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gence de la forme empêchera de vivre. Ce qui lui a le mieux réussi, c'est la ballade historique.

Le Hongrois Karl Beck (1817-1879) n'a jamais su gouverner son imagination, ni se rendre parfaitement maître de la langue. Il a mené une vie errante; il a vécu quelque temps à Weimar, auprès d'Ottilie, la belle-fille de Goethe, et il s'est trouvé en rapports avec les principaux écrivains de la Jeune Allemagne. Sa plus grande admiration était pour son compatriote Lenau. Le titre même de son premier recueil de poésies, les Nuits, chants cuirassés (Nächte, Gepanzerte Lieder, 1838) montre, par la réunion de deux images disparates, combien sa vision était peu nette. Il a donné ensuite le Poète vagabond (Der fahrende Poet, 1838) et les Chansons tranquilles Stille Lieder, 1840). Les Chansons du pauvre homme (Lieder vom armen Mann, 1846) le classèrent définitivement parmi les coryphées du libéralisme. Dans son roman versitió, Janko le Gardeur de chevaux hongrois (Janko der ungarische Rosshirt, 1812), il a essayé des rythmes variés, quelquefois heureux, souvent étranges.

La Galicie a donné le jour au poète Charles-Ferdinand Dræxler (1806-1879), qui a ajouté à son nom celui de Manfred, l'un des héros du Phantasus de Tieck. La première éducation de Draxler-Manfred a été slave. Il a d'abord été journaliste à Vienne, où il a connu Lenau et Grün; il a voyagé ensuite en Allemagne, en France et en Angleterre. Il a longtemps dirigé le théâtre de Darmstadt. Ses recueils de lieds, de romances et de ballades s'échelonnent de 1826 à 1866. Les sentiments qu'il exprime sont simples et naturels; son style est souvent pénible et prosaïque.

Si nous revenons à Vienne et dans l'Autriche proprement dite, nous y trouvons encore Jean-Népomuk Vogl, Jean-Gabriel Seidl et Hermann Rollet. Vogl (18021866) et Seidl (1804-1875) ont continué modestement la tradition du chant populaire. Une partie des poésies de Seidl sont écrites en dialecte autrichien. Les paroles qui accompagnent aujourd'hui l'hymne national de Haydn sont de lui. Rollet (nó en 1819) est un aimable poète, sans envolée, qui a chanté discrètement le printemps, l'amour et la liberté. Il a fait lui-même un choix de ses poésies (Leipzig, 1865). Il se transporte, dans un songe, devant le trône de l'empereur, qui lui demande ce qu'il veut : « Je veux être libre, répond-il. Grün avait exprimé la même idée sous une forme plus originale.

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A consulter, sur toute l'école : Alfred Marchand, Les Poètes lyriques de l'Autriche, 2 vol., Paris, 1881, 1886.

CHAPITRE IV

LE THEATRE AUTRICHIEN

La vie théâtrale à Vienne. La censure. La farce viennoise. 1. La comédie. Castelli et Bauerle. Les féeries de Raimund. La comédie de caractère de Bauernfeld. 2. Grillparzer. Éléments de son théâtre. L'Aïeule. Sapho. La Toison d'or. Le Roi Ottokar. Les Flots de la mer et de l'amour. Les dernières pièces de Grillparzer; son génie dramatique. 3. Les successeurs de Grillparzer. Frédéric Halm et son Gladiateur de Ravenne. Mosenthal. Nissel. - 4. Anzengruber et ses paysanneries.-5. Les derniers représentants de l'école autrichienne. Arthur Schnitzler. Jacques-Jules David. Hermann Bahr.

Le Viennois est, de tous les hommes de langue allemande, celui qui a le goût le plus vif pour le théâtre. Il y trouve, selon l'expression de Kant, un plaisir désintéressé, et il s'étonne que dans d'autres régions de l'Allemagne on y cherche quelquefois une leçon de morale, de politique ou d'histoire. Il peut, du reste, varier son plaisir selon son goût du moment. Il sait qu'à la Hofburg il trouvera la tragédie, le drame sérieux et la haute comédie; au Théâtre de la Vienne (An der Wien), l'opéra et le ballet, le mélodrame alternant avec la farce, et même à de certaines époques de l'année le drame biblique; à la Leopoldstadt et à la Josefstadt, la pièce populaire, humoristique ou fantastique, avec ses types consacrés, des originaux des différentes provinces, et l'inévitable personnage comique, le Kasperle, reproduction de l'ancien Hanswurst, que Gottsched avait banni de la scène classique 1.

