles suppliaient le roi, qui était grand clerc, de remettre la paix entre leurs ministres et officiers. Charles leur conseilla de prendre chacune un avocat : ce seront le Clerc et le Chevalier, hommes de belle éloquence et de grande science. Et ils se mettent en effet à discuter et à dialoguer « grassement et pleinement, ainsi que les avocats ont usé en plaidoyant ». Le Clerc défend la suprématie universelle de la Papauté, le Chevalier l'indépendance de la royauté dans le domaine temporel. A cette thèse principale s'ajoutent d'autres questions ecclésiastiques : les décimes levées sur le clergé, les privilèges de cléricature, le pouvoir temporel, la juridiction des officialités, l'existence des Ordres mendiants. Enfin l'auteur fait discuter à ses personnages tous les problèmes politiques et sociaux du temps : les droits de l'Empereur sur les États chrétiens, les prétentions du roi d'Angleterre à la couronne de France, la saisie par le roi de France du duché de Bretagne, l'instruction des princes, les armoiries, le duel judiciaire, la condition des Juifs et la légitimité de l'usure, la polygamie, l'astrologie. Tout est débattu avec une grande érudition: le Digeste, les Décrétales, les commentaires du droit civil et du droit canonique, les Pères de l'Église, Aristote et une foule d'ouvrages théologiques, juridiques, philosophiques ont été largement pillés.

Honoré Bonet un écrivain politique aussi, moine de l'IleBarbe près de Lyon, s'établit, à la fin du siècle, à Paris dans la maison de la Tournelle, occupée jadis par Jean de Meun. Le souvenir de Jean de Meun lui inspira une composition bizarre, en forme de songe, moitié vers, moitié prose, l'Apparition de Jean de Meun, où il critique vivement les clercs, les nobles, les marchands; il y recommande en particulier d'armer pour la défense du royaume, non les nobles, mais les paysans. L'Arbre des batailles, sous une forme plus didactique, traite de la politique, de la guerre, du droit des gens. La guerre, pour Bonet, est un moyen de « retourner en accord et raison »; en tant que moyen de paix, elle vient de Dieu, « sire et

souverain gouverneur des batailles ». Il se demande si l'on peut attaquer toujours et quand même le Sarrasin; et il répond que non, car << Notre-Seigneur Dieu a créé tous les biens de la terre pour les bons. comme pour les méchants ». On doit même épargner les Juifs, quelque mal qu'ils fassent; d'ailleurs, « s'ils nous font assez de mal, nous ne leur faisons guère de bien. » L'idée sur laquelle il insiste le plus, c'est que la guerre ne doit pas faire tort à ceux qui ne font pas métier de guerre : « En vérité, j'ai grande douleur au cœur de voir et ouïr le grand martyre que les gens de guerre font sans pitié ni merci aux pauvres laboureurs et autres gens, qui ne savent ni mal dire ni mal penser, et qui labourent pour toutes gens d'état, et desquels le pape, les rois et tous les seigneurs du monde ont, après Dieu, ce qu'ils mangent et ce qu'ils boivent et aussi ce qu'ils vêtent. Et nul d'eux n'en a cure. »

DE CHRISTINE
DE PISAN.

Dans le Livre de faits d'armes et de chevalerie, Christine de LE livre de paix Pisan a repris les idées de Bonet, en y ajoutant des dissertations techniques empruntées à Frontin et à Végèce. Son Livre de paix, commencé au moment où la guerre civile s'est déchaînée, en 1412, au «< vrai nombril de France », et achevé après la paix de Pontoise d'août 1413, lui a été l'occasion d'exprimer toutes les émotions que lui ont données les troubles de Paris et du royaume, et ses aspirations ardentes vers la paix, si difficile à faire et plus difficile encore à garder.

Tous ces écrivains politiques sont des moralistes. Les vices et les folies du temps, l'étrange désordre général, conduisaient tous les sages à moraliser. Oresme a traduit à la fois les Éthiques d'Aristote et sa Politique. Dans le prologue des Éthiques, il rapproche ces deux traités, dont l'un fait les bons hommes, et l'autre, les bons princes. Jacques le Grand moralise aussi dans le Livre des bonnes mœurs, et Christine de Pisan dans le Corps de Policie, le Livre et le Trésor de la Cité des Dames, où elle enseigne la vertu aux princes, aux chevaliers, aux dames et à « l'université de tout le peuple ».

Deux curieux ouvrages d'éducation ont été composés au XIVe siècle. L'un a été écrit, à l'usage de ses filles, par Messire Geoffroi de la Tour-Landri. Étant chevalier, il a pu payer deux clercs pour lui chercher des histoires dans la Bible et ailleurs, mais il a heureusement ajouté à cette érudition des exemples et des faits pris dans la vie contemporaine, et qui font l'intérêt de ses leçons de « courtoisie » et de morale. L'autre, de plus grande valeur, est le Ménagier de Paris.

