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Le

qui autrefois m'était familier-comme ma propre main, m'est devenu étranger. Les hommes au milieu desquels j'ai passé mon enfance ne me connaissent plus, et je doute moi-même si je les connais encore. Ceux qui jouaient avec moi sont vieux et fatigués. champ est retourné; les arbres de la forêt sont abattus; le ruisscau seul coule encore, comme il coulait jadis. Je suis donc bien malheureux, puisque ceux qui me serraient la main me saluent à peine? Je ne vois que tristesse partout, et je ne puis que gémir, — quand je pense aux jours dorés d'autrefois, qui ont laissé moins de trace qu'une pierre sur l'eau 1.

On peut suivre la carrière de Walther jusqu'en 1227, et il est probable qu'il mourut peu d'années après, à Wurzbourg. Il fut enterré dans le cloître de la cathédrale, et, d'après une légende qui n'est sans doute qu'un développement poétique de son nom, il aurait ordonné par testament que les oiseaux qui fréquentaient les galeries du cloître fussent nourris sur sa tombé. Considéré comme un maître pendant le moyen âge, presque oublié au AVI et au XVIIe siècle, il est redevenu un écrivain populaire dans l'Allemagne moderne. Le fait même qu'on puisse lui constituer une sorte de biographie est caractéristique; c'est une preuve que sa poésie est autre chose que le rêve indistinct des Minnesinger, et que derrière le poète il y a un homme.

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Walther de la Vogelweide eut de nombreux successeurs. Il faut citer seulement ceux qui, à la distance où nous sommes, et avec les renseignements qui nous sont parvenus, peuvent prendre à nos yeux une physionomie un peu nette. La vraie poésie des Minnesinger, la chanson amoureuse, est représentée encore avec un certain éclat par Otton de Botenlauben et par Chrétien de Hamle.

Otton appartenait à la famille des comtes de Henneberg. Il construisit dans la Franconie le manoir dont il a gardé le nom. Il suivit l'empereur Henri VI en Italie; plus tard, il partit pour la croisade, et il épousa en Orient une princesse issue d'un sang

1.

Owe, war sint verswunden alliu mîniu jâr?
ist mir min leben getroumet oder ist cz wâr?
daz ich ic wande daz iht wære, was daz iht?

• dar nách hân ich geslâfen unde enweiz ez niht... »

royal, disent d'anciens documents. Les deux époux fondèrent ensemble le monastère de Frauenrode, près de Kissingen, où se voient aujourd'hui leurs tombeaux.

Les meilleures poésies d'Otton de Botenlauben ne lui furent inspirées ni par la croisade même, ni par la passion subite qu'il éprouva pour une princesse orientale; elles furent composées avant son départ. L'une d'elles, sous forme de dialogue, contient ses adieux à une châtelaine :

Si la récompense promise par le Christ n'était si grande, je ne pourrais me résoudre à quitter la dame que je salue du fond de mon cœur. Elle est pour moi le royaume des cieux. - Tandis qu'elle demeure sur les bords du Rhin, protège-moi, Seigneur, et laissemoi conquérir, pour elle et pour moi, les dons de ta grâce 1.

La dame répond :

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Si je suis le ciel pour lui, à mon tour, je l'ai choisi pour mon dieu, afin que jamais il ne reste loin de moi: que Dieu me pardonne cette parole!

-

---

Christian de Hamle a su traduire les sentiments ordinaires des Minnesinger dans un style coloré, mais qui n'est pas exempt d'affectation. Dans une suite de strophes d'une forme harmonieuse, il apostrophe assez plaisamment le pré sur lequel a marché sa dame..

Seigneur Pré, quelle joie pour vous, lorsque ma dame est venue - et a avancé sa main blanche pour cueillir vos belles fleurs! - Permettez, Seigneur Pré, que je pose mon pied - à l'endroit où elle a marché.

Engagez la dame cruelle envers moi; vous son pied nu:

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que je porte dans mon cœur à être moins et je souhaiterai à mon tour qu'elle pose sur alors la neige ne pourra plus jamais s'arrêter sur Si elle consent à me sourire, mon cœur fleurira, comme l'herbe dont vous êtes orné 2.

vous.

