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caractère élémentaire. C'est un livre de lecture, tracé d'une plume élégante et facile, un bon résumé pour ceux qui savent, et une excellente introduction pour ceux qui apprennent. L'idée générale qui domine toutes les recherches d'Otfried Müller, c'est celle de l'originalité absolue de la civilisation grecque, civilisation autochtone, pur produit de la race et du sol, soustraite à toute influence étrangère : le seul point important sur lequel ses conclusions ont été modifiées par ses successeurs.

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Ernest Curtius exécuta, sur des dimensions moindres, ce plan d'histoire grecque conçu par Otfried Müller. Il naquit en 1814, à Lubeck, où il se lia de bonne heure avec le poète Geibel. Il fit, au sortir même de ses études universitaires, son premier voyage en terre classique. Il parcourut avec Otfried Müller une partie de la Grèce. A Athènes, il retrouva Geibel, et ils publièrent ensemble un volume de traductions d'auteurs grecs sous le titre d'Études classiques 1. Curtius revint par l'Italie. Il fut ensuite professeur au gymnase français et au gymnase de Joachimsthal, à Berlin. En 1844, il devint précepteur du prince Frédéric-Guillaume, plus tard empereur sous le nom de Frédéric III, et il accompagna son élève à l'université de Bonn. En 1856, il fut appelé à la chaire de philologie classique et d'archéologie de Gættingue. Il interrompit son enseignement pour un second voyage en Grèce, dont les résultats furent ses Études attiques 2 et ses belles cartes d'Athènes. En 1868, il fut nommé professeur à l'université de Berlin; il était depuis 1853 membre de l'Académie des sciences. Un troisième voyage, en 1871, lui fit parcourir l'Asie Mineure. Plus tard, il dirigea encore les fouilles d'Olympie 3. Il mourut à Berlin, en 1896.

Curtius ne cherche pas, comme Otfried Müller, le berceau de la civilisation grecque dans les vallées de la Thessalie, aux environs du mont Olympe, mais plutôt sur les côtes de l'Asie Mineure,

nuscrit original a été publié par Édouard Müller: Geschichte der griechischen Litteratur bis auf das Zeitalter Alexanders, 2 vol., Breslau, 1841. Traduction française de K. Hillebrand, avec une introduction, 2 vol., Paris, 1865

1. Classische Studien, Bonn, 1840.

2. Attische Studien, deux fascicules, Goettingue, 1863-1864.

3. On en trouve la relation au second volume des Gesammelte Reden und Vorträge; 2 vol., Berlin, 1882.

ou dans la mer Égée elle-même, « la mer bienveillante et douce », qui, par ses baies hospitalières et ses îles semées de distance en distance, semblait inviter le navigateur à se confier à elle. C'est là, « sur les sentiers humides d'Homère qui unissent les hommes <«<< entre eux », que s'est exercée et épanouie cette race ionienne, souple, industrieuse, inventive, aventureuse aussi, qui n'a jamais su se gouverner elle-même, et qui pourtant a fait durer le génie grec à travers les âges. C'est aussi dans l'Asie Mineure et sur les routes maritimes que Curtius retrouve le lien qui unit la Grèce aux nations plus anciennement civilisées de l'Orient. Il cherche moins à isoler son sujet qu'à le classer dans le plan général de l'histoire. Mais, en même temps, il marque avec une grande netteté ce qui fait, dans le groupe des nations anciennes, et ce qui fera dans tous les temps la haute originalité de la civilisation grecque, « cette civilisation qui façonnait dans une << mesure égale l'âme et le corps. Car on ne pensait pas alors que « l'homme fût composé de deux moitiés, qui n'avaient pas droit <«< aux mêmes respects, et dont l'une, l'esprit, avait seule besoin «<< d'une éducation spéciale. On ne se représentait pas un esprit «<< sain dans un corps débile, ni une âme sereine dans une enveloppe négligée et alourdie. L'équilibre de l'être corporel et de « l'être spirituel, la culture harmonieuse de toutes les forces et « de tous les instincts de la nature, telle était pour les Hellènes la « tâche de l'éducation; et voilà pourquoi la souplesse vigoureuse «et l'élasticité des membres, l'endurance à la course et au combat, «< une démarche assurée et légère, une attitude libre et dégagée, « une certaine sève de santé, la netteté et la vivacité du regard, «<enfin le sang-froid et la présence d'esprit que donne l'habitude « journalière du danger, tous ces avantages n'avaient pas moins « de valeur, aux yeux des Grecs, que la culture de l'esprit, la « finesse du jugement, l'habileté dans les arts des Muses 2. » Le style de Curtius est plus orné que celui d'Otfried Müller, mais sans fausse parure. La phrase est rythmée dans sa structure simple. L'image s'offre d'elle-même, quand la pensée se colore, et elle est souvent empruntée aux souvenirs personnels de l'auteur et aux impressions qu'il avait recueillies sur les lieux 3.

