Imágenes de página
PDF
ePub

tive de l'auteur lui venait en aide. Sa volumineuse Histoire de l'Europe depuis la fin du XVe siècle 1, résultat de son enseignement, est un dédale de faits, où rien n'arrête la vue, et où les principes directeurs font défaut. On lira avec plus d'intérêt les ouvrages où il a consigné ses observations sur la France, sur l'Angleterre, sur l'Amérique 2. Enfin il faut tenir compte à Raumer de l'influence qu'il a exercée sur le grand public par l'Almanach historique, qu'il a fondé en 1830, et qu'il a dirigé jusqu'en 18673.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

L'université de Heidelberg devint, au commencement de ce siècle, un centre d'études historiques, comme l'université de Gættingue l'avait été une trentaine d'années auparavant. L'enseignement de Schlosser donna l'impulsion; les événements qui accompagnèrent ou qui suivirent la chute de l'Empire français déterminèrent plus d'une fois le choix des sujets et la couleur du récit. On dévia de plus en plus de la méthode rigoureuse inaugurée par Niebuhr. La recherche ne fut plus désintéressée; on écrivit le plus souvent dans un but politique *. Le caractère général de l'école est le libéralisme démocratique, combiné à l'occasion avec des aspirations unitaires et pangermaniques.

Frédéric-Christophe Schlosser, né en 1776, à Jever, dans la Frise orientale, avait fait ses études à Gættingue, et il s'était occupé d'abord de théologie, de philosophie et de littérature; il

1. Geschichte Europa's seit dem Ende des XV. Jahrhunderts, 8 vol., Leipzig 1832-1850.

2. Briefe aus Paris und Frankreich im Jahr 1830, 2 vol., Leipzig, 1831. Briefe aus Paris zur Erläuterung der Geschichte des XVI. und XVII. Jahrhunderts, 2 vol., Leipzig, 1831. England im Jahr 1835, 2 vol., Leipzig, 1836. England im Jahr 1841, Leipzig, 1842. -- Beiträge zur neueren Geschichte aus dem britischen Museum und Reichsarchiv, 5 vol., Leipzig, 1835-1839. — Die Vereinigten Staaten von Nordamerika, 2 vol., Leipzig, 1815.

a

3. Historisches Taschenbuch (Leipzig, 1830-1867), repris par Riehl (1871-1880) et par Maurenbrecher (1881-1885). Le dernier, mort à Leipzig en 1892, s'est spécialement occupé de l'histoire de la Réforme en Allemagne et en Angleterre. 4. « Comparés à d'autres groupes d'historiens allemands, » dit Gervinus à Schlosser dans la dédicace de l'Histoire du XIXe siècle, « vos élèves se reconnaissent à un signe caractéristique qui leur est commun: dans leurs recherches historiques, « ils aiment à subordonner, suivant les besoins de l'époque, leurs travaux à un but « d'utilité publique, soit qu'ils se servent, dans leurs ouvrages, d'un langage qui les rend accessibles au peuple, soit qu'ils choisissent, dans l'immense domaine do «l'histoire, des parties restreintes qui touchent aux questions du temps actuel. »

avait même été, pendant un mois, vicaire dans un village du duché d'Oldenbourg. Il nous apprend, dans son Autobiographie, qu'il avait lu et relu les Critiques de Kant, qu'il avait même étudié Fichte et Schelling, pour mieux comprendre la doctrine du maître. Son poète favori était Dante, qu'il donnait en exemple aux historiens pour la « rigueur impartiale » avec laquelle il jugeait les vices et les vertus de l'humanité : un détail qui est à noter pour sa propre méthode historique. Schlosser voit ses personnages tout d'une pièce; ses jugements sont sans nuance : il a introduit l'impératif catégorique dans l'histoire. En 1812, il devint professeur au lycée que le gouvernement français venait d'établir à Francfort-sur-le-Mein. Après la chute de l'Empire, il fut nommé bibliothécaire, et, en 1817, il fut appelé à l'université de Heidelberg, où il enseigna jusqu'à sa mort, en 1861. Les premiers écrits de Schlosser, Abelard et Dulcin, et la Vie de Théodore de Bèze et de Pierre Martyr Vermigli, appartiennent à l'histoire philosophique et religieuse; ce sont des apologies de la liberté de penser. L'Histoire des Empereurs iconoclastes est, en quelques points, une rectification de l'ouvrage de Gibbon sur la décadence et la chute de l'Empire romain. En 1816 parut le premier volume de l'Histoire universelle, qui, après tous les remaniements et compléments qui suivirent, resta finalement inachevée. C'est la dernière tentative de ce genre qui a été faite en Allemagne. A un point de vue strictement scientifique, l'idée même d'une histoire universelle est une illusion. Il faudrait, pour la réaliser, un effort d'impartialité dont un homme, à quelque époque et à quelque nation qu'il appartienne, est difficilement capable, lors même qu'il aurait à sa disposition tous les documents nécessaires. Il devrait se faire le contemporain de tous les âges. Les histoires universelles qui ont été composées par des écrivains modernes n'ont jamais été que l'histoire des différentes nations et des différentes époques, faite au point de vue d'une seule nation et d'une seule époque, et celle de

3

1. Réimprimée dans : Fr. Chr. Schlosser, der Historiker, Erinnerungsblätter avs seinem Leben und Wirken, par George Weber; Leipzig, 1876.

