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après 1848. C'est une sorte d'orateur populaire qui emprunte le langage des Muses, et qui profite d'une circonstance quelconque, d'une fête patriotique ou d'un grand anniversaire, pour sa propagande politique et religieuse. Il a été l'un des moins violents parmi les poètes du nouvel Empire, ne dédaignant même pas de rappeler à ses compatriotes que la France avait été la première à combattre pour la liberté des peuples 1.

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Les dialectes de la Haute-Allemagne avaient pénétré dans la littérature avec Hebel et les poètes autrichiens; ceux de la BasseAllemagne y furent introduits un peu plus tard par Klaus Groth et Fritz Reuter. Mais l'œuvre de ceux-ci était plus délicate que celle de leurs prédécesseurs. Les dialectes de la Haute-Allemagne étaient plus près de la langue littéraire; ils pouvaient plus facilement empiéter sur elle, lui emprunter certaines tournures, certaines formes de versification; ils pouvaient s'adapter aussi, sans trop d'effort, à un ordre d'idées qui n'étaient pas précisément celles du peuple. Il suffit d'ouvrir, à la première page venue, les poésies allémaniques de Hebel, pour voir ce qu'une main délicate peut ajouter au fonds primitif d'un langage provincial. De plus, la parenté du dialecte avec la langue littéraire crée d'abord un lien entre le poète et le lecteur. Les poésies de Hebel, dites à haute voix, sont comprises de tout Allemand, à quelque région qu'il appartienne, lors même que certains passages l'arrêtent à la lecture. Il n'en est pas de même pour Klaus Groth et Fritz Reuter. S'ils veulent être conséquents avec eux-mêmes, ils ne peuvent exprimer dans leur idiome basallemand que les idées et les sentiments dont cet idiome est le truchement naturel. Autrement, ils ne sont que des traducteurs, et leur œuvre est artificielle.

Klaus (ou Nicolas) Groth s'est fait l'interprète de ce petit peuple des Dithmarses, qui occupe les terres basses comprises entre les bouches de l'Elbe et celles de l'Eider, un peuple de pâtres et de pêcheurs, de vieille souche saxonne, qui avait défendu son indé

1. Éditions. Gedichte, Elberfeld, 1856 (augmenté dans les éditions suivantes : -Neue Gedichte, Leipzig, 1872.

pendance jusqu'à la fin du moyen âge contre les évêques de Brême et de Schleswig, les rois de Danemark et les ducs de Holstein. Il est né à Heida, en 1819; il dirigea pendant sept ans une école de filles dans sa ville natale, fit ensuite un voyage à travers l'Allemagne, séjourna quelque temps à Bonn et à Dresde, et devint, en 1866, professeur à l'université de Kiel; il mourut en 1899. Klaus Groth publia, en 1852, son premier recueil de poésies, sous le titre de Quickborn; c'était une source vive, pensait-il, où l'âme du peuple s'épanchait librement, où se réflétait le vert paysage des dunes 1. Il faut bien reconnaître que çà et là un filet d'eau classique ou romantique se canalise dans la source vive; mais, en général, le flot est pur, et le ciel se mire dans sa clarté. Le Quickborn fut suivi de Récits 2, et eut lui-même une seconde partie en 1870. Klaus Groth ne se contente pas de traduire, dans des chansons, dans des idylles, dans des élégies, les simples impressions des paysans au milieu desquels il a longtemps vécu; il remonte aux origines de leur histoire, il raconte les luttes de leurs ancêtres contre de puissants voisins. Alors il puise dans les chroniques, et il met en dialecte ce qui a été dit primitivement en langne littéraire, ce que lui-même peut-être a d'abord pensé en langue littéraire. Il est persuadé que tout peut se dire par la bouche d'un Dithmarse; il le démontre même théoriquement, et il fournit les preuves à l'appui. Dès lors, toute spontanéité cesse; le critique prend la place du poète, et l'œuvre devient un pastiche 3.

Fritz Reuter n'a jamais disserté sur la noblesse du langage populaire; il aimait celui de son pays, et il ne le séparait pas, dans sa pensée, des gens qui le parlaient. « Mes poésies,» dit-il, <«<< sont des gamins de la rue. Qu'ils sont vilains! dit la baronne « qui les regarde de loin avec sa lorgnette, et qui détourne les « yeux avec dégoût; elle ne trouve pas la moindre trace de haute « culture, pas le moindre trait romantique dans la physionomie de « cette canaille. » Pourtant cette «< canaille » se montre capable de sentiments profonds, qu'elle exprime à sa manière. Elle se

1. En haut-allemand, Queckbrunnen; voir le sonnet d'Opitz Ueber den Queckbrunnen zum Buntslau in Schlesien.

2. Vertelln, Kiel, 1855-1859.

3. Voir Briefe über Hochdeutsch und Niederdeutsch, Kiel, 1858; Ueber Mundarten und mundartliche Dichtungen, Berlin, 1873. Il faut citer encore l'idylle Rotgeter maister Lamp un sin Dochder (Hambourg, 1862). bourg, 1851) sont écrites en haut-allemand.

