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PREPARATIFS.

LA CROISADE
ABANDONNÉE.

croisèrent, mais en moins grand nombre qu'on avait cru; on se souvenait qu'on avait été « échaudé », et beaucoup craignaient «< que les sermons, qui étaient faits au nom de la Croix, ne fussent faits pour argent ».

Cependant les préparatifs semblaient très sérieux. Les finances de l'expédition étaient assurées par des décimes ecclésiastiques et par divers revenus d'Église affectés à la croisade. Cet argent devait être mis en lieu sûr et soigneusement gardé; le roi de France fit à cet égard les plus belles promesses. Des subsides étaient envoyés au roi d'Arménie; le roi d'Angleterre était sollicité de se joindre aux croisés; l'empereur Louis de Bavière et le roi de Hongrie promettaient le passage sur leurs terres. On négociait avec Venise. Philippe VI était nommé par le pape, le 11 novembre 1333, généralissime des troupes croisées. Un dominicain allemand, Brocard, lui dédiait un plan de croisade en latin, que Jean du Vignai traduisait en français. Gui de Vigevano décrivait les machines, ponts et vaisseaux nécessaires à la guerre sainte. Et des missions partaient pour l'Orient : Pierre d'Asnières allait en Chypre et près du roi d'Arménie; Jean de Marigni, évêque de Beauvais, portait au soudan des lettres de défi; Jean de Chepoi commençait avec quelques galères à reconnaître la route; de grands approvisionnements étaient réunis sur les côtes de la Méditerranée.

Jamais la croisade ne parut plus assurée qu'au début de 1336, quand Philippe VI alla rendre visite à Avignon au pape Benoît XII, qui venait de succéder à Jean XXII. Le roi avait voyagé lentement « pour lui déduire et ébattre », et « pour apprendre à connaître ses cités, ses villes, et ses châteaux et les nobles de son royaume ». Il menait avec lui les rois de Navarre et de Bohême. A Avignon, arrivérent les rois d'Aragon et de Sicile. Cette conférence de rois dura jusqu'à la fin du carême. Le vendredi saint, le pape prêcha « la digne souffrance de Notre-Seigneur et recommanda le voyage de la Croix ». Le roi de France, au sortir d'Avignon, s'en alla à Marseille voir ses navires; mais là, de l'avis même de Benoit XII, fut le terme de cette grande croisade. Dès la fin de 1336 des objets plus prochains réclamèrent l'attention du roi : la guerre anglaise allait commencer.

CHAPITRE II

LE ROI ET LE ROYAUME DE FRANCE. LE ROI ET LE ROYAUME D'ANGLETERRE

1. PHILIPPE VI. LE POUVOIR ROYAL. L'ARMÉE.

II. ÉTAT ÉCONOMIQUE

DU ROYAUME. III. ÉDOUARD III. L'ANGLETErre. L'armée anglaise.

A

I. PHILIPPE VI. LE POUVOIR ROYAL. L'ARMÉE 1.

-

VANT d'entrer dans le récit de la guerre de Cent Ans, qui ouvrit une des crises les plus graves de notre histoire, il faut voir quel esprit et quelles forces y apportaient le roi Philippe et le royaume de France, le roi Édouard et le royaume d'Angleterre.

Il est difficile de se faire une idée de Philippe VI au début de son règne, dans ces années de paix et de vastes projets. L'emportement et la faiblesse de caractère, que les chroniqueurs lui reprocheront si vivement plus tard, ne se sont encore manifestés que dans de rares circonstances. Pétrarque le dit fort ignorant et l'estime peu; mais les jugements de Pétrarque sur la France et sur les Français sont suspects. Le goût des choses de l'esprit fut héréditaire chez les Valois; Philippe VI achetait des livres qui n'étaient pas tous des livres de piété, puisqu'on trouve dans le nombre un exemplaire des Fables d'Ovide1. Il fit compiler à son usage par un moine de SaintDenis un manuel d'histoire universelle 2. Il s'intéressa fort en 1333 aux controverses qui s'élevèrent sur la « vision béatifique », opinion

1. OUVRAGES A CONSULTER. Leclerc et Renan, Discours sur l'état des lettres et des beauxarts au XIV siècle (Histoire littéraire de la France, XXIV), 2° édit., 1865. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, I, 1868. Viard, La France sous Philippe de Valois, Revue des Questions historiques, LIX, 1896, et Un chapitre d'histoire administrative. Les ressources extraordinaires de la Royauté sous Philippe VI, Revue des Questions historiques, XLIV, 1888. S. Luce, La jeunesse de Bertrand du Guesclin, 1876.

