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« conte que j'ai entendu dans mon enfance. Un chevalier arr <«< devant un palais où il devait trouver une princesse enchant <«<et il voulut entrer. Devant la première porte, un gardien «< demanda, d'un air embarrassé et d'une voix tremblante, « déposer ses armes s'il voulait aller plus loin. Le chevalier ob « A la seconde porte, un autre exigea de lui, avec une mine | <«< hardie et d'un ton plus impérieux, qu'il ôtât son armure. I <«< fit. A la troisième porte enfin, un compagnon tout à fait imp << tinent lui barra le chemin, et voulut sans plus de façon lui <«<les mains derrière le dos. Alors, à bout de patience : « Si cà <«< continue,» s'écria-t-il, «< on voudra, dans l'intérieur, que je ■ << pende de mes propres mains, et je ne vois pas dès lors com «ment je pourrai délivrer la princesse et avoir d'elle une v <«< lante postérité. » Et il s'en retourna. Le fit-il pour s'en abr « tout à fait, ou seulement pour remettre son armure, reprendre <«< ses armes et revenir complètement équipé? c'est ce que je r <<< sais. >>

Le chevalier reviendra, cela est certain; il reviendra, non p complètement, mais plus légèrement équipé, et avec des arms mieux appropriées au but qu'il poursuivait. Et Hebbel lui-mê est revenu plusieurs fois.

Autant Hebbel montre d'indifférence pour la forme, autant' se préoccupe de ce qu'il appelle l'idée de ses pièces, et ses idée ne sont pas toujours des plus simples, ni de celles qui s'expr. ment aisément sur un théâtre. La poésie est, pour lui, une sorte de métaphysique en images. La philosophie, dit-il dans so Journal, s'est toujours efforcée d'atteindre l'absolu, mais c'est l proprement la tâche de la poésie. Or l'absolu traduit en images, c'est le symbole. Certains personnages de Hebbel renfermed même plusieurs symboles à la fois; alors il les tourne en s sens, pour que l'idée apparaisse sous toutes ses faces. Ce ne sect plus des êtres en chair et en os, ce sont des automates d un machiniste tient les fils. Eux-mêmes s'analysent et s'expl quent devant le spectateur, comme s'ils craignaient de n'êtr pas compris; et quand l'explication parait insuffisante, l'aute se tient dans la coulisse pour la compléter. « Un vrai drame, dit-il encore, « peut se comparer à un grand bâtiment, quia « presque autant d'allées sous le sol qu'à la surface; l'homu: << ordinaire ne connait que celles-ci, l'architecte connaît encers « celles-là. >>

La première pièce de Hebbel est une de celles qu'il a le plus creusées. « La Judith de la Bible n'a pas pu me servir, » dit-il; c'est une veuve, qui emploie la ruse pour surprendre Holo

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pherne; elle se réjouit lorsqu'elle tient sa tête dans un sac; ‹et, pendant trois mois, elle chante des cantiques devant tout ‹ Israël : cela est commun... Une âme virginale peut seule élever son courage au niveau d'une entreprise aussi extraordinaire. ‹ D'un autre côté, une âme virginale ne peut pas se sacrifier elle‹ même, car sa force tomberait avec sa pureté. » En vertu de ce aisonnement, il faut que Judith tienne à la fois de la vierge et de a femme; elle est mariée, mais le mariage n'a pas été consommé; et lorsqu'elle a sacrifié son honneur, ce qu'elle venge sur Holopherne, ce n'est pas l'oppression de son pays, mais l'outrage qu'elle a subi. La tragédie patriotique s'est transformée ainsi en un drame passionnel très subtilement nuancé. Ce n'est pas tout: cette première allée souterraine est croisée par une seconde. « Judith est le sommet vertigineux du judaïsme, de ce peuple « qui se croyait en contact immédiat avec la divinité; Holopherne, c'est le paganisme qui se précipite à sa ruine, après avoir voulu « enfanter la divinité dans son propre sein; et le judaïsme et le paganisme ne sont, à leur tour, que les deux termes d'un « dualisme qui partage l'humanité depuis l'origine des choses. »>> Nous voilà, en effet, aux portes de l'absolu. Le style est celui de la période Sturm-und-Drang. Holopherne se compare à un ouragan. « L'ouragan coupe l'air en mugissant; il veut savoir «< s'il a un frère. Mais les chênes, qui semblent le braver, il les « déracine; il renverse les tours, et il soulève le globe terrestre « hors de ses gonds. Il comprend alors que son pareil n'existe « pas, et, de dégoût, il s'endort. » Lorsqu'on lui annonce Judith, il dit : « J'aime à voir toutes les femmes du monde, à l'exception « d'une seule que je n'ai jamais vue et que je ne verrai jamais. Un officier: Laquelle? Holopherne: Ma mère. Je n'ai jamais « eu plus envie de la voir que de voir mon tombeau. Ce qui me « réjouit le plus, c'est de ne pas savoir d'où je suis venu. Des <«< chasseurs m'ont pris comme un vigoureux gars dans une «< caverne de lions; une lionne m'a allaité. Et qu'est-ce donc « qu'une mère pour son fils? Un miroir de sa faiblesse d'hier et « de demain... » Judith aussi est un être surnaturel; tout homme qui l'approche est frappé de démence ou de mort. Holopherne seul serait digne d'elle, s'il n'était l'ennemi de Dieu; elle l'aime

