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L'étude de la littérature allemande est donc, à elle seule, une étude de littérature comparée. Multiple dans ses rapports et dans ses origines, cette littérature l'est également dans ses attaches locales. Elle n'a jamais eu un centre permanent. Au moyen âge, elle séjourne dans les manoirs féodaux et dans les cités municipales qui s'échelonnent sur le Danube et le Rhin. Au XVIIe siècle, elle se réfugie en Silésie, le seul coin de l'Allemagne que la guerre de Trente Ans eût laissé intact. Puis elle passe à Leipzig avec Gottsched, à Weimar avec Goethe, Herder et Schiller, à Berlin avec les romantiques. Depuis le commencement du XIXe siècle, la diffusion littéraire est plus étendue; l'esprit local s'affirme avec plus d'énergie; des écoles, grandes ou petites, se fondent partout, sur la Sprée et sur le Rhin, en Souabe, en Franconie, enfin en Autriche, cette terre de langue allemande à laquelle les historiens prussiens n'ont pas toujours accordé l'attention qu'elle mérite.

Toutes les périodes de la littérature allemande ont été l'objet de travaux importants, qui viennent en aide à une étude d'ensemble. Je me plais à reconnaître, en particulier, ce que je dois à Goedeke pour les renseignements historiques et bibliographiques, à Hettner pour la grande époque du xvII° siècle. En France même, depuis quelques années, des monographies intéressantes, ordinairement des thèses de doctorat, se publient sur des écrivains anciens ou récents; elles seront citées en leur lieu 1.

Je ne m'étendrai pas sur la méthode que j'ai suivie. Je

1. Les notes bibliographiques ne portent, pour chaque chapitre, que les ouvrages principaux qui sont à lire ou à consulter. Le lecteur qui aura besoin de renseignements plus complets les trouvera chez Goedeke: Grundrisz zur Geschichte der deutschen Dichtung aus den Quellen, 2o édition refondue, 7 vol., Dresde, 1884-1900 (il reste à publier un 8° volume et la table générale); ce « précis» est un vasto répertoire, où presque rien n'est oublié. L'ouvrage de Hermann Hettner fait partie de sa grande histoire littéraire du xvIII° siècle Litteraturgeschichte des XVIII. Jahrhunderts; Dritter Theil: Geschichte der deutschen Litteratur im XVIII. Jahrhundert, 4° éd., 4 vol, Brunswick, 1893-1894.

n'ai guère fait usage de certaines catégories dans lesquelles on a essayé d'enfermer l'histoire littéraire. Ces catégories séduisent au premier abord par un air de rigueur scientifique; leur faiblesse se montre dans l'application. Ce sont des compartiments commodes pour ranger les productions d'ordre inférieur. Toutes les fois qu'on a voulu y faire entrer des œuvres de haute originalité, ils se sont trouvés trop étroits. Quand on a découvert que la faculté maîtresse de Shakespeare était l'imagination, a-t-on beaucoup avancé l'explication de Hamlet et d'Othello? D'ailleurs, les ouvrages secondaires se classent d'eux-mêmes, sans le secours des formules; comme ils sont le produit d'une imitation plus ou moins consciente, ils dépendent toujours de quelque chose qui leur est supérieur et qui en donne la mesure. Mais les grandes œuvres échappent aux formules; c'est même par là qu'elles sont grandes.

Les catégories littéraires ont encore un autre inconvénient elles ressemblent parfois à des cercles vicieux. Pour juger un écrivain, il faut, dit-on, le placer dans son milieu. Mais par qui connaîtra-t-on le milieu plus sûrement que par les écrivains? Est-ce le xvII° siècle qui nous fera comprendre 'Corneille et Bossuet, ou Corneille et Bossuet qui nous aideront à comprendre le XVII° siècle? L'ancienne critique était exclusive en ce qu'elle rapprochait d'un même type idéal tous les ouvrages du présent et du passé; la critique moderne tomberait dans une étroitesse d'un autre genre, si elle ne les considérait que dans leur rapport avec le milieu où ils se sont produits. Quand on aura mis à part, dans l'œuvre de Goethe, ce qui appartient au xvII° siècle, et au XVIIIe siècle allemand, il faudra voir encore ce qu'il a apporté dans le monde de beauté littéraire, c'est-à-dire ce qui est indépendant du temps et du lieu où il a écrit.