2. Voir la dédicace de l'Histoire du XVIIIe siècle à la grande-duchesse Stéphanie. Les études de Schlosser sur Dante (Ueber Dante, Heidelberg, 1825) portent principalement sur le système cosmique du poète et sur sa théorie de l'État.

3. Geschichte der bildersturmenden Kaiser des oströmischen Reichs, mit einer Uebersicht der frühern Regenten desselben, Francfort, 1812.

4. Weltgeschichte in zusammenhängender Erzählung, 4 vol. en 8 parties, Francfort, 1816-1841.

[ocr errors]

Schlosser n'est pas autre chose. La publication se continua jusqu'en 1841, et, dans l'intervalle, Schlosser écrivit l'Histoire du XVIIIe siècle 1, qu'il remania plus tard, en y ajoutant l'histoire du XIXe siècle jusqu'aux traités de 1815, et en la complétant par le tableau du développement littéraire et philosophique 2. Son dernier ouvrage original fut un aperçu encyclopédique de l'histoire et de la civilisation de l'ancien monde, qui donne peut-être la meilleure mesure de ce que sa méthode avait à la fois de hardi et d'insuffisant 3. Les époques les plus récentes sont les mieux traitées; les origines restent obscures. L'histoire intérieure, tout ce qui concerne les institutions et le gouvernement, est à peine esquissé. On ne se douterait pas, en lisant certaines pages de Schlosser, que Wolf et Niebuhr l'ont précédé. En somme, son œuvre, si on la considère dans l'ensemble, est un entassement de matériaux de toute provenance. On y voit des blocs énormes, mais le monument n'est pas construit. Peut-être, avec les exigences de la science actuelle, la construction même aurait-elle défié les forces du plus habile architecte 3.

Schlosser n'avait conçu l'histoire que dans un rapport étroit avec la morale; Gervinus en fit une science auxiliaire de la politique. Né à Darmstadt, en 1805, George-Gottfried Gervinus fut d'abord destiné aux affaires; quelques années de sa jeunesse se passèrent dans une librairie à Bonn et dans une maison de commerce de sa ville natale. A dix-neuf ans, il vint à Heidelberg, où Schlosser l'initia aux études historiques. Il enseigna pendant deux ans dans une institution privée à Francfort, fit un voyage en Italie, où il s'occupa beaucoup de Machiavel, et, en 1836, fut nommé professeur à l'université de Gættingue, où il commença ses leçons sur la poésie allemande . Il y était depuis un an,

1. Geschichte des XVIII. Jahrhunderts in gedrängler Uebersicht, 2 vol., Heidelberg, 1823. 2. Geschichte des XVIII. Jahrhunderts und des XIX. bis zum Sturz des französischen Kaiserreichs, mit besonderer Rücksicht auf geistige Bildung, 7 vol., Heidelberg, 1836-1818.

3. Universalhistorische Uebersicht der Geschichte der alten Welt und ihrer Cultur, 3 vol. en 9 parties, Francfort, 1826-1834.

4. Quelque opinion qu'on professe sur l'importance de la philologie en histoire, on conviendra que Schlosser a eu des vivacités déplacées contre les philologues et en particulier contre Wolf.

5. L'Histoire universelle, rédigée par Kriegk, avec le concours de Schlosser (Weltgeschichte für das deutsche Volk, 18 vol., Francfort, 1843-1856) n'est qu'une œuvre de vulgarisation; elle a été continuée par Th. Bernhardt (18 vol., Oberhausen et Leipzig, 1870-1874).