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Wære Kristes lôn niht alsó süeze,

« so enlicze ich niht der lieben frowen min,

« die ich in mînem herzen dicke grüeze:

si mac vil wol mín himelriche sîn.

« swâ diu guote wone alumbe den Rin,

« herre Got, sô tuo mir helfe schin,

« daz ich mir und ir erwerbe noch die hulde dîn. »

«Her Anger, waz ir fröide iuch muostet nieten,

do min frowe kom gegân

« und ir wizen hende begunde bieten

Cela est trop courtois; les Artamènes du XVIIe siècle ne parleront pas autrement. Il y a plus de vraie poésie chez Nithart de Reuenthal, un chevalier bavarois, qui avait son manoir près de Landshut sur l'Isar. Il prit part à la croisade de Léopold le Glorieux, duc d'Autriche, en 1217. A son retour, il se brouilla, on ne sait pourquoi, avec son suzerain, et il fut obligé de quitter la Bavière. Frédéric le Batailleur, fils de Léopold, lui offrit un asile; il lui donna même un fief, à Melk, sur le Danube, en amont de Vienne : un cadeau princier, dit-il dans une poésie, si le possesseur n'avait dû payer la redevance féodale, dont il aurait eu grand besoin pour l'éducation de ses enfants. Nithart, sentant la poésie chevaleresque se perdre dans la mièvrerie galante, essaya de la renouveler au contact de la nature. Ses meilleures pièces de vers sont des tableaux champêtres, animés par une danse, et quelquefois par une rixe de paysans, car Nithart ne dédaigne pas l'élément comique. Il emprunte souvent la forme du dialogue. Voici un de ses airs de danse :

Toutes les bouches chantent les fleurs sont écloses sur les prés

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louanges du mois de mai. que l'hiver avait dépouillés. - Le Entendez-vous le mouvement de la

et riches de contentement.

tilleul a repris son feuillage. danse? Quels joyeux groupes! Ils sont libres de soucis Les jeunes filles sont parées et toutes gracieuses; elles ont mis des rubans de soie à leurs corsages blancs, afin que les jeunes gens de la Bavière, de la Souabe et de la Franconie les trouvent à leur gré. l'une d'elles. c'est à perdre courage.

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Pour qui me parerais-je?» - dit

⚫ gens sont si endormis, maintenant :
⚫ monde ne connaît plus ni la joie ni l'honneur.

Les jeunes
Le

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· Les hommes sont

inconstants; ils ne cherchent plus à plaire ni à se faire aimer. Tu leur fais vraiment tort, dit une autre. —

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⚫ quelque bonheur pour nos jeunes années; il est encore des ⚫ hommes qui cherchent à plaire aux femmes qui le méritent. Tu te trompes vraiment. J'en connais un qui est capable de chasser les peines d'une jeune fille.

.

Je voudrais le voir, - celui qui a su te plaire.

• ceinture que je porte

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sera le prix de ta confidence), — dis-moi le

⚫ nom de cet homme qui t'aime d'un amour si rare.

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⚫ je rêvais cette nuit que ton cœur n'était plus dans notre village. -C'est celui que tout le monde appelle le scieur de Reuenthal

«nâch iuwern bluomen wolgetân!
erloubet mir, hêr grüener Plân,

« daz ich mine füeze sezzen müeze,
a då min frowe hât gegân... >>

-

(Éd. de Bartsch.)

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- et dont les chansons se redisent partout. - C'est lui qui m'aime, et je lui en suis reconnaissante. — C'est à lui que je pense, — lorsque je me pare de fleurs... Mais quitte-moi, voici l'heure de vêpres 1. »

--

On voit, par la dernière strophe, que Nithart avait le sentiment de sa valeur. Il fut, en effet, un novateur dans la littérature; on peut le considérer comme le fondateur de la pastorale allemande.

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LE TANNHÆUSER. LA LUTTE DES CHANTEURS
A LA WARTBOURG.