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1. Griechische Geschichte, 3 vol., Berlin, 1857-1867; premier livre, I. Traduction française de Bouché-Leclercq, 5 vol., Paris, 1883.

2. Deuxième livre, IV.

3. L'ouvrage le plus important de Curtius, après son Histoire grecque, est sa description du Péloponnèse : Peloponnesos, 2 vol., Gotha, 1851-1852.

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Droysen prend l'histoire au moment où Curtius l'abandonne; car, pour Curtius, la Grèce cesse d'exister du jour où elle a perdu sa liberté, et il s'arrête à la bataille de Chéronée. Ce n'est pas que, des deux historiens, l'un soit le continuateur de l'autre, car l'Histoire d'Alexandre le Grand est antérieure de quelques années au premier volume de l'Histoire grecque. Au reste, les deux ouvrages, tout en se reliant l'un à l'autre par le sujet, sont conçus dans un esprit tout différent. Jean-Gustave Droysen, né en 1808, à Treptow, en Poméranie, débuta par une traduction d'Eschyle, qui fut suivie un peu plus tard d'une traduction d'Aristophane 1. Dans l'intervalle, il publia son Histoire d'Alexandre le Grand, qui n'était que l'introduction d'une Histoire de l'Hellénisme; celle-ci comprenait elle-même deux parties, l'histoire des Successeurs d'Alexandre et celle de la Formation du système des États hellenistiques 2. En 1840, Droysen fut nommé professeur d'histoire à l'université de Kiel, et il fut mêlé aux agitations politiques qui se terminèrent par l'annexion du Schleswig-Holstein au royaume de Prusse. Il représenta les duchés à l'Assemblée nationale de Francfort, en 1848, et il fut rapporteur du comité chargé d'élaborer une constitution pour l'Empire germanique. En 1851, il fut attaché à l'université d'Iéna, et en 1859 à celle de Berlin; il mourut en 1884. Dans ses derniers travaux, Droysen, sans perdre tout à fait de vue l'antiquité, s'occupa surtout de la Prusse. La Vie du feldmaréchal comte York de Wartenburg 3 touche à la lutte suprême de la Pologne pour son indépendance et aux guerres contre Napoléon depuis Jéna jusqu'à Waterloo. L'Histoire de la politique prussienne, l'ouvrage le plus volumineux de Droysen,

1. Eschylos' Werke, 2 vol., Berlin, 1832. 1835-1838.

3

Aristophanes' Werke, 2 vol., Berlin,

Geschichte des Hellenismus:

2. Geschichte Alexanders des Grossen, Berlin, 1833. I, Geschichte der Nachfolger Alexanders, Hambourg, 1836; II, Geschichte der Bildung des hellenistischen Staatenssystems, Hambourg, 1843. La deuxième édition a été donnée sous la forme suivante: Geschichte des Hellenismus: I, Geschichte Alexanders des Grossen; II, Geschichte der Diadochen; III, Geschichte der Epigonen, 3 vol., Gotha, 1877-1878. Traduction française de Bouché-Leclercq, 3 voi, Paris, 1883-1885.

3. Leben des Feldmarschalls Grafen York von Wartenburg, 3 vol., Berlin, 1851

1852.