Le bourgeois inconnu, qui a rédigé ce livre, vers la fin du siècle, est un homme de bon sens, d'esprit et de cœur qui exprime de

LE LIVRE

DE GEOFFROI DE LA TOURLANDRI.

LE MÉNAGIER

DE PARIS

fermes pensées en bon style simple. Ce n'est pas qu'il soit ignorant; il a beaucoup lu, mais il est moins pédant que les autres moralistes du temps. De bonne bourgeoisie, sa maison était bien montée et confortable. Si l'on pouvait le prendre pour type de l'élite bourgeoise, il faudrait conclure que cette élite a une conception de la vie plus simple, plus droite, plus haute que le grand monde, avec son artificielle courtoisie. Mari âgé d'une femme très jeune et de plus grande naissance que lui, il l'appelle modestement «< chère sœur ». Ses conseils ne sont point d'un vieux barbon, inquiet de la jeunesse et jaloux des plaisirs de sa femme, mais d'un vieil ami, qui parle en homme d'expérience. Il traite longuement de la confession, des sept grands péchés mortels, auxquels il oppose, par une antithèse familière au Moyen Age, les sept vertus cardinales. Il accompagne lui aussi ses préceptes d'exemples, mais bien choisis, contés simplement, avec malice. Ce sont des anecdotes, bourgeoises pour la plupart, des souvenirs personnels, puis deux véritables petits romans, très goûtés alors, l'histoire de Grisélidis et le roman de Mélibée et Prudence, Il a même transcrit en entier le poème moral de Jacques Bruant, le Chemin de Pauvrelé et de Richesse. Après, vient le chapitre des soins du ménage le bourgeois y enseigne avec une compétence parfaite comment une femme expérimentée doit traiter ses domestiques, faire son marché, diriger sa cuisine, combiner ses diners, soigner son jardin. Par un court traité de vénerie se termine le Ménagier, le livre le plus curieux dans la littérature morale du xiv° siècle1.

1. Ce ne sont là que les œuvres les plus saillantes, celles qui font le mieux connaître les idées, la société, les formes littéraires. A côté s'est largement développée toute une littérature technique de droit, d'art militaire, de vénerie, d'agriculture, de musique, d'alchimie, d'astrologie, de médecine qui n'a ni le même intérêt, ni la même valeur. Mais partout, c'est le même zèle, la même impatience de labourer et d'étendre le champ des connaissances

humaines.

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ES arts ont été puissamment encouragés au XIVe siècle. Les papes d'Avignon, de Jean XXII à Clément VII, furent de généreux Mécènes. Ils voulaient très belle leur résidence où la vie était si douce. Comme ils avaient perfectionné les moyens de faire affluer l'argent de l'Église dans leurs caisses, ils disposaient d'énormes ressources. Avignon, dont la vie municipale avait été assez agitée, n'était pas riche en monuments: papes et cardinaux la remplirent de palais et d'églises. Le Comtat se couvrit de châteaux. Et la générosité de ces papes français se répandit encore sur leurs pays d'origine jusqu'à Marseille, Montpellier, Bordeaux, Limoges, la Chaise-Dieu.

Avant l'avènement des Valois au trône de France, Jean XXII (13141334) avait déjà fait faire de grands travaux au palais épiscopal qu'il habitait, à la Cathédrale, dans les églises et les couvents de la ville, à Sorgues, à Barbentane, à Noves dans le Comtat. Benoît XII (1334-1342),

1. SOURCES. De Laborde, Les ducs de Bourgogne, Preuves, 1849-1852. Dehaisnes, Documents et extraits concernant l'histoire de l'art dans la Flandre, l'Artois et le Hainaut, 1886. J. Guiffrey, Inventaires du duc de Berry, 1896.

OUVRAGES A CONSULTER. Renan, Discours sur l'état des Beaux-Arts au XIVe siècle (Histoire littéraire de la France, XXIV), 2" édit., 1865. Dehaisnes, Histoire de l'art dans la Flandre, l'Arlois el le Hainaut avant le XVe siècle, 1886. Courajod, Leçons professées à l'École du Louvre, III, 1901. Gonse, L'Art gothique, 1890.

2. OUVRAGES A CONSULTER. Articles d'E. Müntz sur les arts à la cour des papes à Avignon dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 1885, le Bulletin monumental, 1885, la Gazette archéologique, 1886, 1887, 1888, la Revue archéologique, 1888, 1890, le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques, 1888, etc. Faucon, Notice sur la construction de l'église de la Chaise-Dieu, Bulletin archéologique, 1885. Champollion, Louis el Charles, ducs d'Orléans, 1844. De Champeaux et Gauchery, Les travaux d'art exécutés par Jean de France, duc de Berri, 1894.

LA PAPAUTÉ
A AVIGNON.

BENOÎT XII.

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