2. Couderc, Le Manuel d'histoire de Philippe VI, Etudes d'histoire du Moyen Age, dédiées à G. Monod, 1896.

LE ROI PHILIPPE VI.

SA PIÉTÉ.

SA FAMILLE.

GOÛTS

subtile qui prétendait que les âmes des bienheureux ne voient pas Dieu face à face avant le jour du dernier jugement. Deux fois il fit discuter devant lui les partisans et les adversaires de cette doctrine, et il donna son avis au pape.

Philippe VI était sans doute attiré vers ces questions par sa piété. Les actes des premières années de son règne sont pleins de pieuses. donations aux établissements religieux, surtout à ceux qui se consacraient aux œuvres de charité. Au départ pour la Flandre, puis au retour, il multiplia les dévotions, et le chroniqueur de Saint-Denis dit que son zèle dépassa tout ce qui s'était vu jusqu'alors. Il aimait les grands pèlerinages: en 1330 pour la naissance d'un fils, en 1336 après la guérison de Jean, l'héritier de la couronne, il alla à Marseille prier près des reliques d'un saint de sa race, Louis d'Anjou, en son vivant évêque de Toulouse. Il fit publier au mois de mars 1330 et renouvela en 1348 une ordonnance sur les vilains serments et blasphèmes, où il renchérissait sur les pénalités édictées par saint Louis. On l'appela Philippe le Très Bon Chrétien et encore Philippe le Vrai Catholique.

Si pieux qu'il fût, Philippe VI n'était pas un moine. Veuf, après trente-cinq ans de ménage, de Jeanne de Bourgogne, femme exigeante et implacable qu'on appelait la « male reine de France », il se remaria au bout d'un mois avec sa très jeune cousine, Blanche de Navarre. De son premier mariage, il eut sept fils et une fille, et on a cru lui trouver un bâtard'. Il aimait ardemment ses enfants. L'aîné, Jean, fut comblé de rentes et de domaines. Il reçut en apanage le plus beau morceau du royaume, la Normandie avec l'Anjou et le Maine. De superbes fêtes furent données, quand il fut armé chevalier. C'est le roi lui-même qui s'occupe de la «< garniture d'or et de la façon d'une surçainte de cuir de lion » pour «< Jean notre fils ». Quand Jean est malade, c'est encore le roi qui prévient les gens des Comptes « que notre très chère compagne la reine a fait faire de notre commandement un pot d'or, du poids de quatre marcs onze esterlins, pour la nécessité de la maladie de Jean notre fils ».

Par-dessus tout, Philippe VI était un chevalier. Ayant appris CHEVALERESQUES. qu'Édouard III voulait organiser une fête de la Table ronde, il en fit préparer une semblable, plus romanesque encore. Froissart, écho de souvenirs encore vivaces, décrit la large vie menée aux plus heureux jours du règne à Vincennes, « le plus chevaleresque séjour »>, tout près d'un parc fameux, rempli du « plus noble gibier ». « Et tenait trois rois en son hôtel et ducs et comtes et barons sans nombre; et

1 M. Boudet, Thomas de la Marche, båtard de France, 1900. Voir la critique de G. Paris, Journal des Savants, 1900.

n'y avait onques mais eu roi en France, dont il souvint qu'il eut tenu l'état pareil au dit roi Philippe. Et faisait faire fêtes, joûtes, tournois et ébattements, et lui même les devisait et ordonnait. Et était un roi plein de tout honneur et connaissait bien que c'était de bachelerie. Moult était l'état du roi Philippe de France grand et renommé en tout pays. »

Ce roi chevalier avait à gouverner un grand royaume, qui s'étendait de la Saône et du Rhône à l'Océan et à la Manche, des Pyrénées aux bouches de l'Escaut.

De grands progrès avaient été accomplis par la Royauté au XIIIe siècle et dans le premier quart du xive.

Le domaine couvrait près de la moitié du royaume. En apparence très morcelé, il formait cependant quatre grands groupes : au Nord, une partie de la Flandre wallonne, Amiens, le Vermandois, le Valois. la Normandie, l'Ile-de-France, la Champagne, le comté de Chartres et l'Orléanais, à l'Ouest, toute une grande bande de territoires depuis la Normandie jusqu'à la Guyenne, comprenant le Maine, l'Anjou, la Touraine et le comté de Poitiers et se prolongeant au Centre par le Berri; - le groupe méridional qui s'étendait entre la basse Garonne et le Rhône, avec un morceau de la Guyenne resté aux mains du roi de France, les sénéchaussées de Languedoc, le comté de Bigorre, la terre d'Auvergne, une partie du Vivarais; - enfin à l'Est, la ville de Lyon et le comté de Mâcon. Des princes apanagés, très proches parents du roi, tenaient les comtés de Clermont, d'Évreux, d'Alençon, d'Étampes, de Dreux, de Mortain, d'Angoulême, de la Marche, le duché de Bourbon. Ainsi des grands fiefs d'autrefois, il ne restait que quatre, aux extrémités du royaume : la Flandre au Nord, la Bourgogne à l'Est, la Bretagne à l'Ouest, la Guyenne au Sud.