Les poésies Hundert Blätter (Ham

compose d'abord de quelques figures tout à fait ordinaires; puis, peu à peu, le cercle s'étend, le groupe se diversifie; mais le tableau reste toujours vrai, parce que le peintre ne sort jamais de son domaine et ne représente que ce qu'il a vu. Fritz Reuter ne parut que très tard devant le public, et ses premiers ouvrages sont déjà le résultat d'une longue expérience. Il est né en 1810, à Stavenhagen, petite ville du Mecklembourg-Schwérin, sur les confins de la Poméranie. Son père, qui était bourgmestre, juge municipal et propriétaire campagnard, voulait le préparer à lui succéder un jour dans sa fonction et dans sa culture; il l'envoya donc à Rostock et ensuite à léna, pour étudier le droit. Si le jeune étudiant avait pu suivre son goût, il se serait fait peintre. Pour donner un aliment à son imagination, il entra dans la Germania, une association où l'on discourait beaucoup et bruyamment sur l'avenir de l'Allemagne. « Nous étions trop faibles pour « agir, » dit-il, « et trop bêtes pour écrire; nous nous donnions «<< donc, en bons Allemands, la satisfaction de parler; il est vrai «< que nous portions aussi en plein jour les couleurs nationales. » La Germania fut dissoute en 1833; Reuter retourna dans son pays; mais il eut ensuite l'imprudence de se rendre à Berlin, où se trouvaient quelques-uns de ses collègues les plus compromis. Il fut arrêté; son procès dura un an, et se termina par une condamnation à mort, qui fut commuée en trente années de forteresse. Il fut traîné de prison en prison, tantôt traité avec douceur, tantôt surveillé comme un criminel, selon l'humeur du gardien. Enfin, en 1840, il profita de l'amnistie par laquelle Frédéric-Guillaume IV inaugura son règne; encore fallut-il l'intervention du grand-duc de Mecklembourg pour le tirer des mains de ses geôliers. Sa carrière était à recommencer, et sept années de réclusion ne l'avaient pas rendu plus dispos pour le travail. Il se remit d'abord au droit, à Heidelberg, mais sans succès. Puis il se fit agriculteur, ou strom, comme on disait en bas-allemand, dans les domaines de sa famille. Son père mourut en 1845; la fortune qu'il laissait se trouva moins considérable qu'on ne l'avait pensé ; il fallut vendre les propriétés. Pendant quelques années, Fritz Reuter vécut d'expédients; mais sa bonne humeur, son esprit de repartie, son talent d'improvisateur le faisaient partout bien accueillir. Enfin, en 1850, voulant épouser la fille d'un pasteur, il dut se créer des ressources; il s'établit à Treptow, en Pomeranie, et donna des leçons; en même temps, l'idée lui

vint, ou plutôt lui fut suggérée par ses amis, de faire imprimer les historiettes qu'autrefois il débitait devant ses hôtes. C'est l'origine de ses Drôleries en vers 1, où l'esprit local s'exprimait dans sa crudité naïve. Klaus Groth lui reprochait, avec une vivacité qui n'était pas exempte de jalousie, d'avilir le langage populaire et de faire de la Muse «< une gardeuse de vaches ». Les paysans du Mecklembourg et de la Poméranie furent d'un autre avis; ils s'arrachèrent le livre, et bientôt les gens du monde suivirent leur exemple. Dans ces simples histoires, d'une gaîté franche, éloignée de toute effronterie comme de tout sarcasme, se révélait un fonds de poésie agreste d'une étrange saveur, et la nouveauté de certaines images montrait quelles ressources d'expression la nature humaine tient toujours en réserve pour qui sait les découvrir. Encouragé par le succès, Fritz Reuter écrivit encore d'autres contes en vers, même deux comédies; puis il commença ses récits en prose, les Vieilles Histoires 2, qui fondèrent définitivement sa renommée. Dans l'intervalle, il avait transporté son domicile à Neubrandenburg; plus tard, il se fit construire à Eisenach, au pied de la Wartbourg, une élégante villa, où il mourut en 1874. Les meilleures parties des Vieilles Histoires sont celles que l'auteur tire de son expérience personnelle: Du temps de la guerre contre les Français, Mes années de forteresse, et son chef-d'œuvre : Du temps où j'étais fermier 3. Fritz Reuter invente peu; il observe et il peint. Il assemble les faits, sans même chercher à les grouper; il ne compose pas. Ses plans sont à peine suivis; son récit est coupé d'épisodes, et les épisodes sont souvent plus intéressants que l'histoire. Son art se montre surtout dans la manière de présenter les personnages; en quelques mots, il les met en scène; par quelques traits, il nous les fait voir. Il sait même diversifier leur langage, nuancer leur dialecte, selon leur éducation et leur caractère. Il a créé quelques

1. Läuschen un Rimels, Wismar, 1853.- Neue Folge, Neubrandenburg, 1858. Le mot Läusche n'a pas de correspondant en haut-allemand.

2. Olle Kamellen, sept parties, Wismar, 1860-1868. Littéralement, vieilles camomilles, oubliées au fond d'un tiroir, où elles ont perdu leur saveur et leur parfum. C'est une expression courante dans le Nord, pour désigner une chose surannée, rebattue. Il n'est pas nécessaire de penser, comme le fait M. Albert Sorel, aux vertus calmantes de la camomille, à ces « bons remèdes domestiques qui chassent a les vapeurs et remettent les sens en équilibre ». (Revue des Deux Mondes, 15 mars 1869.)

3. Ut de Franzosentid, 1860; Ut mine Festungstid, 1862; Ut mine Stromtid, 1862-1864.

types qui resteront dans la littérature, et qui sont plus que des originaux de province '.

1. Éditions des œuvres.

Sämmtliche Werke, 13 vol., Wismar, 1863-1868; Nachgelassene Schriften, 14 et 15 vol., avec une biographic, par Wilbrandt, Wismar, Volksausgabe, 7 vol., Wismar, 1877; 9e éd., 1895.

1875.

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A consulter. - Glagau, Fritz Reuter und seine Dichtungen, Berlin, 1866. — Ebert, Fritz Reuter, Gustrow, 1874. Latendorf, Zur Erinnerung an Reuter, 1880. Gædertz, Aus Fritz Reuter's jungen und alten Tagen, 3o éd., Wisma 1899. Wahrheit und Dichtung in Reuters Werken, Wismar, 1894.

Raazt

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