1. Telle était du moins la situation au temps de Raimund, de Grillparzer et de Bauernfeld. Plus récemment, deux nouveaux théâtres, le Volkstheater et le Raimundtheater, se sont créés. L'opéra a eu sa salle spéciale, et le Théâtre An der Wien a gardé l'opérette. Le Théâtre de la Leopoldstadt a été longtemps un champ d'expérience, et l'on y a joué beaucoup de pièces traduites du français.

La meilleure condition pour un poète dramatique est de dépendre d'un public et de ne dépendre que de lui. Mais le poète autrichien avait encore à compter avec la censure. Des pièces séjournaient dans les cartons officiels pendant des mois, pendant des années; elles en sortaient mutilées, et quelquefois n'en sortaient plus. Un drame de Castelli sur les Macchabées dut s'appeler Salmonée et ses fils, le titre de Macchubées, emprunté à la Bible, ne pouvant être donné à une œuvre profane. Ce que la censure avait de plus troublant, c'était l'imprévu de ses décisions. Elle était encore plus arbitraire que tyrannique, et ce n'étaient pas toujours les écrits les plus hardis qu'elle atteignait 1. Le passé ne lui était pas moins suspect que le présent; Schiller lui-même n'avait pas ses entrées libres sur la scène; Don Carlos et Guillaume Tell étaient des exemples réputés dangereux. Et pourtant le loyalisme du peuple autrichien était tel, qu'une allusion maligne à un membre quelconque de la famille régnante aurait provoqué, dans une salle de spectacle, tout autre chose que des applaudissements. Jamais la comédie aristophanesque n'aurait pu prendre pied sur le sol de l'Autriche.

Un des effets de la censure fut le développement excessif de la comédie populaire. Ne pouvant rire ni du gouvernement, ni de l'administration, ni des grands seigneurs, ni des gens d'Église, les Viennois rirent d'eux-mêmes, ce qui ne pouvait déplaire à personne. Au reste, farce, comédie, drame ou tragédie avaient ce caractère commun d'être faits pour la représentation et adaptés aux conditions de la scène. La pièce écrite, uniquement destinée à la lecture, poème dramatique ou roman dialogué, ce genre hybride si répandu dans le Nord de l'Allemagne, est inconnu ou

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1. Voici ce que raconte Grillparzer dans son Autobiographie : : « Je me trouvai (dans une excursion aux environs de Vienne) à côté d'un conseiller, membre de « la commission de censure, qui m'a toujours montré beaucoup d'attachement. II

« me demanda d'abord, ce que tout le monde me demandait alors à Vienne, pourquoi je ne publiais presque plus rien. Je lui répondis que, comme employé à la « censure, il devait savoir cela mieux que personne. « Vous voilà bien, messieurs les auteurs!» continua-t-il. « Vous vous imaginez toujours que la censure est « conjurée contre vous. Quand votre Ottokar, par exemple, a été retenu deux ans, << vous croyez sans doute que quelque ennemi acharné en a empêché la représentation. Eh bien! le coupable, c'était moi, et Dieu sait que je ne suis pas votre << ennemi. Mas, monsieur le conseiller,» répliquai-je, « qu'avez-vous donc trouvé de dangereux dans la pièce? Oh! rien, absolument rien, mais, me disais-je, Voir un article de Carl Glossy, Zur Geschichte der Wiener Theatercensur, au 7 vol. du Jahrbuch der Grillparzer-Gesellschaft, Vienne. 1897.

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« on ne peut pas savoir.

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du moins très rare dans la littérature autrichienne. Ce qui est fréquent, au contraire, c'est la pièce qui ne sort pas de l'enceinte du théâtre, qui n'est pas imprimée, lors même qu'elle a eu du succès. Tout, cependant, n'est pas original. L'Autriche, tout en ayant sa tradition propre, n'a pas été fermée aux influences étrangères. La comédie française s'est introduite à la Hofburg, dans des adaptations plus ou moins libres. Quant au drame, on l'empruntait plutôt à Calderon qu'à Shakespeare. La majorité du public se sentait plus d'affinité avec la vieille Espagne, absolutiste et croyante, qu'avec l'Angleterre émancipée, et l'imbroglio espagnol plaisait à l'imagination autrichienne, qui a toujours été portée au merveilleux.