LE DOMAINE
ROYAL.

ROYALES.

D'autre part, le gouvernement royal était déjà fortement armé. LES INSTITUTIONS On sait à quel point de leur développement étaient arrivées les institutions monarchiques : autour du roi, l'Hôtel, qui comprenait à la fois des sinécures honorifiques, des services domestiques appelés les Six Métiers de l'Hôtel, une caisse spéciale ou Chambre aux deniers, le bureau des écritures et du sceau ou Chancellerie; pour les affaires politiques, les grâces et le choix des officiers, un Conseil aux formes vagues et variables, où le roi réunissait tantôt quelques familiers seulement, tantôt un grand nombre de hauts personnages; — pour la justice souveraine, des sessions de Parlement; - pour le contrôle des gestions financières, la Chambre des Comptes; - au Louvre,

1. Depuis la mort de la comtesse Mahaut et de sa fille la reine Jeanne, en 1329 et 1330, le duc de Bourgogne, du chef de sa femme, possédait de plus l'Artois.

LE POUVOIR
ABSOLU.

FINANCES.

le Trésor; - enfin sur le domaine, dans les trente-six bailliages et sénéchaussées, des baillis et des sénéchaux, avec leur caisse, leur tribunal, leur greffe, et, au-dessous, les prévôts de France, les vicomtes de Normandie, les viguiers, bayles et juges du Midi, les châtelains, les agents des forêts, les gardes des ports et passages préposés aux douanes, les sergents de toute espèce, tous visités et contrôlés de loin en loin par les enquêteurs et réformateurs royaux.

De ces institutions et de l'activité entreprenante de tous ces officiers, le roi tirait une très grande force et le moyen de faire sentir partout son autorité à ses sujets. A cela s'ajoutait encore le prestige séculaire de la race capétienne, surtout le souvenir toujours vivant de << Monseigneur saint Louis », qui semblait assurer à ses successeurs la protection spéciale de Dieu. Déjà cette royauté si forte et si vénérée manquait de contrepoids. On a vu que, depuis Philippe le Bel, de grandes assemblées avaient été réunies, à certains moments, d'une façon presque régulière, et qu'elles comprenaient des membres du clergé et de la noblesse et des députés des bonnes villes'. Mais c'était le roi qui les avait convoquées dans l'intérêt de sa politique propre elles n'avaient rien entrepris pour se donner des droits. Aucune charte n'était intervenue entre le roi et les États, pour limiter le pouvoir royal et protéger le royaume contre le gouvernement d'un mauvais prince.

Seulement il manquait au roi de France des finances sûres et une bonne armée. La royauté devait vivre du produit de son domaine; c'était là un principe de droit public au Moyen Age; mais les produits du domaine en temps ordinaire, par suite du développement de l'Hôtel et des institutions royales, suffisaient tout juste aux dépenses. Philippe VI, avant la guerre anglaise, paraît avoir été préoccupé de se rendre un compte exact de la situation de ses finances. Nous avons, sous forme de rapports présentés au roi en 1332 et en 1335, des états sommaires donnant les recettes et les dépenses en gros 2. En recette, ils ne portent que les produits du domaine, de la justice royale et de quelques taxes d'importance secondaire; en dépense, ils ne comptent aucun frais de guerre. Or l'excédent, dans ces années de paix, est très faible: 9736 livres parisis en 1332 3, 31 088 livres parisis en 1335, ce qui était tout à fait insuffisant pour mettre en réserve un trésor de guerre. Il y a bien mention en 1335 d'autres grosses recettes,

1. Voir Histoire de France, t. III, 2o partie, p. 259-265.

2. Moranvillé, Rapports à Philippe VI sur l'état de ses finances, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, XLVIII, 1887. De Boislisle, Le budget et la population de la France sous Philippe de Valois, Annuaire-bulletin de la Société de l'Histoire de France, 1875.

3. Et encore ce chiffre est-il donné « sans faire déduction de ses gros dons et de ses grosses messageries ».

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