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mettre en œuvre. Il serait sans doute oublié, s'il n'avait fait partie de la Jeune Allemagne; le décret de la Diète, en l'associant à Heine, à Gutzkow, à Boerne, lui a conféré une ombre d'immortalité 1.

1. Wienbarg. Théodore Mundt. Louise Mühlbach. Gustave Kühne. Hermann Marggraff. Ludolf Wienbarg (1802-1872), qui avait donné son nom à l'école, est rentré le premier dans l'oubli. Après le décret qui le frappa, il vécut comme journaliste à Hambourg et à Altona. Il a recueilli les meilleurs de ses articles dans : Zur neuesten Litteratur (Manheim, 1835; 2° éd., Hambourg, 1838), et dans un volume de Vermischte Schriften (Altona, 1840), qui n'eut pas de suite. Il a publié aussi des relations de voyage, et il a retracé l'histoire du Schleswig-Holstein.

Théodore Mundt (1808-1861) a été un des plus ardents champions de l'école. Il a d'abord érigé un monument à la romanesque Charlotte Stieglitz, qui se donna la mort pour réveiller le génie poétique de son mari (Charlotte Stieglitz, ein Denkmal, Leipzig, 1835). Il a écrit ensuite un roman mystico-sensualiste : Madonna, Unterhaltungen mit einer Heiligen (Leipzig, 1835), sans parler de ses autres romans et nouvelles. Ses esquisses et impressions de voyage dénotent l'influence de Henri Heine. Son histoire de la littérature contemporaine de l'Allemagne (Geschichte der Litteratur der Gegenwart vom Jahr 1789 bis zur neuesten Zeit, Leipzig, 1842; 2° éd., 1853) est encore utile à consulter. Sa femme, Louise Mühlbach (1814-1873), après avoir prêché l'amour libre dans ses premiers ouvrages, se fit un genre particulier de roman historique, en racontant, dans d'interminables séries de volumes, les destinées des grandes familles souveraines; Frédéric II, Napoléon, Alexandre Ier, Joseph II eurent chacun leur cycle.

Gustave Kühne (1806-1888) et Hermann Marggraff (1809-1864) se sont faits les historiens littéraires de l'école et de toute l'époque, le premier dans ses Caractères d'hommes et de femmes (Weibliche und männliche Charaktere, 2 vol., Leipzig, 1838: nouv. éd., Deutsche Charaktere, 4 vol., Leipzig, 1866), le second dans son Histoire de la civilisation et de la littérature récentes de l'Allemagne (Deutschlands jüngste Kultur- und Litteratur-Epoche, Leipzig, 1839). Kühne a peint la vie des couvents dans plusieurs séries de nouvelles (Klosternovellen, 2 vol., Leipzig, 1838; 2 éd., 1862; Wittemberg und Rom, Klosternovellen aus Luthers Zeit, 3 vol., Berlin, 1877).

TROISIÈME SECTION

LA SCIENCE ET L'HISTOIRE

CHAPITRE PREMIER

LES FRÈRES GRIMM

GUILLAUME ET ALEXANDRE DE HUMBOLDT

1. Les frères Grimm. Différence de leurs natures. Leurs efforts communs pour la reconstitution de l'ancienne Germanie. Caractère patriotique de leur œuvre. - 2. Guillaume de Humboldt; ses idées sur le gouvernement; ses écrits philologiques; ses Lettres à une amie. 3. Alexandre de Humboldt; ses voyages; le Cosmos.

1. LES FRÈRES GRIMM.

L'œuvre de restauration que Brentano et Achim d'Arnim avaient vaguement conçue, qu'ils n'avaient exécutée qu'en partie et non sans tâtonnements, les frères Grimm la reprirent avec méthode et la poursuivirent avec une rare persévérance. Jacques surtout, l'aîné des deux frères, mit au service de cette œuvre un génie où s'unissaient les dons les plus divers, la hardiesse des vues et la patience des recherches, le coup d'œil de l'inventeur et le scrupule du savant. On s'étonne d'abord de l'étendue du programme qu'il se traça, et, à mesure qu'on voit ce programme se réaliser, on admire la puissance de l'effort qu'il a fallu déployer pour y suffire. Reconstituer l'ancienne Germanie, avec sa langue, sa religion, ses traditions mythiques et héroïques, ses lois et ses coutumes, montrer, dans tous ces éléments de la vie nationale, le lien entre le passé et le présent, c'était comme une terre nouvelle à découvrir. Jacques Grimm ne pouvait se proposer de la parcourir en entier, même avec un

collaborateur aussi actif et aussi dévoué que son frère; mais il en traça les limites, il en marqua les régions, et il ouvrit les chemins qui y conduisaient 1.