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et elle l'a en horreur, et, à la fin, elle demande la mort, pour m pas donner une postérité au monstre 1.

Hebbel écrivit assez rapidement, dans les quinze années qu suivirent, une série de tragédies et de comédies, en vers ou e prose. Les tragédies en vers sont : Geneviève (1840-1841) 2, Hero et Marianne (1847-1848) et l'Anneau de Gygès (1854), chacune a cinq actes.

Geneviève a quelque chose d'enfantin; c'est un conte, qu'a ne lit pas sans déplaisir, malgré les longueurs, mais qu'on n se figure pas sur un théâtre, à moins que ce ne soit un théâtr de marionnettes. Une sorcière mène l'intrigue; les événe ments sont à peine motivés. Golo expose ses intentions en minelles et ses scrupules de conscience dans de petits mon- 1 logues. Peut-être y a-t-il une idée mystique au fond, à en just † par ces paroles prononcées par un esprit : « Dieu a fait, ds «<l'origine des choses, ce serment de miséricorde, de ne p <«<extirper le genre humain, pourvu qu'un seul juste se lève tos <«<les mille ans. En ce moment, son œil est dirigé sur Genevièvɛ. «Elle souffrira pendant sept ans tout ce qu'un être humain pert << souffrir; puis elle entrera dans la félicité, et en même temp << un sentiment de confiance pénétrera le cœur de tous le << hommes. >> Mais ce sentiment ne se manifeste pas dans la pièce, l'intention philosophique de l'auteur est donc perdue.

Le sujet d'Hérode et Mariamne est plus concret. Voltaire avai déjà composé une Mariamne, après Alexandre Hardy et Tristan Lhermite; elle fut si mal reçue, dit-il lui-même, « qu'à peine «< put-elle être achevée; Mariamne intraitable n'intéressa point: « Hérode, n'étant que criminel, révolta, et son entretien avec <«< Varus le rendit méprisable. » C'est la critique du sujet, # elle s'applique également à l'œuvre de Hebbel, malgré la conclusion biblique qu'il y a ajoutée. C'est une scène originale qu: celle où les trois mages viennent chercher l'enfant royal vers lequel une étoile les a conduits chacun par des chemins diffrents. Mais Hérode fatigue par la monotonie de sa bassesse et de ses crimes; deux fois il quitte sa cour pour se jeter aux pieds

1. Hebbel, malgré son mépris des conventions, a essayé d'approprier sa Jud au théâtre; il a modifié la scène la plus scabreuse; Judith sauve son honnet mais dès lors l'idée de la pièce n'existe plus.

2. Les dates que porte la collection des œuvres complètes sont celles de la composition, non de la publication. Judith est de 1839-1840.

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les Romains, et deux fois il met à l'épreuve la vertu de Mariamne, qui lui reste fidèle, tout en le haïssant.

Avec l'Anneau de Gygés, nous retournons au pays de la fable; l'action se passe, » dit Hebbel, «< aux temps préhistoriques et mythiques. » C'est un conte oriental qui plaît dans le vieil Hérodote, mais qui devient choquant et presque ridicule sur une cène moderne. Cela est si vrai que les trois personnages prinipaux, le roi Candaule, sa femme Rhodope et Gygès veulent uccessivement se donner la mort, comme s'ils avaient conscience le la situation fausse où le poète les a mis.