4. Geschichte der preussischen Politik, 13 vol., Leipzig, 1855-1881.

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expose les accroissements successifs de la maison de Hohenzollern, et s'arrête au milieu du règne de Frédéric II. Tous ces écrits, quelque différent que soit leur objet, sont animés du mème esprit. Deux idées dominent l'œuvre de Droysen et résument sa méthode : une idée politique, l'avantage des puissantes centralisations monarchiques, et une idée philosophique, la justification de la force qui les produit. Le champ de bataille de Chéronée, qui est, pour Curtius, le tombeau d'une grande chose dans l'ordre intellectuel, est surtout, pour Droysen, le berceau d'un empire dont il admire les proportions gigantesques. L'hellénisme, tel qu'il l'entend, n'est pas le génie grec dans sa beauté primitive et pure, c'est la civilisation grecque débordant sur l'Orient et se chargeant d'éléments étrangers. Il eût été intéressant et digne d'un esprit philosophique d'analyser cette civilisation nouvelle, intermédiaire entre l'antiquité et le christianisme; Droysen s'est contenté d'en suivre les progrès et, pour ainsi dire, les conquêtes matérielles. Il a pourtant une doctrine toute prête, si banale qu'elle soit, pour expliquer la révolution dont Alexandre a été l'organe. Ce qui a fait son temps doit périr, pour faire place à de nouveaux germes de vie. Mais à quoi reconnaître ce que la loi de l'évolution successive condamne, et ce qu'elle appelle à fleurir et à prospérer! Le signe de ce qui mérite de vivre, c'est la force. Assez longtemps les cités grecques, ces << autonomies minuscules », s'étaient déchirées elles-mêmes dans les luttes intestines et s'étaient neutralisées l'une l'autre dans des rivalités mesquines; elles tombèrent au premier choc de la phalange macédonienne. Droysen oublie que ces petites unités ont été de grands foyers de lumière qui rayonnent encore sur le monde. Il dit quelque part, avec un jeu de mots qui contient un sophisme « Le droit orgueilleux de la victoire est toujours la « victoire d'un droit supérieur 1. » Son explication de l'histoire est, au fond, le fatalisme de la force. On comprend dès lors, sans qu'il soit nécessaire de s'y arrêter, quelle doit être l'idée mère de l'Histoire de la politique prussienne : c'est de justifier

1. Stets ist das stolze Recht des Sieges der Sieg eines höheren Rechts. » (Geschichte Alexanders des Grossen, livre II, chap. 11.)- Droysen dit d'Alexandre: << Er war ein Werkzeug in der Hand der Geschichte; jene Verschmelzung des « abend- und morgenländischen Lebens, die er als Mittel, seine Eroberungen zu « sichern, beabsichtigen mochte, war der Geschichte der Zweck, um dess Willen sie ihm zu siegen gewährte. » (Geschichte der Nachfolger Alexanders, Introduction.). L'Histoire personnifiée est ici l'équivalent de l'Idée de Hegel.

la «< mission historique » de la Prusse, qui a été d'attirer à elle, par des accroissements lents, mais irrésistibles, une portion de plus en plus grande du territoire allemand. Le style de Droysen est tendu, plus saccadé que réellement concis. Son récit ressemble à un compte rendu; le point saillant se détache rarement de la masse des détails. L'auteur s'interrompt souvent pour des considérations générales. Il veut instruire; il dogmatise, au lieu de laisser parler les faits 1.

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Mommsen, lui aussi, ne se contente pas de laisser parler les faits; il les interprète, il les commente, et, én les commentant, il les tourne dans le sens de ses préférences, ce qui est souvent une manière de les fausser. Il s'est fait de bonne heure une spécialité, l'étude de l'antiquité romaine; il a exploré ce champ, il s'y est attaché, il y a établi sa demeure nul n'est mieux renseigné que lui. Sa vie a été presque toute consacrée à la science; il ne s'est que passagèrement occupé de politique. Né à Garding, dans le Schleswig, en 1817, Théodore Mommsen fit ses études universitaires à Kiel; il s'adonna dès lors presque exclusivement au droit et à l'histoire. Il fit ensuite, de 1844 à 1847, son premier Voyage scientifique en Italie et en France. A son retour, il dirigea pendant quelque temps le Journal du Schleswig-Holstein. Puis il fut nommé professeur extraordinaire à Leipzig; mais il dut bientôt quitter sa chaire, par suite de l'attitude qu'il avait prise pendant les agitations révolutionnaires de 1848. Il se rendit en Suisse, et devint professeur de droit romain à Zurich. En 1854, il fut appelé à l'université de Breslau, et, quatre ans après, à celle de Berlin; en 1874, il fut élu secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Il a été membre de la Chambre des députés prussienne, de 1873 à 1882. Depuis ce temps, il a vécu à Charlottenburg, sans jamais interrompre ses études, mais sans se désintéresser tout à fait des affaires publiques; il mourut en 1903. L'Histoire romaine n'est que la condensation des nombreux travaux de détail qu'il entreprit surla langue et les institutions de l'ancienne Rome et des tribus italiques.

1. Droysen a lui-même défini sa méthode dans un petit écrit, de forme très abstraite, et qui se ressent fortement de l'influence de Hegel: Grundriss des Historik, Berlin, 1858.

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