Les deux frères sont nés à Hanau, Jacques en 1785, Wilhelm en 1786. Ils firent ensemble leurs études au lycée de Cassel et à l'université de Marbourg. En 1805, Jacques Grimm accompagna son maître, le jurisconsulte Savigny, dans un voyage à Paris, et, profitant des ressources que lui offraient les bibliothèques de cette ville, il commença ses études sur la littérature allemande du moyen âge. Trois ans après, le roi Jérôme de Westphalie lui confia la direction de sa bibliothèque privée à Wilhelmshohe. Après la chute de Napoléon et le retour de l'électeur, Jacques Grimm fut nommé second bibliothécaire à Cassel, et Wilhelm lui fut adjoint comme secrétaire. Ce fut l'époque de leurs grands travaux, « la plus tranquille, la plus laborieuse, la plus féconde « de ma vie », dit Jacques dans son autobiographie. Quand Wilhelm se maria, en 1825, son frère garda sa place au foyer commun. En 1829, la charge de premier bibliothécaire devint vacante elle revenait, comme avancement naturel, à Jacques Grimm; on lui préféra un candidat étranger. Il accepta alors une chaire qui lui fut offerte à l'université de Gættingue, avec un emploi de bibliothécaire; son frère devint sous-bibliothécaire à côté de lui. En 1837, tous deux furent destitués, avec cinq de leurs collègues, pour avoir protesté contre l'abolition de la constitution hanovrienne. Ils revinrent à Cassel, où ils vécurent quelques années dans la retraite. Enfin, en 1841, le roi FrédéricGuillaume IV les fixa à Berlin; ils furent tous deux membres de l'Académie des sciences. Wilhelm mourut le premier, en 1859, et son frère disait, l'année suivante, dans un discours lu devant l'Académie « Au temps où nous allions à l'école, une seule «chambre et un seul lit nous recevaient, et nous travaillions à « la même table. Plus tard, ce furent deux tables, enfin deux « chambres contiguës. Mais nous avons toujours demeuré sous « le même toit. Notre avoir était en commun; nos livres aussi,

1. A consulter.- Freundesbriefe von Wilhelm und Jakob Grimm, herausgegeben von A. Reiflerscheid; Heilbronn, 1878. - Briefwechsel zwischen Jakob und Wilhelm Grimm aus der Jugendzeit, herausgegeben von Herman Grimm und G. Hinrichs; Vienne, 1881. Briefwechsel zwischen Jacob und Wilhelm Grimm, Dahlmann und Gervinus, herausgegeben von E. Ippel; 2 vol., Berlin, 1885-1886. --- W. Scherer, Jakob Grimm, Berlin, 1865; 2° édit., 1885. Rudolf von Raumer, Geschichte der germanischen Philologie, Munich, 1870.

« excepté ceux qu'il fallait avoir sous la main et que, pour cela, <«< on achetait en double exemplaire. Il y a apparence que nos << derniers lits seront faits l'un à côté de l'autre. » Jacques Grimm fut enterré près de son frère, en 1863.

L'harmonie qui régna toujours entre eux, et même l'utilité de leur collaboration, tenaient autant à la diversité de leurs aptitudes qu'à la conformité de leurs goûts. Jacques Grimm le constatait, avec sa franchise ingénue, dans la suite de ce même discours « C'est quand j'entrepris la Grammaire allemande que <<< nous sentimes d'abord, entre nos deux natures, une divergence « que nous ne comprîmes parfaitement que dans la suite. Dès « l'enfance, j'apportais au travail une ténacité que la santé débile « de mon frère lui interdisait. Il avait, de son côté, des éclairs « d'assiduité qui n'étaient pas dans mon genre de vie. Toute sa « manière d'être le prédisposait moins à l'invention qu'au déve<«<loppement tranquille et sûr de ce qu'il portait en lui. Tout ce qui <<< rentrait dans le cercle de ses recherches, il l'observait avec soin, « il l'approfondissait; mais il passait à côté du reste. Et cepen«dant, pour trouver, ne faut-il pas chercher à droite et à gauche, <«<< sans prévoir en quel lieu on lèvera peut-être un trésor? Ceux « qui osent, le sort les favorise et leur met tout sous la main, « sans qu'ils s'en doutent. Wilhelm n'aimait pas à s'aventurer. « Je ne sais s'il a jamais entrepris de lire d'un bout à l'autre « certains documents de première importance, un Ulfilas, un « Otfrid, un Notker; je l'ai fait souvent et toujours avec fruit. « Il lui suffisait de chercher les passages qu'il avait besoin de