Gygès est la mieux écrite des tragédies en vers de Hebbel. En énéral, son vers est terne, traînant, même incorrect. Sa prose plus de force et de mouvement. Agnès Bernauer, « tragédie allemande », en cinq actes et en prose (1851), est peut-être la neilleure de ses pièces. Le sujet est intéressant. Agnès est la ille d'un chirurgien d'Augsbourg. Albert de Wittelsbach, fils du luc régnant Ernest de Bavière, la voit dans un tournoi, auquel il a été convié par la noblesse et la bourgeoisie; il est ébloui par sa beauté, et il l'épouse secrètement. Mais il publie son mariage quand son père veut l'unir avec Anne de Brunswick. Le duc de Bavière, n'écoutant que la raison d'État, déclare Albert de Wittelsbach déchu de son héritage et même de son rang de chevalier; il lui interdit l'entrée de la lice au tournoi de Ratisbonne; enfin il fait condamner Agnès comme sorcière, la fait surprendre dans son château et précipiter dans le Danube. Albert, pour venger sa femme, met le pays à feu et à sang. Mais ensuite, menacé d'être mis au ban de l'Empire et excommunié, il se soumet, s'humilie, et accepte implicitement la flétrissure jetée sur son mariage. Cette conclusion est conforme à l'histoire; mais 'histoire a une ressource qui manque au poète dramatique, le emps, qui change les sentiments des hommes, et qui fait succéder les conseils de la sagesse aux entraînements de la passion. Le théâtre n'admet pas les conversions trop rapides. Le caractère d'Agnès, qui aime mieux mourir que de reconnaître l'arrêt qui la frappe, a de la noblesse. L'action a des sauts trop brusques, le poète n'ayant voulu se priver d'aucun épisode caractéristique; mais les situations principales se détachent avec vigueur.

Agnès Bernauer est le moins philosophique des drames de Hebbel, et c'est encore un de ses avantages. Hebbel symbolise dans ses tragédies historiques, il moralise dans ses tragédies bour

geoises. Deux pièces appartenant à ce dernier genre, Mar Madeleine (1844) et Julia (1846-1847), chacune en trois actes semblent dirigées contre la tyrannie des conventions sociales spécialement des relations de famille. Marie-Madeleine contie d'abord une exposition très nette, d'un style ferme et vigoureu puis une suite de situations tendues et mal motivées, horr, bles en elles-mêmes et invraisemblables par leur répétition. I père, un bourgeois de la vieille roche, dur en paroles, m probe et loyal, a déclaré qu'il mourrait si un soupçon plans jamais sur la vertu de sa fille. Or celle-ci, se croyant oubliée à l'homme qu'elle aimait, est devenue la victime d'un intrig vulgaire, qui la repousse après l'avoir déshonorée. Elle se t et l'on prévoit que le père ne lui survivra pas longtemps. Dr autre intrigue côtoie celle-ci la mère meurt en apprenant q son fils est accusé d'un vol, et l'on découvre presque aussi que l'accusation était injuste. Des cas exceptionnels ne sont p S plus probants en morale qu'au théâtre. Le sujet de la tragé & de Julia est plus étrange encore, et paraîtrait invraisemblab. même dans un roman. Julia s'enfuit de la maison paternele pour rejoindre son amant; celui-ci manque au rendez-vous, elle veut se donner la mort; alors elle rencontre un étrange qui lui offre de l'épouser. Le père de Julia, apprenant sa fuit la fait passer pour morte, et prépare même son enterrement Or voici que l'étranger la ramène; mais le père refuse d les recevoir. On apprend à la fin que le généreux inconnt veut expier par un bienfait un crime qu'il a commis, et qu'il ne demande qu'à donner à Julia son nom et sa fortune et å mourir ensuite pour la laisser libre. On apprend aussi que l'amant de Julia est un chef de brigands, que l'amour a conver Tout cela fait l'objet d'une intrigue compliquée, obscure; on it deux actes sans savoir au juste où l'auteur veut nous mener.

Les plus faibles des ouvrages dramatiques de Hebbel sont s comédies. Les fantaisies de Shakespeare l'avaient séduit, mais pour les imiter, il aurait fallu à la fois moins de pessimisme et pl de grâce. Le Diamant, comédie fantastique en cinq actes et en pres (1841), n'est que burlesque. Un juif a avalé un diamant pour l'approprier, et il faut l'intervention d'un juge, assisté d'u médecin, pour le lui faire restituer. Le diamant, qui avait appar tenu d'abord à une princesse, et qui avait passé ensuite en diverses mains, est, paraît-il, l'emblème des faux brillants que le

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