A mesure que l'école des Minnesinger penchait vers son déclin, les souvenirs qu'on avait gardés de quelques-uns d'entre eux se mêlaient d'éléments légendaires. Au moyen âge, tout ce qui frappait vivement les esprits avait tôt ou tard sa légende. Ce qui est parfois difficile à démêler, ce sont les motifs qui déterminaient l'imagination populaire dans le choix de ses héros. Pourquoi le Tannhauser a-t-il été distingué parmi les poètes ses contemporains, qui avaient au moins autant de talent que lui? C'est peut-être à cause de sa vie aventureuse et de ses brusques changements de fortune. Il appartenait à la noble famille des comtes de Tannhausen en Bavière. Il vécut d'abord à la cour de Frédéric II le Batailleur, duc d'Autriche, qui, à ce qu'il paraît, le dota richement. Il dépensa tout son avoir, et, à la mort de Frédéric, il se vit réduit à chercher un gîte. Il s'adressa au duc de Bavière Otton II, qui lui fit bon accueil; mais la mort de son nouveau protecteur le laissa encore une fois dans l'abandon. Il parcourut l'Allemagne en tous sens, riche un jour, pauvre le lendemain, et toujours chantant. Ses poésies sont de brillantes improvisations. Il ne vise pas à l'originalité, et il emprunte sans scrupule à ses devanciers; mais il a de l'esprit, et quelquefois

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« da man ê deheine kunde vinden.

geloubet stânt die linden;

[kinden....

« sich hebt, als ir wol habt vernomen, ein tanz von höfschen

Éditions. Les poésies de Nithart ont été publiées par M. Haupt (Leipzig, 1858) et plus récemment par Keinz (Leipzig, 1889).

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de la grâce. Voici une de ses chansons les moins banales; encore paraît-elle puisée à une source populaire :

Ma dame, que j'ai tant servie, veut me payer de retour. II faut lui en rendre des actions de grâces, car elle ne met presque aucune condition à ses faveurs. Elle demande seulement que je détourne le Rhin, — afin qu'il ne passe plus à Coblentz : alors sa volonté sera la mienne. Si je vais ensuite prendre dans la mer une poignée de sable, à l'endroit où le soleil se repose, plus rien à me refuser. Près de là luit une étoile : cherai, en passant, pour elle.

Mon parti est pris :

tout ce qu'elle voudra,

bon. Mais je ne la trahirai pas : dame dont je parle.

Dieu seul sait

elle n'aura -je la décro

je le trouverai

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le Danube est trop bruyant :

L'Elbe coule trop doucement, quand j'aurai remédié à cela, - ma dame sera toute bonne pour moi. - Quand j'aurai pris la salamandre dans le feu et la lui aurai présentée, je serai sûr de ma récompense, et tous mes vœux seront accomplis. Ensuite j'obtiendrai du ciel - qu'il me laisse faire la pluie et le beau temps, et ma dame ne me demandera plus rien que de lui faire un printemps éternel.

Mon parti est pris :

tout ce qu'elle voudra, je le trouverai bon. Mais je ne la trahirai pas : - Dieu seul sait quelle est la dame dont je parle1. »

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--

Un jour, sa dame Dieu sait laquelle, pour parler comme lui — ne lui suffit plus. Il se rendit dans la caverne où l'antique déesse Vénus était reléguée avec ses nymphes. Mais bientôt, saisi de remords, il voulut repartir, et, comme la déesse le retenait, il invoqua le nom de la vierge Marie; aussitôt les enchantements cessèrent. Il alla se jeter aux pieds du pape, pour se faire par

1.

Min frowe diu wi lônen mir,

« der ich so vil gedienet hân.
« des sult ir alle danken ir:

si hât so wol ze mir getân.

si wil daz ich ir wende den Rîn,
daz er für Kobelenze iht gê:
« so wil si tuon den willen min.
mag ich ir bringen von dem sê

des grienes, dà diu sunne gêt
« zo reste, so wil si mich wern.
ein sterne dà bî nâhe stêt,
des wil si von mir niht entbern.
«Ich hân den muot,

« swaz si mir tuot,

daz sol mich allez dunken guot.

si hat sich wol an mir behuot, diu reine:
sunder Got alleine,

« so weiz die frowen nieman, diech då meine.... »

(Ed. de Bartsch.)

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