La meilleure méthode, celle qui risque le moins de faire

violence aux faits, est peut-être encore celle de l'induction historique. Elle commence par une lecture attentive de ce qu'un écrivain a laissé; elle y joint les renseignements que l'on possède sur sa personne, sur son éducation, son caractère, ses rapports avec ses contemporains. L'homme et l'œuvre, ainsi rapprochés, éclairés l'un par l'autre, donnent une impression plus nette, une idée plus concrète, une image en quelque sorte visible. Les correspondances, les souvenirs des amis, les biographies, sont ici d'un grand secours. Ces sortes de renseignements abondent dans la littérature allemande; ils répondent à un besoin d'information qui est dans le public et qui va quelquefois jusqu'à la minutie. Quel est l'écrivain allemand de quelque importance qui n'ait eu son Eckermann, son « fidèle Eckart », qui ne l'a pas toujours compris, mais qui nous a du moins rendu le service de nous faire pénétrer dans son intimité? Lire les œuvres, connaître la vie de l'homme et ses relations, ce n'est pas tout. Il faut voir si, dans la succession de ces œuvres se manifeste un développement, soit progrès, soit décadence, si l'idéal moral et littéraire auquel elles répondent a changé; et, avec l'esprit philosophique des écrivains allemands, c'est presque toujours le cas. Il faut voir sous quelles influences ces changements ont eu lieu, ce que chaque écrivain doit à ses prédécesseurs, à ses contemporains. On arrive ainsi à établir les liens qui forment les écoles, et les liens qui unissent les écoles entre elles. Enfin, par-dessus les écoles, et à l'aide de leur filiation même, on suivra le mouvement général de la littérature, et, dans cette perspective lointaine, les grands écrivains apparaîtront seuls, comme des sommets.

J'ai suivi le développement de la littérature allemande. jusqu'au moment actuel : c'était peut-être une témérité. J'ai même pensé qu'il pouvait être utile de traiter avec une cer

taine étendue des sujets qui ont été moins étudiés chez nous et qui n'ont pas encore été présentés dans leur ensemble. J'espère que l'on me tiendra compte, pour cette partie du livre, de ce que des jugements sur des contemporains ont nécessairement de relatif et de personnel; j'ai tâché seulement que ces jugements ne soient jamais arbitraires 1.

1. M. Ludwig Geiger et M. Otto Pniower ont bien voulu revoir une des dernières épreuves, l'un pour les périodes modernes, l'autre pour le moyen âge; je les remercie du soin qu'ils ont apporté à ce travail.

HISTOIRE

DE LA

LITTÉRATURE ALLEMANDE

PREMIÈRE PÉRIODE

LES ORIGINES

DEPUIS L'INVASION GERMANIQUE

JUSQU'A L'AVÉNEMENT DE LA MAISON DE HOHENSTAUFEN (1138)

CHAPITRE PREMIER

LA HAUTE-ALLEMAGNE ET LA BASSE-ALLEMAGNE LES DIALECTES

Aspect géographique de l'Allemagne; la montagne et la plaine. Influence du climat sur le caractère des habitants et sur le langage. Le haut-allemand et le bas-allemand; les périodes du haut-allemand; la langue littéraire.

La civilisation s'est répandue, en Allemagne comme en France, du midi vers le nord. L'Allemagne méridionale, ou la HauteAllemagne, s'étend sur une largeur de 350 à 400 kilomètres, depuis les confins de la Suisse jusqu'au centre de la Saxe prussienne. Elle est comme une longue terrasse adossée à la chaîne des Alpes, et terminée au nord par un demi-cercle de montagnes, qui s'appuie d'un côté sur les Ardennes et de l'autre sur les Carpathes. Deux grands fleuves, qui recueillent dans leur cours une multitude d'affluents, y forment deux ouvertures, l'une au sud-est et l'autre au nord-ouest le Danube descend par une pente douce, entre la forêt de Bohême et les Alpes d'Autriche, vers les plaines de la Hongrie; le Rhin, après s'être frayé un

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