comparer. Une règle grammaticale ne l'intéressait que par le << rapport qu'elle pouvait avoir avec ses études du moment. «Comment aurait-il pu trouver la règle et en déterminer toute « la portée? Il avait du plaisir à suivre un travail et à s'en laisser << distraire; mon plaisir à moi et ma distraction étaient le travail « même. Que de soirées j'ai passées, jusque bien avant dans la «<< nuit, sur mes livres, tandis que mon frère était le bienvenu « dans un groupe joyeux qu'il charmait par son talent de causeur «et de conteur! Il aimait aussi la musique, beaucoup plus que « moi1. » Leur manière d'écrire est également différente. Wil

1. Dans la préface du second volume du Dictionnaire allemand, Jacques Grimm s'exprime ainsi sur son frère: Er arbeitete langsam und leise, aber rein und sauber; in milder gefallender Darstellung war er mir, wo wir etwas zusammen thaten, stets überlegen.

helm avait formé son style sur Gathe. Jacques vivait presque exclusivement dans la vieille littérature; il a des tours archaïques; sa phrase a parfois une allure pesante; mais l'expression est forte, colorée, toujours puisée à la source nationale. Jacques Grimm est peut-être, de tous les écrivains allemands, celui qui emploie le moins de mots étrangers. Il possède un art particulier pour rendre des idées abstraites avec des mots concrets; on dirait qu'à force de pénétrer dans le génie de la langue il s'est assimilé le procédé instinctif au moyen duquel ont été créées les plus anciennes métaphores.

Ils publièrent ensemble, en 1812, leur premier volume de contes1; mais dès le second volume, qui parut en 1815, la part de collaboration de Wilhelm devint prépondérante, et le troisième, qui contient l'indication des sources et la discussion des variantes, est entièrement de lui. Ces contes étaient pris, pour la plupart, dans la tradition orale ; quelques-uns ont même gardé la forme dialectique sous laquelle ils furent d'abord communiqués. Quant à la manière dont ils ont été rédigés, les auteurs nous renseignent dans la préface: « Nous nous sommes fait une «<loi d'être avant tout fidèles et vrais. Nous n'avons rien ajouté

1. Kinder- und Hausmärchen, gesammelt durch die Brüder Grimm, Gættingue, 1812. L'ouvrage est dédié à Bettina d'Arnim. Il fut suivi d'un recueil de légendes: Deutsche Sagen, 2 vol., Berlin, 1816-1818.

2. Les auteurs citent particulièrement une paysanne des environs de Cassel, qui leur fournit la plus grande partie du second volume, et ce qu'ils disent d'elle est caractéristique pour la manière dont la tradition orale se conserve: « Elle gar« dait les vicilles légendes gravées dans sa mémoire; il lui arrivait de dire elle« même que c'était là un don qui n'était pas départi à chacun, et que bien des « gens étaient tout à fait incapables de rien retenir dans l'ensemble. Elle racon«tait avec une vivacité peu commune, mais comme une personne absolument «sure d'elle-même, et qui prend plaisir à ce qu'elle raconte. Elle parlait d'abord « librement, puis, quand on le demandait, elle reprenait lentement, de telle sorte « qu'avec un peu d'exercice on pouvait la suivre la plume à la main. De cette « manière, bien des récits ont été transcrits littéralement, et ils ont un air de « vérité qui les fera aisément reconnaître. Celui qui serait tenté de croire que la << tradition est facilement exposée à s'altérer, qu'elle doit périr à la longue par la «< négligence de ceux qui en sont les dépositaires, celui-là aurait dù entendre « avec quelle exactitude scrupuleuse elle s'en tenait à son récit. Elle ne changeait jamais rien, quand elle se répétait; mais elle s'interrompait, quand elle remar« quait qu'une faute lui était échappée. L'attachement à la tradition chez des « gens qui persévèrent longtemps dans le même genre de vie est plus grand que « nous ne pouvons le concevoir, nous qui sommes portés au changement. C'est « pour cela qu'une tradition bien invétérée a en elle une certaine force de péné<< tration qui manque parfois à des phénomènes littéraires plus brillants. Le fonds épique de la poésie populaire est comme la verdure qui est répandue à travers « la nature entière, et qui, dans ses gradations multiples, charme l'œil et le ras« sasie, sans jamais le fatiguer. »

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