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collaborateur de Menzel dans le Morgenblatt; c'est pour cette feuille qu'il écrivit le Sadducéen d'Amsterdam, une de ses meilleures nouvelles, dont il reprit plus tard le sujet dans la tragédie d'Uriel Acosta. Puis il publia ses deux romans philosophiques, Maha Guru ou Histoire d'un dieu et Wally la sceptique 1, dont le second attira sur lui les foudres fédérales. Wally fut dénoncée par Menzel comme un scandale public. C'était la première fois que la doctrine du mariage libre trouvait en Allemagne un avocat convaincu et quelquefois éloquent. L'héroïne principale se partage aimablement entre une union de son choix et son union légale, et un tableau final rappelle la scène la moins voilée de la Lucinde de Frédéric Schlegel. Mais la Lucinde avait du moins le mérite d'être courte, tandis que Wally se perd en déclamations inutiles; l'auteur la remania plus tard, sous un autre titre 2, sans la corriger beaucoup. Gutzkow, outre l'interdiction sommaire dont ses écrits furent frappés avec ceux de la Jeune Allemagne, fut condamné à trois mois de prison par le tribunal de Manheim; il garda de son procès une irritation qui ne se calma jamais entièrement, et qui, jointe à des excès de travail, menaça plus tard de troubler sa raison. Il publia rapidement plusieurs ouvrages de critique philosophique et littéraire 3, fonda le Télégraphe dans la ville libre de Hambourg, et porta ensuite ses idées au théâtre. Le thème ordinaire de ses drames, c'est le conflit du sentiment naturel avec l'intérêt, l'ambition, la vanité, le préjugé, tout ce qu'on appelle les nécessités et les conventions sociales. Dans Richard Savage (1839), c'est un jeune écrivain, enfant naturel, qui cherche en vain à conquérir l'affection de sa mère, et qui meurt dans l'abandon. Dans Uriel Acosta (1846), la meilleure tragédie de Gutzkow, écrite en vers, un philosophe de naissance juive, condamné par la synagogue, se donne la mort, après une rétractation inutile qui lui a été arrachée par sa famille. Les effets mélodramatiques et les complications de l'intrigue gåtent parfois ce que les sujets auraient en eux-mêmes d'intéressant. Certaines

1. Maha Guru oder Geschichte eines Gottes, 2 vol., Stuttgart, 1833. Zweiflerin, Manheim, 1835.

2. Vergangene Tage, Francfort, 1852.

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3. Zur Philosophie der Geschichte, Hambourg, 1836 (écrit en prison, contre Menzel); Effentliche Charaktere, Stuttgart 1835 (recueil d'anciens articles); Beiträge zur Geschichte der neuesten Litteratur, 2 vol., Stuttgart, 1836; Gothe im Wendepunkte zweier Jahrhunderte, Berlin, 1836; Zeitgenossen, 2 vol., Stuttgart,

pièces, dont il suffit de citer les titres, Werner ou le Cœur et le Monde, Ella Rose ou les Droits du cœur, ne sont qu'un retour au drame moralisant d'autrefois, avec un ton plus doctrinaire 1. Les comédies de Gutzkow tournent facilement à la caricature; ici encore, c'est la mesure qui manque. Il est difficile de croire, par exemple, que les mœurs de l'aristocratie allemande aient été aussi grossières qu'il les représente dans l'École des riches 2. La meilleure de ces comédies est celle qui a pour titre la Perruque et l'Épée 3, peinture assez spirituelle, quoique poussée au baroque, de la cour de Frédéric-Guillaume Ier; on hésita d'abord à la jouer, parce qu'un roi de Prusse y paraissait en manches de chemise. Gutzkow, après avoir fait un voyage à Paris, succéda, en 1847, à Tieck dans la direction du théâtre de Dresde; mais il résigna bientôt cette fonction, pour laquelle il n'était point fait, et il termina ses deux grands romans, les Chevaliers de l'Esprit et le Magicien de Rome. C'était un même tableau sous deux aspects différents, une peinture de l'Allemagne politique et religieuse après l'échec de la révolution de 1848. Mais les proportions étaient immenses: l'auteur lui-même sembla le reconnaître, puisqu'il raccourcit le plan des deux ouvrages à mesure qu'il approcha de la fin. Il s'était fait, au début, une théorie du roman, qu'il développe dans la préface. L'ancien roman, disait-il, était une succession (ein Nacheinander); le roman moderne devait être une juxtaposition (ein Nebeneinander); toutes les classes, depuis le mendiant jusqu'au roi, devaient s'y montrer côte à côte. Gutzkow s'épuisa dans cet effort. En 1865, il voulut se rendre à Francfort, auprès de sa famille. Arrivé à Friedberg, il essaya de se donner la mort. On crut à un accès de folie, et on le transporta dans l'asile de Saint-Gilgenberg, près de Bayreuth. Lui-même déclara plus tard que ce qui l'avait déterminé, c'était «la froide résolution de sortir d'un monde où il ne trouvait que « peine et déception ». Un mouvement de sympathie se déclara pour lui dans toute l'Allemagne; on fit des souscriptions en sa faveur; on donna des représentations à son bénéfice. Il rétablit sa santé en Suisse. Les événements de 1870 l'attirèrent à Berlin,