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Le Nestor de la comédie autrichienne, c'est Ignace Castelli, un type de l'esprit viennois, un improvisateur fertile et jovial, plutôt qu'un écrivain. Il est né à Vienne en 1781; il fut secrétaire des États de la Basse-Autriche, et plus tard pensionné par le gouvernement; il mourut en 1862. Il a écrit plus de deux cents pièces, en partie traduites du français. Son principal modèle était Scribe, quoiqu'il se soit exercé plus ou moins dans tous les genres, même dans le drame biblique. Il dit de lui-même, dans une pièce de vers où il a tracé son portrait pour la postérité : « J'écris en vers et en prose, parce que cela m'amuse. J'avoue <«< que mon plaisir est plus grand quand d'autres m'approuvent et <«<font connaître leur approbation; mais si l'on dédaigne ce que « je fais, je ne me décourage pas pour cela, et je me dis qu'on « ne peut pas contenter tout le monde 1. »

Ses deux contemporains et compatriotes, Adolphe Bauerle et Ferdinand Raimund, moins féconds que lui, ont plus d'originalité. Bauerle était secrétaire et principal fournisseur du théâtre de la Leopoldstadt; ses pièces étaient souvent de simples canevas, sur lesquels l'acteur brodait à volonté; la plupart n'ont pas été imprimées. Il a créé un type qui lui a survécu, le marchand de parapluies Staberl, le principal personnage des Bourgeois de

1. Éditions. Werke, 16 vol., Vienne, 1814-1847. Werke, Neue Folge, 6 vol., Vienne, 1858. — Memoiren meines Lebens, 4 vol., 1861-1862. — Castelli a assez spirituellement parodié le drame fataliste dans Der Schicksalsstrumpf (Leipzig, 1818).

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Vienne (1813), bavard, goguenard, vantard, fripon par habitude, quoique bon par tempérament. Les stableriades sont devenues un genre particulier de farces, que des acteurs en tournée ont transportées sur les différentes scènes allemandes '. Quant à Ferdinand Raimund, c'était surtout un habile constructeur de féeries; mais ses inventions les plus extraordinaires étaient de bon goût, et elles devenaient presque vraisemblables par l'enchaînement qu'il y mettait. Il fut d'abord acteur à la Leopoldstadt; peu à peu il prit l'habitude d'insérer des scènes dans les rôles qui lui étaient confiés, et ce furent celles-là qui eurent le plus de succès. Un jour, dans une représentation donnée à son bénéfice, comme on manquait de nouveautés, il se mit luimême à l'œuvre, et il écrivit le Fabricant de baromètres dans l'île enchantée (1823). Raimund a de l'observation, parfois du style, et son comique n'est jamais grossier. Dans le Roi des Alpes et le Misanthrope (1828) et dans le Dissipateur (1834), il a approché de la comédie de caractère. Il quitta Vienne en 1831, pour faire des tournées dans le Nord de l'Allemagne; il se donna la mort, en 1836, dans un accès d'humeur noire 2.

Les pièces de Raimund et de Bauerle étaient destinées au peuple et à la petite bourgeoisie; Édouard Bauernfeld créa un genre nouveau pour le public de la Hofburg, c'est-à-dire pour la noblesse et la bourgeoisie riche. Bauernfeld était né à Vienne, en 1802. Orphelin de bonne heure et pauvre, il passa une partie de sa vie dans des emplois subalternes. Il trouva cependant moyen de faire un voyage à Paris et à Londres, en 1845, et il en rapporta un amer dégoût pour la situation politique de l'Allemagne et particulièrement de l'Autriche. Il fut mêlé aux agitations qui précédèrent et suivirent les événements de 1848, et il se retira ensuite dans la vie privée; il mourut à Vienne, en 1890. Sa comédie est un mélange d'humour viennois et d'esprit français; c'est une sorte de comédie d'intrigue, avec des allusions discrètes aux vices de la bourgeoisie, aux préjugés nobiliaires, même aux abus de l'administration. Ses traits les plus acérés ne blessent

1. Un autre représentant de la farce (Posse) viennoise, mais moins original et plus trivial que Bauerle, c'est l'acteur Jean Nestroy (1802-1862); son Lumpaci Vagabundus se joue encore sur les scènes populaires.

2. Ses œuvres complètes ont été publiées par le poète Nepomuk Vogl (4 vol., Vienne, 1837) et plus récemment par C. Glossy et A. Sauer (3 vol., Vienne, 1881; 2e édit., 1891). A consulter l'articlo de A. Sauer, au 27 volume de la Allgemeine deutsche Biographie.

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