6. Les résultats de ces leçons furent: Geschichte der poetischen National-Litteratur

quand le roi de Hanovre Ernest-Auguste modifia brusquement, par un simple décret, la constitution octroyée par son prédécesseur. Sept professeurs, au nombre desquels étaient les frères Grimm et l'historien Dahlmann, protestèrent 1. Gervinus était le plus jeune; il fut destitué avec ses collègues, et reçut, en outre, l'ordre de quitter la ville dans les trois jours. Il se retira à Darmstadt, puis retourna en Italie, passa un hiver entier à Rome, et revint à Heidelberg, avec le titre de professeur honoraire. A partir de ce moment, sa vie fut partagée entre l'enseignement, la politique militante et les publications historiques. L'un des premiers, il souleva la question du Schleswig-Holstein. En 1847, il fonda avec Hæusser la Gazette allemande 2, dont le programme était une assemblée fédérale pour l'Allemagne entière et un gouvernement constitutionnel pour chaque État en particulier. Elu membre du parlement de Francfort, en 1848, il cessa d'assister aux séances, lorsqu'il vit tous les projets de réforme échouer devant l'hésitation des chefs de parti et l'opposition des gouvernements. Il rentra dans la retraite et écrivit son livre sur Shakespeare 3, où il étudiait surtout le poète anglais au point de vue moral et comme un représentant du génie germanique. L'Introduction à l'histoire du XIXe siècle, qui n'était pourtant qu'un mince volume bien inoffensif, lui attira un procès ridicule, qui se termina par un acquittement. Il mourut en 1871. Son dernier ouvrage important est l'Histoire du XIXe siècle depuis les der Deutschen, 3 vol., Leipzig, 1835-1838; Neuere Geschichte der poetischen NationalLitteratur der Deutschen, Leipzig, 1840-1842. — Quatrième édition refondue sous le titre de Geschichte der deutschen Dichtung, 5 vol., Leipzig, 1853. Au même ordre d'études appartient un ouvrage sur la correspondance de Goethe (Ueber den Gatheschen Briefwechsel, Leipzig, 1836), où Gervinus revendique pour Schiller un rôle prépondérant dans l'échange d'idées qu'il y eut entre les deux poètes.

I. Dahlmann, professeur de droit politique, qui avait pris part à la rédaction de la constitution de 1833, était lui-même un historien distingué. Après avoir quitté Goettingue, il devint professeur à Bonn. Il siégea au parlement de Francfort, en 1818, et rédigea encore, et cette fois pour l'Allemagne entière, une constitution, qui resta à l'état de projet. Les constitutions allemandes de ce temps avaient la vie courte. Dahlmann reprit sa chaire. Il contribua beaucoup à répandre les idées constitutionnelles en Allemagne, par ses deux ouvrages sur la Révolution anglaise et la Révolution française (Geschichte der englischen Revolution, Leipzig, 1811; Geschichte der französischen Revolution, Leipzig, 1845). Il avait publié précédemment une histoire du Danemark, dont il avait recueilli les documents pendant qu'il était professeur à Kiel (Geschichte Dänemarks, 3 vol., Hambourg, 1810 1843).

2. Deutsche Zeitung.

3. Shakespeare, 4 vol., Leipzig, 1850.

4. Einleitung in die Geschichte des XIX. Jahrhunderts, Leipzig, 1853. Traduction de Minssen, Paris, 1876.

2

traités de Vienne ', qu'il donne comme une suite de l'Histoire du XVIII® et du XIXe siècle de Schlosser, et qui a pour but de peindre « le temps des trahisons et des mensonges, des congrès et des « protocoles, des persécutions politiques et des conspirations, <«< des espérances et des désenchantements ». Rien de ce que Gervinus a écrit n'est sans intérêt; il a jeté de vives lumières sur bien des questions. Mais, considérée dans l'ensemble, son œuvre est surtout celle d'un homme d'action, impatient, irrité, exclusif; c'est l'œuvre d'un homme de parti. L'histoire est, pour lui, une tribune du haut de laquelle il gourmande ses compatriotes. Son style a du mouvement, mais un mouvement fébrile, inquiet. Sa phrase est haletante; elle n'a pas de points d'arrêt; elle fermente et bouillonne, et l'idée ne se pose jamais. Sa langue n'a rien de plastique. Enfin, ce qui est la pire condition pour un historien, Gervinus a un système, très arrêté et, au fond, très étroit. Il admet, dans l'histoire de la civilisation, trois grandes époques, celle de l'art grec depuis Homère jusqu'à Alexandre, celle de la Renaissance et de la Réforme, et celle de l'hellénisme allemand du XVIIIe siècle. La poésie romaine n'est qu'un reflet de la poésie grecque, et les nations latines, à leur tour, ont eu le tort de prendre modèle sur Rome, au lieu de remonter à la source primitive et pure de la beauté classique 2. Goethe et Schiller ont affranchi le goût moderne, comme Luther a affranchi la conscience chrétienne; ils sont pour nous ce qu'Homère et Sophocle étaient pour leurs contemporains. L'Allemagne est aujourd'hui la vraie patrie des arts. « Cette même nation qui, dans sa migration, « semblait vouloir extirper, avec les anciens peuples, les idées «< civilisatrices que Socrate et Jésus-Christ avaient déposées dans « les générations nouvelles, et les germes qu'Aristote avait semés « dans tous les domaines des sciences, cette même nation était « destinée d'abord à épurer la doctrine du Messie et ensuite à << abolir le faux goût dans les arts et dans les lettres, si bien « qu'aujourd'hui, » continue Gervinus, « nos voisins proclament « hautement que la vraie culture des âmes et des esprits ne « peut être cherchée que chez nous, et que par notre intermé<«<diaire seul on peut arriver à la connaissance des anciens 3. »

1. Geschichte des XIX. Jahrhunderts seit den Wiener Verträgen, 8 vol., Leipzig, 1855-1866. Traduction de Minssen, 22 vol., Paris, 1864-1870.

2. Grundzüge der Historik, Leipzig, 1837.

3. Geschichte der deutschen Dichtung, introduction.

« AnteriorContinuar »