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1. Werner oder Herz und Welt, 1840. Ella Rose oder die Rechte des Herzens, 1856.

2. Die Schule der Reichen, 1841.

3. Zopf und Schwert, 1843.

4. Die Ritter vom Geiste, 9 vol., Leipzig, 1850-1852. Der Zauberer von Rom, 9 vol., Leipzig, 1859-1862.

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mais il ne tarda pas à se montrer mécontent du nouvel ordre de choses. Il mourut en 1878, étouffé par la fumée d'un incendie qui avait éclaté dans son appartement. Le plus important des ouvrages qu'il écrivit encore après 1870 est un roman, les Nouveaux Frères de Sérapion', une peinture du nouvel Empire, sa dernière déception. « Une outrecuidance qui se croit tout permis, »> dit un personnage de ce roman, «< une aveugle soif de jouissance, « un esprit de rancune et de rapine (Rauf- und Raubgeist), reste << des habitudes de la guerre, ont créé une situation morale dont « le signe le plus manifeste est la chasse aux emplois. L'élan <«< national est paralysé. Et qui profitera de la révolution? Rome « et l'Internationale 2. »

Henri Laube est un reflet de Heine et de Gutzkow, surtout du premier. Il n'a laissé aucune trace dans la littérature, mais il représente assez bien le côté extérieur, on pourrait dire pittoresque, de la Jeune Allemagne, jusqu'au jour où il baissa la tête devant les autorités et rentra dans le camp des philistins. Il a raconté avec esprit sa vie d'étudiant, dans les Souvenirs qui remplissent le premier et le dernier volume de ses œuvres diverses. Il voyagea en artiste ambulant, sac au dos et sa guitare en bandoulière, et il affectait de porter des costumes étranges, quand sa bourse le lui permettait. C'est ainsi qu'il arriva, en 1826, à l'université de Halle. Il était né en 1800, à Sprottau, dans la Basse-Silésie; son père était maçon, et sa ville natale faisait les frais de ses études. Il s'affilia d'abord à l'association des étudiants, la Burschenschaft, qui étendait ses ramifications sur toute l'Allemagne. Il s'imaginait alors naïvement, dit-il, que la grande levée de 1813 n'avait eu pour but que de créer la Burschenschaft, et que celle-ci à son tour pouvait seule donner la liberté à l'Allemagne. Il passa six semaines au carcer, pour avoir fait claquer son fouet en pleine rue sous le nez du juge universitaire, et il fut congédié avec une note de blâme, qui le suivit pendant le reste de sa carrière. Laissant son lit et son manteau en paiement à son logeur, il alla terminer ses études,

1. Die neuen Serapionshrüder, 3 vol., Breslau, 1877.

2. Éditions des œuvres. - La mort de Gutzkow interrompit la publication de ses œuvres complètes, dont il existe deux séries: la première (20 vol., Iéna, 18711872) est formée des ouvrages dramatiques; la seconde (12 vol., 1873-1876) est consacrée aux romans et aux travaux d'histoire littéraire, mais elle ne contient ni Wally, ni les Ritter vom Geiste, ni le Zauberer von Rom, ni los Serapionsbrüder. Sur sa vie, voir: Rückblicke auf mein Leben, Berlin, 1875.

telles qu'il les entendait, à l'université de Breslau. Il écrivit dès lors, avec sa déplorable facilité de plume, deux pièces de théâtre, qu'il n'a jamais admises dans le recueil de ses œuvres, mais qui eurent un succès momentané devant le public: c'étaient un drame sur Gustave-Adolphe et une farce dont le sel consistait en plaisanteries et en jeux de mots sur le violoniste Paganini. La révolution de Pologne le jeta décidément dans les luttes politiques. Il prit, en 1832, la direction du Journal pour le monde élégant, qui se publiait à Leipzig. Il écrivit son grand roman, la Jeune Europe, et ses Nouvelles de voyage 1. Celles-ci rappellent les Reisebilder de Henri Heine, et l'analogie n'est pas seulement dans le titre. Laube essaye de s'approprier la fantaisie légère, tour à tour humoristique et sarcastique, de Heine. Il lui emprunte même son culte napoléonien Heine avait vu l'empereur de ses yeux, Laube s'imagine l'avoir vu en rêve; le tambour Legrand reparaît aussi sous la figure du cavalier Gardy. La Jeune Europe se compose de trois parties, dans lesquelles on peut suivre l'évolution politique de l'auteur. La première est intitulée les Poètes, la seconde les Guerriers, la troisième les Bourgeois. Les poètes, avec les počtesses leurs compagnes, pratiquent le mariage libre à la façon de la Wally de Gutzkow; seulement ils ont plus de fatuité que de passion; ce sont des libertins par dilettantisme. Les guerriers combattent pour l'affranchissement de la Pologne; un caractère intéressant est celui du juif Joël, qui, malgré son dévouement à la cause nationale, ne peut se faire pardonner sa religion. Les bourgeois sont des découragés ou des convertis; ils acceptent des fonctions publiques avec résignation et même avec reconnaissance, et sévissent à l'occasion contre leurs coreligionnaires politiques d'autrefois. Pendant que ce roman se publiait, les gouvernements avaient l'œil sur l'auteur. Il fut expulsé de la Saxe, en 1834. Il se rendit alors à Berlin, et y resta malgré les avertissements de ses amis. Là on lui intenta un procès en forme, et l'on commença par lui faire subir neuf mois de prison préventive. L'interrogatoire terminé, il fut relégué à Naumbourg sur la Saale, et placé sous la surveillance de la police surveillance peu gênante, du reste, grâce au commissaire qui en était chargé,

1. Das junge Europa, 4 vol., Manheim, 1833-1837. — Reisenovellen, 6 vol., Manheim, 1834-1837.

et qui le laissa même se promener jusqu'à Leipzig. Son procès se continua, pendant que la vente de ses écrits était interdite, et se termina, en 1837, par une condamnation à dix-huit mois de réclusion; mais on lui permit de les passer au vieux château du prince Pückler-Muskau, en Silesie, et il ne fut jamais plus tranquille que dans cette prison. Il écrivit là son Histoire de la littérature allemande, en quatre volumes, ouvrage superficiel, où l'on sent trop le manque d'études préparatoires. Il édita aussi les œuvres de Heinse, l'auteur du roman d'Ardinghello et son principal modèle, après Gutzkow et Heine. En 1848, il fut élu au parlement de Francfort; il siégea au centre gauche, et, se trouvant en désaccord avec ses électeurs, il déposa son mandat l'année suivante. Le ministre autrichien Schmerling le fit appeler à la direction du théâtre de la Hofburg à Vienne, qu'il garda pendant dix-sept ans. Il dirigea ensuite le grand théâtre de Leipzig jusqu'en 1870, et revint à Vienne pour fonder le Stadttheater; il mourut en 1884. Il a écrit, avant et pendant sa direction, un grand nombre de pièces qui ont peu vécu. Ses drames en prose, Monaldeschi (1845), la Sorciere d'ambre (1846), Struensee (1847), le prince Frederic (1854), Montrose (1859), sont faibles de conception et de style. Quelques-unes de ses comédies, Gottsched el Gellert (1847) et surtout les Élèves de l'École de Charles (die Karlsschüler, 1847), se sont maintenues un peu plus longtemps, à cause des souvenirs nationaux qu'elles réveillaient; dans la dernière, le jeune Schiller joue un des principaux rôles. La tragédie du Comte d'Essex (1856) est écrite, à l'exception de quelques scènes, en vers ïambiques; mais les vers de Laube sont à peine des vers. Laube a même fait une tentative, qui ne pouvait être que malheureuse, pour terminer le Démétrius de Schiller (1872). Au milieu de tous ces travaux, et tout en dirigeant son théâtre, il a gardé assez de loisir pour délayer dans un long roman l'histoire de la guerre de Trente Ans1. En somme, Laube est un ouvrier littéraire alerte et prompt, s'assimilant facilement les idées des autres, et assez habile à les

1. Der deutsche Krieg, 9 vol., Leipzig, 1863-1866. Éditions des œuvres: Dramatische Werke, 13 vol., Leipzig, 1815-1874; Gesammelte Schriften, 16 vol., Vienne, 1875-1882; le premier et le dernier volume contiennent les Erinnerungen, l'un depuis 1810 jusqu'en 1810, l'autre de 1811 à 1881. — Les ouvrages où Laube a consigné son expérience théâtrale ont gardé de l'intérêt : Das Burgtheater, Leipzig, 1868; Das Norddeutsche Theater, Leipzig, 1872; Das Wiener Stadttheater, Leipzig, 1875.

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